Catherine Le Magueresse nous explique à quelles conditions le consentement peut aider à faire progresser la justice pour les survivantes de viol ou comment ne pas tomber dans les pièges du consentement. Elle évoque aussi la définition du viol dans le code pénal français et son influence sur la réponse judiciaire.
“La présomption de consentement est une fiction légale et culturelle qui dispense celui qui initie un contact sexuel de s’assurer du consentement effectif – voire du désir – de l’autre.
Catherine Le Magueresse, Les pièges du consentement
Connaissez-vous Marguerite Porete, Madame de Graffigny, Olympe Adouard, Marie-Anne Barbier et Catherine Pozzi ?
La revanche des autrices de Julien Marsay va non seulement vous dire qui sont ces autrices mais surtout pourquoi vous ne les connaissez pas. Cet ouvrage n’est ni une anthologie ni une galerie de portraits mais une enquête mettant à jour les méthodes et les procédés qui ont permis durant des siècles de systématiquement caricaturer, cacher ou silencier les autrices.
Invité dans notre podcast, Julien Marsay nous présente des exemples de ces méthodes et de ces procédés d’invisibilisation.
Notre invitée est Karin Bernfeld, écrivaine, actrice, docteure en sémiologie des textes et des images. Ses écrits nous interrogent sur le corps, l’écriture soi, l’identité à travers la sexualité, l’adolescence, les troubles alimentaires, la pornographie….
La pornographie est le sujet principal de Plainte contre X, un monologue. Estelle connue dans le monde de la pornographie sous le nom de Roxanne Wolf, dénonce tous ceux qui l’ont violée et agressée : ses parents, son premier petit ami, ses partenaires, les producteurs, les consommateurs de films pornographiques…
Nous avons enregistré le 12 juin une interview de Sylvia Duverger, journaliste, autrice et secrétaire de rédaction. Sylvia Duverger s’intéresse aux questions de féminisme depuis des années ; elle a ainsi récemment rédigé un article sur l’universalisme et le différentialisme pour la nouvelle édition du dictionnaire des féministes en France et elle tient un blog dans le Club Mediapart qui aborde régulièrement des questions liées au féminisme, comme dernièrement le procès de Bobigny. De formation philosophique, elle s’est très tôt intéressée aux questions de genre ; cela l’a notament conduit à étudier le parcours et la figure de Simone Iff, résistante et féministe. Sylvia Duverger est actuellement secrétaire de rédaction de revues médicales et se trouve en première ligne pour ce qui est de l’adoption de l’écriture inclusive dans l’édition.
Pour approfondir ces questions, Sylvia Duverger nous a livré un premier texte sur la masculanisation du français :
Masculinisation du français par Sylvia Duverger
Il a été amplement montré qu’en matière de genre (féminin et masculin), l’évolution du français est politique. Des grammairiens ont œuvré à ce que le français reflète l’organisation patriarcale de la société. Comme l’observe la linguiste Maria Candea dans un entretien que nous avons fait en 2014, ces grammairiens ont fait en sorte que les filles apprennent très vite, dès leur accès au langage, qu’elles étaient en toutes circonstances subordonnées aux hommes.
L’exclusion des femmes du symbolique, de la langue et de la culture, exprime et conforte celle du politique et de l’économique.Affirmer que le masculin prend une valeur neutre ou générique lorsqu’il « l’emporte » sur le féminin dans une phrase où il cohabite avec lui (par exemple, un présentateur du journal télévisé qui se dit innocent et les nombreuses femmes qui l’accusent de violences sexuelles sont présents – accord au masculin – dans l’actualité) relève non de la grammaire en tant que telle et de ce qui et nécessaire pour que nous puissions échanger, mais de l’idéologie phallocrate qui perdure en dépit de ses multiples réfutations.Dire que les titres correspondant à des fonctions prestigieuses (présidence, direction, professorat…) ont vocation à demeurer au masculin même lorsque des femmes les exercent, c’est signifier qu’il est légitime que ces fonctions soient remplies par des hommes, et que les femmes qui y accèdent sont des intruses dont il s’agit de rendre inaudible la présence. Cela est amplement démontré par le fait, patent et indéniable, que les opposants à la (re)féminisation des titres entreprise en France à partir de 1984 ne s’émeuvent que lorsqu’il est question de rôles socio-politiques de première importance– par exemple, en 1998, « l’Académie veut laisser les ministres au masculin » – et non pas quand il s’agit de boulangère, de couturière, d’infirmière ou de secrétaire…Par ailleurs, l’équipe de recherche dirigée par Anne-Marie Houdebine, la linguiste en cheffe de la Commission de terminologie de 1984-1986 « relative au vocabulaire concernant les activités des femmes », puis Edwige Khaznadar (entre autres) ont montré que le masculin dit générique, dont il est prétendu qu’il est apte à désigner le genre humain, conduisait à se représenter des hommes en fait d’êtres humains.
La conclusion qu’Edwige Khaznadar donnait en 2004 à son étude de l’emploi du terme « homme », à valeur censément générique et non pas seulement spécifique (homme versus femme), me semble toujours pertinente :
« Il n’y a que quelques dizaines d’années que les femmes ont dans le monde commencé à voir reconnue leur égalité avec les hommes : la puissance symbolique et structurante du langage, caractère propre de l’humanité et ciment des communautés linguistiques, est un apport de poids dans cette évolution. Maintenir la femme dans la virtualité du non-dit, c’est maintenir le mythe du prototype humain masculin. La langue française ne me permet pas de dire : « Je suis un homme » : de quoi, par quoi et par qui exactement suis-je ainsi exclue ? Par la langue ? ou par ceux et celles qui nomment ainsi l’humanité ? »
Au commencement étaient les féminins
Quelques exemples
Sous l’ancien régime, les titres nobiliaires étaient sexués : duchesse, baronesse, emper(r)esse, emperière…
Le titre d’ambassadrice existait et il était attribué à des femmes remplissant des fonctions diplomatiques.
On rencontre au moins une inventeure, une procurateure et une conducteure dans un écrit du XVe siècle ; ceux de phisicienne, cyrurgienne (qui avait le sens d’infirmière), de miresse (la médecin), médecine ou médecineuse…
Dans le domaine religieux, les femmes avaient de multiples responsabilités et leurs titres étaient au féminin : elles étaient abesse (sic), papesse, moynesse, clergeresse (ou clergesse c’est-à-dire religieuse), prieuresse…
Les écrits mentionnent aussi des défenderesses, demanderesses, des jugesses… et mêmes des prud’femmes.
Rappelons également qu’il y avait des doctoresses (c’est-à-dire des femmes lettrées, des femmes savantes ; au XIXe le terme désigne les premières médecins, ou médecines). Et bien sûr des autrices (ou auctrix, auctrice, authrice), comme l’a montré Aurore Evain. Autoresse, authoresse, auteuresse ont également existé. Professeuses, amatrices, inventrices et capitainesses également, parmi tant d’autres…
« De nombreuses études ont montré que, jusqu’au XVIe siècle, la langue avait des formes féminines correspondant à des formes masculines pour pratiquement tous les termes servant à désigner des métiers, titres, grades et fonctions, car du haut en bas de l’échelle sociale, les femmes étaient présentes et leurs activités énoncées par des termes qui rendaient compte de leur sexe. […]. Le XVIIe siècle centralisateur et dominé par l’image éminemment virile du “Roi soleil” ignorera superbement les termes féminisés, ou lorsqu’il les emploiera, ce sera avec condescendance ou ironie (c’est le cas pour “peintresse”). » En Europe, jusqu’au développement des États, les femmes pouvaient accéder, dans une moindre mesure que les hommes, à des fonctions dotés d’un pouvoir politique, judiciaire ou militaire. Les clercs, les hommes diplômés dans leur ensemble, menèrent une offensive contre elles, afin de conserver leur mainmise sur les charges, les emplois que leur passage par l’université leur ouvraient. En premier lieu, ils ont privé d’instruction (a fortiori d’université) celles qui sinon auraient pu rivaliser avec eux ; et discrédité autant qu’ils le pouvaient les obstinées, malgré eux devenues savantes et compétentes. Ils firent tant et si bien que, par exemple, l’ambassadrice épouse de l’ambassadeur eut raison de l’ambassadrice en mission diplomatique, et que l’on oublia l’autrice pour ne plus songer qu’à la muse …
Un masculin qui s’auto-anoblit
À la Renaissance, dans les écrits, le français supplante progressivement le latin ; or, en latin il y a un neutre, pas en français. Les grammairiens se contorsionnent pour faire valoir que les adjectifs féminins sont dérivés des masculins (comme Ève est tirée de la côte d’Adam). Au XVIe siècle, « le dogme du masculin géniteur de féminin est bien implanté ». Au XIXe, Bescherelle laisse à penser que le substantif dénommant les personnes est masculin par nature. Dont on dérive « son » féminin.
Puis il s’agit de faire triompher le masculin du féminin quand ils se rencontrent dans une phrase. Vaugelas, ordonnateur du bel usage à la cour de Louis XIV et l’un des premiers Académiciens, fait feu : « Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut tout seul contre deux féminins ».
Dans ses Doutes sur la langue française, le jésuite Dominique Bouhours, affirme : « Quand les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte », et le plus noble, c’est le masculin, évidemment.
AuXVIIIe, le grammairien et encyclopédiste, Du Marsais confirme :« [le] masculin, [le] plus noble des deux genres compris dans l’espèce ».
Créée en 1635 par Richelieu, l’Académie française, a porté la cause du masculin-qui-l’emporte-sur-le-féminin jusqu’à aujourd’hui. Il est vrai qu’elle n’a compté que des hommes jusqu’à l’élection de Marguerite Yourcenar en 1980 (une femme sur quarante membres). Elle n’a admis en son sein, en tout et pour tout, que dix femmes, qui toutes n’ont pas siégé en même temps: Marguerite Yourcenar (1980), Jacqueline de Romilly (élue en 1988), Hélène Carrère d’Encausse (en 1990), Florence Delay (en 2000), Assia Djebar (en 2005), Simone Veil (en 2008), Danièle Sallenave (en 2011), Dominique Bona (en 2013), Barbara Cassin (en 2018), Chantal Thomas (en 2021)…
Les grammairiens misogynes et phallocrates – on a vu que Vaugelas était académicien – ont œuvré à la prééminence du masculin à partir du XVIIe. L’usage, cependant, résiste jusqu’à ce que l’école républicaine, née au XIXe, impose la règle du masculin qui l’emporte sur le féminin. Oubliée la règle de proximité, selon laquelle l’adjectif et le participe passé s’accordent avec le genre (et le nombre) du substantif le plus proche ; par exemple, « le cœur et la bouche ouverte à vos louanges » .
Notons que l’on accordait également le participe présent : « une couturière demeurante rue Saint-Sauveur ». Et que les pronoms n’avaient pas encore perdu une partie de leurs féminins : « J’étais née, moi encore, pour être sage et je la suis devenue » (Le Mariage de Figaro).
La guerre menée par le sexe masculin contre le sexe féminin a comporté plusieurs fronts ; quand Molière œuvre à ridiculiser les Précieuses et les femmes savantes, il y apporte une contribution tout particulièrement efficace. Comme Rousseau dans Émile ou de l’éducation, il plaide en faveur de l’ignorance et de l’hétéronomie des femmes. Mais Émile n’est pas aussi souvent étudié au collège, ni même au lycée, que ne le sont l’une ou l’autre des pièces misogynes du dramaturge préféré du Roi-Soleil. Et le rire assure une très bonne police du genre. Pour ma part, j’ai pris une assez claire conscience que j’étais féministe en classe de troisième, et plus Armande qu’Henriette, donc désapprouvée par Molière et non conforme aux normes de genre encore en cours, puisque ma professeure de français semblait épouser le point de vue du dramaturge. Mais combien d’adolescentes Molière est-il parvenu à éloigner de l’étude et du savoir ? Il n’est bien sûr pas le seul à avoir œuvré en ce sens, ainsi que nous le verrons bientôt.
À partir du XVIIe siècle, l’on constate une disparition progressive des féminins dès lors qu’il s’agit de professions dotées d’un certain prestige. Comme le dit fort bien Aurore Evain, « ce vide lexicographique était la marque d’une censure et la fabrique d’une exclusion ».
Exclusion des femmes du politique et de l’écriture
En 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen… n’inclut pas les femmes ; celle de 1948 si… mais en anglais, pas en français !
En 1792, la requête des dames déposée à l’Assemblée nationale souligne la dimension politique de la subalternisation symbolique du féminin : « Le genre masculin ne sera plus regardé, même dans la grammaire, comme le genre le plus noble, attendu que tous les genres, tous les sexes et tous les êtres doivent être et sont également nobles » (on trouve cette requête sur Gallica).
1801 Sylvain Maréchal républicain révolutionnaire, journaliste et écrivain, est l’auteur d’un Projet de loi portant défense d’apprendre à lire aux femmes. Son article 4 précise que « la raison ne veut pas plus que lalangue française qu’une femme soit auteur. Ce titre, sous toutes ses acceptions, est le propre de l’homme seul. » « La raison veut que chaque sexe soit à sa place et s’y tienne »… et la place d’une femme est à la maison : « Une femme qui remplit fidèlement ses devoirs d’épouse et de mère est une véritable divinité, et l’accomplissement de ses devoirs ne peut être compatible avec le goût des sciences et des lettres. »
Cet écrit de Sylvain Maréchal, qui a tenté de se faire passer pour une plaisanterie, a tout de même été réédité deux fois après sa mort et augmenté de citations d’autres auteurs, observe Geneviève Fraisse.
Au XIXe siècle, une guerre est menée contre les bas-bleus. À la fin de ce siècle, de nouveau des femmes menacent le pré carré des clercs : elles franchissent les obstacles disposés le long de leur chemin, (re)deviennent doctoresse, chirurgienne, avocate, ingénieure, professeure (ou professeuse)… d’abord sans pouvoir se désigner comme telles.
En 1891, la romancière féministe, fouriériste, socialiste, pacifiste Marie-Louise Gagneur adresse à l’Académie française une pétition réclamant la féminisation des noms de métiers, titres et fonctions qui devenaient « coutumiers à la femme ». Lue en séance le 23 juillet, sa requête reçoit un accueil défavorable de la part des Immortels. S’ensuivent des échanges d’arguments par voie de presse. L’académicien Charles de Mazade lui répond que « la carrière d’écrivain n’est pas celle de la femme », donc qu’il n’est pas besoin du mot écrivaine. Autrement dit, il admet que le genre du mot légitime l’exercice d’une fonction par les uns à l’exclusion des autres, ce que nieront les académiciens du XXe siècle.
1898 Hubertine Auclert, journaliste, écrivaine, féministe (suffragiste en particulier) voudrait qu’une académie féministe ait autant ses mots à dire (et à mettre au féminin dans le dictionnaire) que l’Académie française : « L’omission du féminin dans le dictionnaire contribue, plus qu’on le croit, à l’omission du féminin dans le code (côté des droits). L’émancipation par le langage ne doit pas être dédaignée. […] La féminisation de la langue est urgente, puisque, pour exprimer la qualité que quelques droits conquis donnent à la femme, il n’y a pas de mots. Ainsi, dans cette dernière législature, la femme a été admise à être témoin au civil, électeur, pour la nomination des tribunaux de commerce, elle va pouvoir être avocat. Eh bien ! on ne sait pas si l’on doit dire : une témoin ? une électeure ou une électrice ? une avocat ou une avocate ?
L’Académie féministe trancherait ces difficultés. Dans ses séances très suivies et où l’on ne s’ennuierait pas, des normaliens […] pourraient, en féminisant des mots, devenir féministes. En mettant au point la langue, on rectifierait les usages, dans le sens de l’égalité des deux sexes. »
Quand « les verts voient rouge »
Dans ses discours, De Gaulle s’adressait aux Françaises et aux Français, ce qui était admettre que les uns ne représentent pas les autres. Certains académiciens sont un peu plus qu’agacés par ces adresses paritaires , tel Jean Dutourd. On notera que le slogan de Macron, lors des dernières élections présidentielles, c’était en revanche « Nous tous »… soufflé par Jean-Michel Blanquer, son alors encore ministre de l’Éducation nationale et fervent adorateur du « masculin générique » ?
Sage-femme et maïeuticien ne sont pas dans le même bateau
1982 La profession de sage-femme s’ouvre aux hommes conformément à une directive européenne.
Trente ans plus tard, Yvette Roudy se souvient : « Quand on a ouvert le métier de sage-femme aux hommes, ils ont voulu une nouvelle appellation : maïeuticien. Pour les hommes, il fallait un terme compliqué et scientifique. »
En 1982, trois hommes deviennent sages-femmes et au moins l’un d’entre eux se réjouit d’être qualifié de tel . Le terme de sage-femme est épicène puisqu’il désigne la ou le sage qui met son savoir et ses compétences (sage) au service de la femme qui accouche ; la ou le sage-femme est donc en quelque sorte une ou un aide-parturiente.
Pourtant l’Académie se trouve chargée de forger une dénomination conforme au genre de ces nouveaux praticiens. Par Pierre Mauroy, selon l’homme politique, écrivain et académicien Alain Peyrefitte.
Donner du masculin à une femme, serait-ce donc la hausser au rang de l’humain par excellence, tandis qu’un homme féminisé devrait se sentir humilié ? Médecin et académicien, le Pr Jean Bernard propose « maïeuticien ». Bien que ce terme ait été forgé par le philosophe Socrate pour se désigner lui-même comme un accoucheur, non pas de corps féminins, mais d’esprits masculins, fonction bien plus proche du vrai, du beau et du bien que celle d’une simple sage-femme, comme l’était sa mère… En juin 1984,estimant que l’emploi du terme de « sage-femme » pour désigner un homme serait « ridicule », Alain Peyrefitte relaie dans les colonnes du Figaro la trouvaille de son illustre confrère.
Anecdote savoureuse : dans le cadre d’enquêtes linguistiques, Anne-Marie Houdebine a observé que le terme « maïeuticien » n’était pas compris par les locutrices et locuteurs interrogé·es; qu’il était quelquefois rattaché à l’emmaillotage et qu’à la place de « maïeuticien », certain.es entendaient « mailloticien » (construit sur le maillot dont autrefois on entourait le corps des marmots).
« Maïeuticien » fait son entrée dans les dictionnaires, mais il prend si peu que lors de la séance du 11 février 2009, le médecin et sénateur de gauche François Autain s’indigne : « Il serait […] temps de songer au remplacement du terme “sage-femme” par une appellation qui tienne compte du fait que cette profession est exercée par de plus en plus d’hommes. Le terme de maïeuticien, reconnu par l’Académie française, me semblerait particulièrement bien adapté. » Dès lors que des hommes exercent un métier, faudrait-il donc ne plus le dire qu’au masculin ? Même si les femmes y demeurent très largement majoritaires (1 à 2 % d’hommes sages-femmes…) ?
Il semble que cette préconisation ait fini par être suivie de quelque effet, et l’on trouve désormais dans des textes plus ou moins institutionnels cet étrange couple : « maïeuticien ou sage-femme » , sage-femme ou maïeuticien , le pire étant : « maïeuticien (sage-femme) ».
Il y a cependant des sages-femmes heureux de l’être. Dont l’un des trois premiers promus en France. Le constat est fait que le terme de « maïeuticien », dans les faits, n’est ni utilisé ni compris . L’un de ces heureux accoucheurs dit en outre que « maïeuticien » ne rend pas justice à l’amplitude de ses responsabilités, contrairement à « sage-femme »… Voilà des sages-femmes bien plus éclairés que les Immortels !
En effet, comme l’observe Claudie Baudino : « Vent debout contre les femmes qui réclameront en 1984 la féminisation des usages, l’Institution s’est réunie pour débattre de la désignation d’un seul homme. […] Au mépris des usagers, l’Académie a fait le choix de la distinction, sociale et masculine. »
Raphaël Haddad, docteur en communication, qui est à l’origine du Manuel d’écriture inclusive publié en 2016 (voir plus loin) analyse cet épisode dans une note de blog : « “Sage-femme” constitue […] un bel exemple si l’on veut démontrer combien l’inconfort dans les mots entraîne un inconfort social. » Inconfort social dont les locutrices font précisément l’expérience lorsqu’elles sont dites au masculin sans que les académiciens s’en émeuvent, au moins jusqu’à ce qu’ils comptent dans leurs rangs des femmes qui entreprennent de leur déboucher les oreilles.
1984-1986 Yvette Roudy, alors ministre des droits de la femme (sic), charge Benoîte Groult de présider une commission de terminologie afin de féminiser les titres, les noms de métiers et de fonctions pour que les femmes se sentent légitiment à exercer tous les emplois. Anne-Marie Houdebine était la linguiste en cheffe de cette commission, dont le travail conduira à la circulaire du 11 mars 1986 relative à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre.
Les linguistes québécoises ont été parmi les pionnières en la matière, et c’est l’évocation de leurs travaux que fait Anne-Marie Houdebine lors d’une conférence à laquelle Yvette Roudy a assisté qui a mené à cette entreprise. A.-M. Houdebine souligne l’intérêt du recours aux noms de métiers au féminin pour faire apparaître les femmes comme actrices sociales. Yvette Roudy tient en effet tout particulièrement à ce que sa loi du 13 juillet 1983 sur l’égalité professionnelle soit suivie d’effets : il faut lever les obstacles symboliques à la parité économique, les offres d’emploi doivent donc comporter les deux genres, féminin tout autant que masculin.
Extrait de l’entretien que j’ai réalisé en 2016 avec A.-M. Houdebine sur ce sujet : « À cause de la loi “dite Roudy” sur l’égalité professionnelle, la ministre nous a dit qu’elle était “accablée” de demandes des divers ministères la questionnant à propos des noms de métiers à proposer aux annonceurs (une majorité d’hommes généralement) qui les questionnaient. Ils ne trouvaient pas les mots. Preuve s’il en est que les Français·es sont insécurisé.es dans leur langue : elles/ils ne la savent pas. Elles/ils la croient existant seulement dans LE dictionnaire. Comme s’il n’en existait qu’un qui dise la langue, quand ce sont ses sujets parlants qui la font exister ! Mais, apparemment, ni les employés des ministères (des hommes pour la plupart dans les années 1980), ni les annonceurs, ni les publicitaires, qui pourtant n’hésitent pas à créer des néologismes, ne connaissent réellement la langue. À moins qu’il ne faille évoquer une causalité, plus politique, plus idéologique : la nomination des femmes est le cadet de leurs préoccupations. Et même, le fait qu’elles ne soient pas nommées comme actrice(s) sociale(s) ne les gêne aucunement. Comme disait Lacan, “la femme n’existe pas”, ce qui fait entendre ce sexisme : d’une femme, ce que la socialité attend, voire chacun, c’est la mère, l’épouse et la mère, mais une femme… de plus actrice sociale, c’est une tout autre affaire ! »
La commission, bien que mixte et très légalement constituée, fut aussitôt l’objet d’attaques qui méritent de rester dans les annales du sexisme débridé. Elle comportait pourtant des linguistes renommé·es et fondait ses propositions sur des enquêtes menées conformément à la méthodologie scientifique.
Les académiciens affirment que le genre grammatical et le sexe n’ont rien à voir ; ils oublient que les noms désignant des êtres sexués, en particulier les êtres humains et les animaux qui ont de la valeur pour nous, sont grammaticalement genrés conformément au genre de ces êtres. Ils omettent l’évidence : dans les noms de métiers, le masculin renvoie aux hommes (boulanger), et le féminin aux femmes (boulangère) ; leurs tribunes, publiées pour la plupart dans Le Figaro, regorgent de sous-entendus ou d’allusions sexuelles (accord de proximité), attestant de leur inaptitude à considérer les femmes autrement que que comme des objets sexuels – on comprend, soit dit en passant qu’Hélène Carrère d’Encausse, « secrétaire perpétuel » de l’Académie française, tienne à se désigner au masculin… L’entretien dans lequel le très distingué Georges Dumézil feint de croire qu’il faudra dire « la recteuse » ou « la rectoresse » parce que « la rectrice » désignerait de toute éternité la femme du recteur et finit par louer les mérites de « l’admirable substantif “conne” » après avoir évoqué Benoîte Groult est à cet égard des plus révélateurs de l’effet de panique que produisent sur les clercs des femmes qui s’autodésignent, se visibilisent en tant que citoyennes actives et œuvrent à la possible fin de l’hégémonie masculine.
C’est cette panique académique et les sophismes qu’elle inspire que nous avons analysés dans L’Académie contre la langue française (iXe, 2015). Ouvrage tout aussi comique que sérieux tant ces académiciens qui ne sauraient voir de féminins sont de précieux ridicules !
Nous recevons aujourd’hui Sarah Delale, agrégée de lettres modernes et docteure en littérature française. Elle a enseigné à l’université Sorbonne-Université, Lyon II et est et actuellement chargée de recherches post-doctorales à l’université de Louvain-la-Neuve. Sa thèse portait sur la composition et la mise en livre de la narration dans l’oeuvre de Christine de Pizan, autrice de langue française du XVe siècle ; ce travail a donné naissance à l’ouvrage dont nous parlons aujourd’hui, Diamant obscur : Interpréter les manuscrits de Christine de Pizan, publié aux éditions Droz cette année. Elle est également la co-autrice avec Lucien Dugaz d’un ouvrage sur Le Livre du Duc des vrais amants de Christine de Pizan paru aux éditions Atlande en 2016 et a collaboré à plusieurs ouvrages scolaires et parascolaires aux éditions du Robert ces dernières années.
Nous déroulerons cette interview en 3 temps : nous aborderons d’abord l’oeuvre de Christine et sa popularité, puis nous parlerons des recherches de Sarah Delale sur Christine de Pizan et nous finirons sur son positionnement propre en tant que chercheuse et autrice.