Je voulais aussi relever le passage où V. Woolf reproduit la lettre où son interlocuteur justifie son refus de lui donner 1 guinée. A un moment, il déclare que les femmes ne peuvent pas siéger dans une assemblée sérieuse (intellectuelle ou politique) parce que son éducation « de femme » (à la coquetterie) la pousserait à distiller autour d’elle une atmosphère de séduction qui ne cadrerait pas avec le but poursuivi par cette assemblée. » « Mademoiselle » peut évoquer le froufrou des jupons, l’arôme d’un parfum (…). Ce qui charme, apaise dans une demeure privée, peut distraire, exaspérer dans un bureau. »
Ainsi, l’homme en question, qui participe, par sa vision des choses, à encourager cette éducation des femmes à la coquetterie qui les chosifie (elles se transforment en poupées), prend cette éducation comme motif à éloigner les femmes du bureau : c’est un cercle vicieux ! Il pose un parti-pris (les femmes à la maison, les hommes à l’extérieur) en tire les conséquences (les femmes deviennent des poupées) et utilise cette conséquence pour justifier son parti-pris (les poupées n’ont pas leur place dans un bureau). C’est un argumentaire totalement fallacieux!
J’observe en passant que ce pouvoir de séduction qu’auraient infailliblement les femmes leur est compté comme un vice, un désavantage, quelque chose dont on peut leur faire un reproche. En réalité, c’est bien un pouvoir que les femmes peuvent avoir, en l’occurrence, sur les hommes – et c’est justement pour cela qu’on a pu leur faire le reproche, et tenter de le juguler. En reprochant aux femmes de les séduire, en attribuant à ce pouvoir de séduction la source légitime de tous leurs maux (cela va d’Eve tentatrice aux femmes violées desquelles on dit : « elle l’avait bien cherché, elle portait une jupe la nuit »), les hommes concernés ne font qu’avouer leur faiblesse (et leur esprit de tyrannie).
D’après son journal, Virginia Woolf comptait écrire un essai sur la sexualité féminine. Or la sexualité me semble absente deTrois guinées…
Simple hypothèse de ma part : la sexualité n’est-elle pas un versant de l’indépendance des femmes que l’argent ne peut pas acheter? Le seul sans doute…
V. Woolf met en avant l’importance qu’a prise la première guerre mondiale dans l’évolution des mentalités touchant la question des femmes. Elle décrit la manière dont les femmes ont occupé la place des hommes en leur absence, se sont mise à travailler, et ont ainsi acquis une autonomie, non pas tant financière cette fois que mentale. Cette libération de leur carcan joue donc, observe-t-elle, en faveur d’une promotion de la guerre : puisque c’est lorsque les hommes sont sur le front que les femmes peuvent se sentir exister, elles les encourageront à s’engager. Il faut donc les aider à se libérer autrement, si on ne veut pas les pousser à promouvoir la guerre.
Dans ce passage, ce qui m’a intéressé, c’est l’idée – chère à Hegel – d’une libération par le travail. Mais je surinterprète peut-être, parce que V. Woolf n’accentue pas vraiment ce point. Elle ne décrit pas la manière dont le travail désaliène, mais insiste plutôt sur la puissance libératrice d’une véritable éducation, car d’une véritable culture.
Je me demande, du coup, si on ne retrouve pas là un peu de son préjugé de départ (que j’appelais « préjugé de classe »), selon lequel ce qui importe, c’est la culture, la valeur du savoir, et non le travail dans son aspect le plus concret (les femmes en 1914 « conduisent les camions » etc).
Virginia défend le droit des femmes à gagner leur vie à égalité avec les hommes. Elle s’oppose aux mouvements qui voudraient les faire retourner aux fourneaux. P. 103 Le travail des mères au foyer ne mérite pas salaire selon les hommes qui gouvernent. La moitié des revenus de son époux (p.104) ne lui sont pas versés en main propre. Le mari peut le lui donner ou non et elle n’a pas la liberté de le dépenser comme elle veut. Il faut noter ici que Woolf s’oppose au fascisme et au nazisme qui veulent faire revenir la femme au foyer.
On pourrait donc ranger le texte de Woolf comme un témoignage du passé : aujourd’hui il est loin le temps où les femmes ne pouvaient pas travailler sans la signature de leur mari, ou louer un appart sans l’accord de leur père…
Pourtant, lorsque je lis la page 94 traitant de l’égalité des sexes dans les salaires et l’accès à la fonction publique. J’hésite à enterrer le texte…Il est intéressant de remarquer que ce texte aurait pratiquement pu être écrit aujourd’hui et publier dans une colonne du Monde. Idem pour d’autres passages p. 184 : pour l’égalité des femmes dans le travail ; p. 198-208 : place des femmes dans l’Eglise.
L’élément qui m’a le plus marquée dans Trois guinées, c’est la revendication que mène V. Woolf pour l’indépendance financière des femmes. C’est de là que dépend leur indépendance intellectuelle et mentale, affirme-t-elle : être indépendante financièrement, c’est sortir de la sphère d’influence du père et du frère, les figures masculines de la maison. L’anecdote concernant l’emploi de préceptrice que prend une jeune fille et pour lequel son père lui demande de ne pas être rémunérée est bien choisie, et bien analysée : pourquoi lui demande-t-il cela, en arguant qu’être payée ne serait pas digne d’elle, alors qu’il est lui-même payé pour le travail qu’il accomplit? Il y a là une contradiction, et donc la trace d’une mauvaise foi, manifeste.
Pourtant, je me demande comment comprendre cette volonté d’indépendance : V. Woolf était-elle financièrement indépendante elle-même?
V. Woolf insiste beaucoup sur le sort des « filles d’hommes cultivés » et sur la différence de traitement qui existe entre elles et leurs frères. Mais quid des femmes en général, que leurs pères soient cultivés ou non? Pourquoi dénoncer comme une injustice le fait que les filles d’hommes cultivés en particulier ne soient pas cultivées, et pas le fait que l’éducation soit le privilège des garçons et d’une certaine classe? Y aurait-il une forme d’aristocratie chez V. Woolf? Quand elle dénonce la tyrannie et la mysoginie, ne participe-t-elle pas par ailleurs au même type de rejet infondé, qui relèverait quant à lui des préjugés de classe?
Je laisse la question ouverte au débat.
Si l‘on doit inscrire Louisa May Alcott dans un courant féministe, ce ne serait pas dans celui de Beauvoir, même si je maintiens ce que j’ai dit plus haut.
En effet, elle défend l’existence d’une nature féminine différente de celle des hommes. Et si elle réclame aux femmes des droits, c’est au nom de cette différence, au nom de la valeur de vertus féminines.
Ainsi Jo en voulant s’adapter au marché, au lecteur « profane » ses vertus féminines…p. 140 « she was beginning to desecrate some of the womanliest attributes of woman’s character. » ; p. 141 : « the natural instinct of a woman for wht was honest, brave, and strong »
Mrs March et ses filles en effet illustrent très bien l’ « éthique de la sollicitude » développée par des féministes américaines comme Susan Moller Okin.
De plus, l’importance accordée à la famille s’inscrit bien dans ce mouvement féministe qui est un communautarisme.
Tu vas sans doute ressortir ton argument sur la solidarité familiale : le non- sacrifice de la femme n’a pour but que de protéger la famille, pas le bonheur de la femme elle-même. Je pense que dans le roman l’un de va pas sans l’autre… On peut bien sûr discuter ce lien… Je pense qu’on peut l’accepter : il faut de l’amour pour exister, ne pas être seul… Maintenant, on peut étendre la notion de famille aux amis, au gens qui vous aiment. Ainsi on a une vision moins conformiste que celle de la famille March.
De toutes façons dans le roman, tout le monde, hommes et femmes, doivent se sacrifier pour la famille…Je pense que c’est un autre débat qui n’a pas forcément à voir avec la question du féminisme.
Je pense que le problème c’est que la figure de Mrs March est trop idéalisée : évidemment personne ne penserait à aller contre elle, et tout enfant rechercherait sa bénédiction pour son mariage. Tout le monde, comme Laurie veut entrer dans la famille March…. Il faut se demander : mais lorsque les parents ne sont pas aussi parfaits que les March ? Il est vrai alors que le modèle proposé ici ne convient pas, il faut trouver une famille ailleurs…
A travers les 4 sœurs, Louisa May Alcott aborde les différents moments de la vie d’une femme, les différents choix qu’elle peut faire.
Meg permet d’aborder les difficultés face à la vie de la femme au foyer, Jo les difficultés de celle qui veut mener une carrière professionnelle au risque de rester « vieille fille », Amy les difficultés de celle qui veut faire un beau mariage. Quant à Beth, elle est un cas à part, car elle meurt avant de devenir une femme.
Deux destins sont proposées à la femme : le mariage (le titre est assez clair là-dessus) ou la mort (Beth). Etre une épouse ou un ange. Même Jo, d’abord rebelle au mariage, s’y convertit (p. 241).
Face à ce choix réduit de destinée, on peut s’interroger sur le féminisme de l’ouvrage. Il y a d’ailleurs dans le roman des préjugés sur la « nature » des femmes et la « nature » des hommes qui m’ont fait bondir. Je pense en particulier à la description de Demi et Daisy remplie de clichés (p. 177) ou à Meg qualifiée de « modern Eve », (p. 61 )parce qu’elle sacrifie les économies du ménage pour des vêtements, comme si la frivolité était réservée aux femmes, comme si c’était elle qui apportait toujours le mal…
Le roman n’échappe pas à certains préjugés de l’époque certes : notamment celui qui dit que l’amour ne peut se vivre que dans le mariage. C’est en effet l’amour qui est la destinée de la femme, comme nous l’avons remarqué dans le premier volume. Les filles March feront un mariage d’amour, celui qui convient le mieux à leur caractère, même Amy qui voulait un riche époux ne prend pas le premier venu…
Je trouve que, encore une fois si on ôte certains préjugés propres à l’époque de l’auteur, si l’on a l’esprit que la répartition des rôles sociaux est conventionnelle, le roman propose une analyse assez subtile. Il évite les portraits idylliques : la vie au foyer de Meg n’est pas plus simple que l’indépendance revendiquée de Jo. Et c’est toujours d’amour que l’on a besoin au fond…
Je pense ainsi que la description de la vie de Meg peut être mis en parallèle avec le Deuxième sexe, tome II, chapitre V qui expose les idées reçues sur la vie d’épouse et de mère. Meg au moment de son mariage se fait une représentation idéalisée de la vie de femme mariée : p. 51 “Like most other young matrons, Meg began her married life with the determination to be a model housekeeper.”. Plus précisément, pour elle, être une maîtress de maison modèle signifie que “John should find home a paradise”. Mais très vite, elle se rend compte que cette perfection n’est pas possible, qu’elle va y laisser ces nerfs… Une évolution se fait donc, un nouveau contrat entre le mari et la femme… Bien sûr, on est très loin des rapports entre époux revendiqué aujourd’hui… Mais tout de même, je trouve que dans le cadre femme au foyer/ homme au travail, la relation qui se tisse entre Meg et John est respectueuse des deux époux et de leurs besoins respectifs…
De même quand Meg devient mère, elle tombe dans le piège qui consiste à croire qu’elle doit se sacrifier toute entière à ses enfants. Or, comme le remarque Simone de Beauvoir, cela ne peut engendrer que de la frustration et nuire à la femme et à toute la famille. Comme le dit Mrs March P. 192 « If you get dismal, there is no fair weather ». Ici je pense prouver que tu avais tort en pensant à la lecture de Little women que l’auteure réduisait le destin des femmes à être une bonne mère : « Si la femme se marie, ce n’est pas tant pour devenir une épouse que pour devenir une mère et fonder une famille. »
Le message passé à travers Meg est donc qu’une femme ne doit se sacrifier ni à son époux ni à ses enfants. Son équilibre passe par un savant dosage entre son mari, ses enfants et elle.
Badinter soutient (avec les difficultés que l’on a relevées) une position libérale. Avec cet argument courant chez les féministes libérales : dire que le porno, la prostitution, le viol même est une violence fait au femme n’est pas défendable car l’on remet en cause la libération sexuelle et plus encore la liberté d’expression.
Ah qu’il est difficile de s’opposer aux défenseurs de la liberté d’expression sans passer pour une vile moraliste, aigrie et frustrée (et surement lesbienne)!
Caroline West pourtant le fait car elle répond aux féministes libérales en restant dans leur camp et montre que l’on peut en restant libérale condamner la pornographie… L’article est très intéressant. Il est en ligne http://www.arts.usyd.edu.au/departs/philos/staff/west.html et s’intitule ‘The Free Speech Argument Against Pornography’.