A première vue, si on lit ou plutôt relit l’œuvre rapidement, le roman n’a non seulement pas l’air féministe mais il a surtout l’air réac et on est prêt à hurler contre les mères (à commencer par les nôtres comme toujours) de mettre un tel roman dans les mains des petites filles. Il est vrai que sans précaution aucune ce roman a l’air d’une promotion pour la maternité la femme au foyer les valeurs familiales, couture, cuisine et bons sentiments…Pourtant l’auteure était une militante pour le droit de votes des femmes. Où est l’erreur ?
Je pense qu’il faut replacer l’œuvre dans son contexte historique comme nous y invite Virginia Woolf dans Les femmes et le roman ou dans Une chambre à moi. Et là on retombe sur mon leitmotiv dans ce bookclub (maintenant je n’hésite plus depuis que j’ai vu que je pouvais l’appuyer sur Woolf…) : c’est le geste qui est féministe. A l’époque de Louisa May Alcott il n’est plus étonnant qu’une femme écrive un roman (quoique…) mais écrire un roman qui parle des femmes entre elle… C’est presque scandaleux car cela n’a aucun intérêt. Et oui que peuvent les pauvres femmes ? Et c’est précisément le choix du roman : montrer que les femmes seules peuvent vivre et être heureuses. Le roman présente la famille March à l’époque où le père est absent. C’est la guerre. Et c’est bien connu c’est en cette période que les femmes doivent se débrouiller seules et peuvent ainsi s’affirmer.
C’est ce que font Mrs March et ses filles.
Alors en entrant dans le roman, on retrouve pleins de thèmes féministes : la mère peut élever seule ses enfants, les femmes peuvent travailler (avec le retour du thème de la gouvernante p. 125), les femmes ont droit au bonheur et pour cela elles ont le droit de se marier ou de ne pas se marier ( p. 92), désir d’indépendance de Jo (p. 145). C’est bien sûr au personnage de Jo que va la sympathie du narrateur : c’est elle la féministe qui déclare ne pas vouloir se marier, veut écrire faire de la politique et regrette de ne pas être un garçon pour avoir une vie plus drôle et passionnante (p.4/ cela explique pourquoi Louis May Alcott parle de sa vie : elle n’a pas d’autres expériences. Virginia Woolf le remarque dans son article « Les femmes et le roman » p. 84 : les femmes n’ont qu’une expérience réduite d’où un choix de thèmes réduits dans leur roman).
Mrs March elle aussi est une femme libérée : elle prend sa vie en main et invite ses filles à faire de même (en leur offrant le livre du pèlerin), elle le reconnaît le droit au bonheur. Sa modernité est flagrante quand on la met en contraste avec Tante March qui incarne le monde ancien où on doit faire de bons mariages et avoir l’air d’une demoiselle. Mrs March combat la vanité et la coquetterie chez ses filles (essentiellement chez Meg et Amy). Les féministes d’aujourd’hui y verraient là un combat contre la dictature de la mode qui veut transformer la femme en objet sexuel… N’allons pas si loin et laissons Mrs March dans son époque. Elle est d’abord une chrétienne qui défend la vérité contre la vanité, mais en dégageant ses filles de la mode et de la coquetterie elle les libère des préjugés et des stéréotypes, elle leur permet d’être elle-même et pas des poupées (Cf. épisode où Meg goes to vanity fair chap. 9). Il y a donc bien du féminisme : Mrs March affirme que ses filles ont par elle-même une valeur et n’ont pas de rôle à jouer.
Donc ce roman est féministe pour son époque. On y retrouve la fameuse match point, mais aussi celui de la femme écrivain et une idée nouvelle semble ici introduite : être soi-même./
Personnellement j’ai toujours aimé ce roman pour ce message de liberté. J’aurais bien voulu avoir mrs March pour mère…
« Si Emily Dickinson s’inscrit dans la lignée des grands poètes de l’amour, une lecture attentive de tous les poèmes des cahiers laisse percevoir que la passion est néanmoins loin d’occuper tout l’être du poète. Dans cette période troublée de son existence, au seuil de la maturité, on l’y voit partagée entre désir de jouissance et consentement à la solitude. La passion, par son impossibilité même, l’incite à méditer sur le mariage, en tant que symbole de fusion entre deux êtres, à prendre ses distances vis-à-vis de ce qu’elle considère au terme de sa réflexion comme une utopie (il faut lire au second degré les poèmes où l’on croit déceler une nostalgie quelconque) et à le projeter dans un avenir intemporel : « Mariage nouveau, / Par des Calvaires d’Amour – légitimé ». L’accomplissement de l’amour dans le temps – quand bien même les circonstances s’y seraient prêtées – n’est pas une solution pour cette sœur d’Emily Brontë, non plus que pour la Catherine Earnshaw des Hauts de Hurlevent.
On peut même se demander si la passion n’est pas une concession du poète au romantisme, un thème littéraire dont cette lectrice avide des Brontë, des Hauts de Hurlevent mais aussi de Jane Eyre et, dans son pays, de Longfellow, s’est emparée pour y couler son mal de vivre dans un temps déserté par l’absolu. Ceci expliquerait qu’à l’intérieur de chaque cahier elle puisse abandonner assez aisément la posture de poète-amante pour se livrer à la spéculation, à l’exploration d’états extrêmes ou à des activités plus ludiques de la poésie. »
Claire Malroux, Préface à E. Dickinson, Une âme en incandescence
We never know we go when we are going –
We jest and shut the Door –
Fate – following – behind us bolts it –
And we accost no more –
Ce court poème, justement parce qu’il est bref, me semble illustrer l’idée d’irréversibilité propre à toute séparation définitive (et, par conséquent, à la mort). A travers une seule image, celle de la porte qui se ferme, c’est tout le drame de l’éloignement et de la séparation qui est manifesté : la porte empêche toute communication, elle s’oppose au regard, au toucher, voir à la voix. Je suis aussi très sensible à l’ironie (que tu avais relevée à propos d’un autre poème, même si ici c’est une ironie pessimiste, un peu résignée) à l’œuvre dans ce texte : alors même qu’un drame se joue (une séparation définitive), nul ne s’en rend compte, et nul n’agit conformément à ce drame. Ce qui est, en réalité, solennel, est vécu comme quelque chose d’anodin : on plaisante au moment de fermer la porte, ne s’apercevant pas de ce qui est en train de se passer – le destin la verrouille derrière nous, et on ne revient plus (sic). Il y a donc toujours un décalage entre ce qui se passe en vérité et la perception qu’on en a : on ne peut comprendre pleinement les événements qui nous changent qu’une fois qu’ils sont passés, et que le changement est entériné. Ceci installe dans une attitude de nostalgie vis-à-vis d’un passé perdu, et peut distiller une certaine angoisse vis-à-vis du futur : car comment savoir profiter, à l’avenir, d’un « dernier » moment, puisqu’on ne pourra savoir qu’il était le dernier que quand il sera (déjà) trop tard ?
This is my letter to the world,
That never wrote to me,–
The simple news that Nature told,
With tender majesty.
Her message is committed
To hands I cannot see;
For love of her, sweet countrymen,
Judge tenderly of me!
Je ne sais pas pourquoi mais ce poème me touche beaucoup. En le lisant je me sens proche de l’auteure. Il exprime à la fois l’indifférence du monde et l’amour du poète. Elle aime ces mains qu’elle ne connaît pas et qui ne lui répondront pas.
Je pense aussi qu’il faut voir dans ce poème une métaphore du rapport entre le poète, ses œuvres et ses lecteurs. Ils ne lui répondront pas 1) parce qu’elle ne les connaît pas 2) parce qu’elle aura des lecteurs après sa mort. Elle leur demande de la juger tendrement. Cela exprime une angoisse à publier : en publiant ses poèmes c’est elle-même qu’elle livre à des inconnus dont elle ne peut rien pour corriger le jugement. Et s’ils la comprenaint mal ?
Charlotte Brontë’s Grave.
ALL overgrown by cunning moss,
All interspersed with weed,
The little cage of ‘Currer Bell,’
In quiet Haworth laid.
This bird, observing others,
When frosts too sharp became,
Retire to other latitudes,
Quietly did the same,
But differed in returning;
Since Yorkshire hills are green,
Yet not in all the nests I meet
Can nightingale be seen.
Gathered from many wanderings,
Gethsemane can tell
Through what transporting anguish
She reached the asphodel!
Soft fall the sounds of Eden
Upon her puzzled ear;
Oh, what an afternoon for heaven,
When ‘Brontë’ entered there!
For death- or rather
For things’ twould buy
This- put away
Life’s Opportunity-
The Things that Death would buy
Are Room-
Escape fom Circumstances
And a Name.
With Gifts of life
How Death’s Gifts may compare
We know not-
For the Rates- lie there
Ce poème me touche. Je ne sais trop expliquer pourquoi car j’avoue mal le comprendre. Est-ce une condamnation du suicide ?? Je ne pense pas. La mort apporte « achète » des dons : espace, fuite et réputation. Pourquoi « achète » ? Avec quoi et à qui ? Peut-être parce qu’on paie le prix de sa vie. Elle explique que la mort peut être préférée mais qu’on ne peut pas savoir si c’est un bon choix vu que personne n’est revenu pour témoigner touche d’irnie).
Le style est très particulier. Je n’aime pas particulièrement. Très peu de poèmes me touchent. Je suis perplexe quant à l’analyse, ce n’est pas comme un roman. Je pense qu’Emily Dickinson avait une conception de la création littéraire proche de la nôtre. Elle écrivait pour elle, pour ses proches sans véritable souci de plaire ou d’être publiée. C’est ce qui me plait le plus chez cette auteure et ce que je trouve de plus féministe chez elle.
Mots pour qualifier les poèmes de Dickinson : brièveté, humour, émotion, désespoir (parfois il me semble qu’elle a perdu la foi, elle exprime en tout cas une distance avec la religion).
Thèmes dominants de l’œuvre : mort, absence, nature, temps.
J’ai choisi deux poèmes qui m’ont touchés.
Vivre avant l’éveil, édition bilingue Arfuyen « textes anglais », Paris, 1989. Postface de Margherita Guidacci.
+ poèmes en lignes sur http://www.online-literature.com/dickinson/
J’en avais lu il y a quelques années.
Quelques mots de George Eliot sur la question des femmes, qui montrent les limites de son féminisme :
“There is no subject on which I am more inclined to hold my peace and learn, than on the « Women Question ». It seems to me to overhang abysses, of which even prostitution is not the worst. Conclusions seem easy as we keep large blinkers and look in the direction of our own private path.
But on one point I have a strong conviction, and I feel bound to act on it, so far as my retired way of life allows of public action. And that is, that women ought to have the same fund of truth placed within their reach as men have…
I have been made rather miserable lately by revelations about women, and have resolved to remain silent in my sense of helplessness.”
Il s’en dégage une sorte de féminisme “élististe” (à la Françoise Giroud ?), qui peut ne pas être tout à fait exempt d’une certaine misogynie (cf, à nouveau, le traitement du personnage de Rosamond).
J’ai l’impression qu’en épousant Casaubon, Dorothea épouse, en quelque sorte, la « carrière » intellectuelle qu’elle ambitionne – Casaubon étant alors lu comme la figure allégorique de la vocation à l’étude et au savoir. Mais cette vocation est ingrate, insatisfaisante, et l’isole plutôt qu’elle ne l’ouvre au monde (voir l’échec du mariage entre Dorothea et Casaubon). C’est autrement qu’elle doit apprendre à vivre ses aspirations, et cette autre manière de les suivre serait incarnée par Ladislaw, qui devient un homme politique, mettant son intelligence au service des autres. La bonne manière de se servir de son intelligence serait-elle donc l’altruisme et non l’érudition solitaire et égoïste ? On retrouverait alors une vision de l’écriture proche de celle de George Sand.