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Jessica Jones et la culture du viol

Notre dernier épisode est en ligne! Il parle de la série Jessica Jones créée par Melissa Rosenberg avec Krysten Ritter dans le rôle titre.

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Krysten Ritter dans Jessica Jones

Et si nous avions des super -pouvoirs?

C’est une histoire de super-héroïne Marvel avec ses questions habituelles sur l’héroïsme, la responsabilité et les progrès scientifiques, son lot de clichés (héroïne orpheline, complot très compliqué…) et aussi ses défauts (manque d’intersectionnalité, fatalisme…).

Toutefois nous souhaitons distinguer cette série car elle allie le fond et la forme pour dénoncer la culture du viol. Attention l’article contient quelques spoilers sur la saison 1!

Un super-pouvoir pour illustrer l’emprise

Kilsgrave, le méchant de la saison 1, a le pouvoir de faire faire aux gens ce qu’il veut. Il remplace la volonté de ses victimes par la sienne…. 

Hope a sorti un pistolet de son sac et tiré à multiples reprises sur ses parents mais c’est Kilsgrave qui les a tués. Il n’était pas là au moment des faits, il n’était pas là quand Hope a mis l’arme chargée dans son sac mais il a planté dans l’esprit de Hope l’envie de les tuer. Hope n’est pas inconsciente au moment des faits, elle est même consciente de vouloir tuer ses parents, elle est capable de planifier, de choisir le moment où elle ne pourra pas les manquer…. Après le crime, Hope est dévastée, elle peut témoigner du pouvoir de Kilsgrave mais elle n’est pas convaincue de son innocence.

Jessica Jones, elle aussi victime de Kilsgrave l’est et se donne la dure mission de prouver que le pouvoir de Kilsgrave de contrôler les esprits existe.

Remarquons que l’emprise mentale ou le contrôle coercitif sont des phénomènes documentés et que l’on a de nombreux témoignages. Cependant les victimes ont du mal à être entendues et respectées. Pourquoi ?

Parce que la culture du viol

Kilsgrave incarne la culture du viol

La culture du viol c’est d’abord la négation du consentement. Et le pouvoir de Kilsgrave symbolise cette négation. Jessica le lui dit clairement dans l’épisode 8 : “Not only did you physically rape me but you violates every cell in my body and every thought in my godamm head

Kilsgrave nie l’accusation en arguant sur le décor : tout s’est passé dans des hôtels et des restaurants de luxes, comment cela pourrait-il être un viol? Cette remarque renvoie au scénario stéréotypé du viol dans une ruelle sombre… Il y a aussi l’idée que toutes les femmes sont à vendre, et qu’il a payé et mériterait donc un peu de reconnaissance… Ces clichés sur le scénario du viol et les femmes nourissent la culture du viol.

Un autre élément de la culture du viol est le retournement de culpabilité : on se met à plaindre l’agresseur et on accuse la victime. Kilsgrave essaye de se rendre sympathique en soulignant ses efforts pour ne pas toujours utiliser son pouvoir, son enfance difficile ou son amour pour Jessica. Tout ce qu’il voulait selon lui c’était l’amour de Jessica ou tout au moins un peu de reconnaissance, un sourire.

D’abord, il prétend cet « amour » réciproque : elle a choisi de rester avec lui, preuve que cela ne devait pas être si déplaisant, non? Dans l’épisode 10, Jessica raconte qu’elle a essayé de partir mais il l’a très vite recontrôlée avec son pouvoir. Il essaye de lui dire que les choses ne se sont pas passées comme elle le dit mais elle a une cicatrice pour prouver que sa version est la plus proche de la vérité.  Dans l’épisode 9, il essaye de diminuer le rôle de son emprise. Jessica a tué une femme selon sa volonté, mais il prétend lui avoir seulement demander de s’en occuper. Il veut ainsi la faire douter de son innocence, la faire culpabiliser. C’est aussi son intention quand il la traite d’ingrate qui n’a jamais apprécié tout ce qu’il a fait pour elle dans l’épisode 10.

Du côté des survivantes

Nier le consentement et blâmer la victime… Jessica Jones n’est pas la seule série à mettre en évidence ces deux caractéristiques de la culture du viol.

Mais Jessica Jones fait mieux… elle décrédibilise voire ridiculise les arguments des agresseurs… Kilsgrave a le profil du héros de romance (riche, britannique et une blessure secrète) mais il est le méchant de l’histoire, et comme c’est une histoire Marvel, il n’y a pas d’ambiguïté. Tous ses efforts pour se poser en victime (Ouin ouin : mes parents m’ont torturé… Ouin ouin : je ne sais jamais si les gens consentent car mon pouvoir est trop fort) sont presque comiques…. Il n’y a pas d’empathie avec Kilsgrave, pas d’himpathy pour reprendre le concept de la philosophe Kate Manne.

C’est d’abord dans sa forme que Jessica Jones s’oppose à la culture du viol. Elle adopte le point de vue des victimes, victimes qui ne correspondent pas aux stéréotypes. Jessica a une force physique surhumaine, elle boit, elle aime faire l’amour. Trish est riche et célèbre… Elles ne sont pas de pauvres femmes attaquées dans un parking. Mais elles sont des victimes qui deviennent des survivantes … C’est leur liberté : choisir de survivre. Jessica Jones le dit dans le dernier épisode : « J’avais le choix, j’ai choisi de survivre ».

De plus notons que les scènes de viol sont hors caméra. On évite ainsi toute esthétisation et on permet aussi aux victimes de ne pas revivre le trauma, de pouvoir réfléchir.

Pour aller plus loin

On Jessica Jones, rape doesn’t need to be seen to be devastating – The Verge

Jessica Jones: shattering exploration of rape, addiction and control

Suárez Tomé, Danila; Rubien, Mariela; Miradas femeninas en pantalla: El caso Jessica Jones; Universidad de Ciencias Empresariales y Sociales; Verba Volant; 7; 2; 9-1-2018; 67-79

Shana MacDonald, “Refusing to Smile for the Patriarchy, Journal of the Fantastic in the Arts, Vol. 30, No. 1 (104) (2019), pp. 68-84 (17 pages).