Denis Diderot naît en 1713 à Langres.
Le fils prodigue. Son père est maître coutelier et appartient aux notables de la ville. Il destine son fils au clergé. Il lui paye des études chez les jésuites de la ville puis à Paris à Louis-le-Grand et au collège d’Harcourt. Diderot déçoit les ambitions de son père en abandonnant la théologie, puis le notariat pour une carrière plus incertaine de philosophe. En 1737, son père lui coupe les vivres. Diderot gagne sa vie en exerçant le métier de précepteur et de traducteur. Il continue à décevoir son père en épousant en 1743 Antoinette Champion, lingère. Son père l’avait fait enfermer dans un monastère pour éviter cette union, mais il a réussi à s’échapper. Le ménage ne sera pas heureux, mais aura quatre enfants dont une seule fille grandira, Angélique née en 1753.
Des débuts sulfureux. Diderot fréquente le milieu des penseurs et des écrivains. Il se lie notamment avec Rousseau et Condillac. Il publie les Pensées philosophiques en 1746 et écrit la Promenade du sceptique en 1747. Il hésite entre déisme, spinozisme et matérialisme. C’est vers ce dernier qu’il va définitivement pencher dans la Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient publiée en 1749 et aussitôt censurée. Il est emprisonné trois mois à Vincennes. Cette condamnation le marquera toute sa vie et l’incitera à la prudence. Ainsi, la trilogie qui expose sa philosophie matérialiste et ses conséquences sur la morale, Entretien entre d’Alembert et Diderot, Le Rêve de d’Alembert, et La suite de l’entretien ne paraîtront qu’après sa mort.
L’Encyclopédie. La publication de l’Encyclopédie occupe la vie de Diderot de 1751, date de la parution du premier volume, à 1766, date de la parution du dernier volume. Il pilote le projet avec d’Alembert et rédige de nombreux articles. Sa contribution est difficile à évaluer car tous les articles ne sont pas signés. Cette fois encore Diderot est marqué par la censure qui frappe l’oeuvre. En 1759, la parution est suspendue et D’Alembert abandonne le projet. La publication se poursuit clandestinement mais peut officiellement reprendre en 1762. Diderot est vivement déçu en découvrant en 1764 que son libraire Le Breton a lui-même censuré de nombreux articles. Sur le plan privé, cette période est marquée par deux rencontres celle de Sophie Volland en 1755, qui restera en plus d’une amante une amie fidèle, et celle de Madame d’Epinay en 1756. En 1758, il rompt avec Rousseau à qui il ne pardonne pas de se désolidariser des autres encyclopédistes à une période où ils sont critiqués de toutes parts.
Le critique d’art. Diderot s’intéresse de prêt à l’art. Il écrit en 1752 l’article « Beau » de l’Encyclopédie. Il s’intéresse à la musique. Il collabore avec Rameau à la rédaction de la Démonstration du principe de l’harmonie. Il se penche également sur le théâtre (Discours sur la poésie dramatique, Paradoxe du comédien) et le roman (Eloge de Richardson). Il est reconnu pour son goût en peinture et acquiert au nom de l’impératrice Catherine II de Russie plusieurs tableaux. Il publie neuf comptes-rendus des Salons qui se tiennent tous les deux ans dans la Cour Carrée du Louvres (1759-1771,1775,1780). Il est ainsi considéré comme l’un des pionniers de la critique d’art. Il admire particulièrement Vernet, La Tour, Chardin, Greuze et David. Il développe une théorie de l’art comme traduction de la nature.
Le conseiller politique. En 1762, Catherine II achète en viager la bibliothèque de Diderot afin qu’il puisse et la conserver et jouir d’une rente. Il est régulièrement invité par la souveraine à Saint-Pétersbourg où elle entend profiter de ses conseils éclairés. Il ne cède à l’invitation qu’au bout de onze ans et séjourne en Russie de juin 1773 à octobre 1774. Diderot ne se fait aucune illusion sur le despotisme, qu’il soit ou non éclairé, et croit beaucoup en l’éducation. La tsarine ne suivra pas ses conseils (Observations sur le Nakaz, 1774 ; Plan d’une université, 1775). A la fin de sa vie, il suit les changements : l’arrivée de Louis XVI au pouvoir, les réformes de Turgot, la révolution américaine (Apostrophe aux Insurgents, 1778).
Le sage. A la fin de sa vie, Diderot relit Sénèque (Essai sur la vie de Sénèque ouEssai sur les règnes de Claude et de Néron) et revient sur les interrogations que la paternité a fait jaillir en lui. Il a en effet choisi de marier sa fille et de l’élever dans la religion catholique, deux institutions auxquelles il ne croit pas. L’éducation de sa fille, de même que la censure dont il a été victime, l’a en effet confronté à l’opposition entre la société et la morale qu’il pense juste et qu’il expose notamment dans Les trois contes moraux. Il a remarqué qu’il était difficile de s’opposer aux normes de la société. Il a donc choisi la liberté du sage qui, sans s’abstenir de penser, sait s’abstenir de parler et d’écrire. Diderot s’est seulement abstenu de publier. A la fin de sa vie, il met de l’ordre dans ses papiers et recopie ses œuvres en vue d’une publication posthume. Ainsi la plupart des œuvres aujourd’hui les plus célèbres de Diderot n’ont pas été éditées de son vivant. Elles ont parfois été diffusées dans la Correspondance littéraire, mais cette revue avait un tirage restreint à une douzaine d’exemplaire : La Religieuse, le Neveu de rameau, Jacques le Fataliste et son maître, Les trois contes moraux…
Il meurt à Paris en 1784.
La Religieuse
Le roman est un récit à la première personne adressée par Suzanne Simonin, une religieuse qui s’est échappée de son couvent, au marquis de Croismare de qui elle attend de l’aide. Elle lui raconte comment elle a été forcée à prendre le voile par ses parents et combien elle a souffert depuis (torture, viol…).
Genèse et publication. La religieuse est un personnage de fiction, tandis que le marquis de Croismare est un personnage réel. En 1760, Diderot, Grimm et quelques amis montent un canular contre celui-là dans le but de le faire revenir à Paris. Ils rédigent et envoient des lettres d’une fausse religieuse en fuite au marquis. Grimm révèle la farce en 1770 dans la Correspondance littéraire, texte qui deviendra la Préface de la Religieuse. La farce ne dure que quatre mois, de février à mai 1760, mais Diderot en tire l’argument d’un roman qu’il rédige entre 1762 et 1780. Il le fait alors lire aux lecteurs de laCorrespondance littéraire. Il est publié de manière posthume en 1796.
Réception de l’œuvre. L’œuvre paraît sous le Directoire en plein dans le débat sur la responsabilité des philosophes vis-à-vis de la Terreur. La Religieuseillustre l’anticléricalisme. Mais elle est surtout l’objet d’un débat esthétique sur sa vraisemblance d’une part (est-ce une satire ou la réalité ?), sur sa bienséance d’autre part, en raison de la mise en scène de l’homosexualité.
L’œuvre a donné lieu à beaucoup d’études sur sa genèse et sur ses apports au genre romanesque, notamment en parallèle avec Jacques le fataliste et son maître. Elle a également nourri des réflexions sur l’autobiographie. D’autre part, des études soulignent les thèmes féministes de l’œuvre.
Jacques Rivette décide d’adapter le roman au cinéma en 1962. Il se heurte à la censure pendant trois ans. Le tournage a finalement lieu en 1965 avec Anna Karina dans le rôle titre. Sa sortie est interdite sous la pression d’associations religieuses. Elle est finalement autorisée par Malraux, ministre de la culture sous le titre Suzanne Simonin, la religieuse de Diderot. Le cinéaste a déclaré s’inscrire dans le combat des femmes pour leur émancipation, plutôt que dans une perspective anticléricale (Cf. Suzanne Simonin ou la Religieuse : Jacques Rivette de Valérie Vignaux, Céfal, 2005.)
Bibliographie
D. Diderot, La Religieuse, Garnier-Flammarion.
LEPAPE Pierre, Diderot, Flammarion, 1991.