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[club] Susan Moller Okin – Justice, Gender and the Family : La famille idéalisée

[photopress:Famille_Stamaty_par_Ingres.jpg,thumb,pp_image] Susan Moller Okin remarque que la plupart des théoriciens de la justice sociale ont une vision idéalisée de la famille. Rawls y voit, par exemple, le lieu où l’enfant intègre la notion de justice, notion dont l’intellection est suscitée par les sentiments d’amour et de bienveillance mutuelle censés lier naturellement ses membres.

[photopress:okin.gif,thumb,pp_image]Deux problèmes se posent alors : d’abord, il est évident que toutes les familles sont loin de correspondre à un tel idéal, sans pour autant que les enfants qui en sont issus soient dépourvus de tout sens de ce qu’est la justice ; ensuite, cette définition de la genèse de la notion de justice chez Rawls semble aller totalement à l’encontre de ce qu’il dit, par ailleurs, de la manière dont conduire les individus à déterminer ce qui est juste dans une société, à savoir ce voile d’ignorance qui les oblige à adopter une vision objective et rationnelle de la distribution des biens devant être mise en place dans une société à construire.

Rationalité contre émotion : la justice relève-t-elle de la réflexion ou du sentiment? Dans tous les cas, la famille n’a rien à voir avec son développement, et ce n’est donc pas parce qu’une femme se consacrera à son rôle de mère qu’elle participera pour autant au maintien, dans la société, d’un bon niveau de justice interpersonnelle.

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[club] Susan Moller Okin – Justice, Gender and the Family : Traces des usages sexistes

[photopress:susan_moller_okin.jpg,thumb,pp_image]Au chapitre 6, Susan Moller Okin rapporte une remarque intéressante concernant la distinction des titres appliqués aux seules femmes : « He (Walzer) points out that the extent to which women are still designated and defined by their position within the family is symbolized by the continued use of the titles Miss and Mrs. The absence of universal title, he says, suggests the continued exclusion of women, or of many women, from the social universe ».

Une autre trace des usages sexistes contre lesquels les femmes se sont durement battues apparaît dans la règle perdurante de grammaire selon laquelle : « le masculin l’emporte ». Lorsqu’elle est expliquée à des étrangers (anglophones par exemple), cette règle se révèle explicitement sexiste. L’usage systématique du pronom personnel de la 3ème personne du singulier masculin (il, lui) est elle aussi symptômatique. Nos usages sont loin d’être neutres, et ceci est d’autant plus aberrant que toute autre forme d’usage de ce type, qui viserait à discriminer, par exemple, les « races » ou les classes sociales, serait immédiatement pointée du doigt comme discriminatoire et universellement condamnée – ce qui n’est jamais le cas pour les discriminations touchant les femmes.

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[club] Susan Moller Okin – Justice, Gender and the Family : Justices arithmétique et géométrique

[photopress:suffragettes.jpg,thumb,pp_image]Si l’on en remonte à Aristote, il faut faire une distinction entre la justice (arihmétique) qui réclame que chacun se voit distribué la même chose que tous les autres et celle (géométrique) qui dispense « à chacun selon » – son mérite, son talent etc. Je me suis donc demandée si la justice sociale dont traitent les auteurs incriminés par Moller Okin n’entendent pas la justice dans son acception géométrique (une « juste » répartition des tâches suivant ici le principe du : « à chacun selon son genre ») plutôt qu’arithmétique (les mêmes tâches et droits pour tous). Dès lors, l’organisation genrée de la société ne peut plus les choquer, ni constituer d’objection à leur théorie ; mais l’adoption du genre comme critère de distribution est, quant à lui, hautement problématique.

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[club] Susan Moller Okin – Justice, Gender and the Family : Les présupposés des théories de la justice sociale

[photopress:mollerokin.jpeg,thumb,pp_image]La question que pose Moller Okin dans ce volume est à la fois dérangeante et stimulante : les théoriciens de la justice sociale ont-ils pensé aux femmes? Ont-ils pris en compte les injustices qui leur sont faite? Et j’ai été stupéfaite de constater que j’étais moi-même passé à côté de cette évidence : ces théories ne peuvent s’appliquer dans une société genrée où les femmes sont, autant que les hommes, des individus. La « lutte des genres » est tout aussi importante que la lutte des classes – mais les différences de traitement infligé aux femmes ne sont pas considérées comme des injustices, au contraire des discriminations perpétrées à l’encontre des classes populaires, ou des immigrés, par exemple.

Pourquoi cet aveuglement? Tant que le sexisme ne sera pas universellement et explicitement reconnu comme injuste, tant qu’il s’articulera à des arguments selon lesquels une discrimination homme/femme est « naturelle », le problème continuera de se poser. On se permet plus facilement de plaisanter sur l’imbécilité des « blondes » que sur les idées reçues à l’encontre des juifs etc : cela suffit à valoir d’indicateur quant à l’évolution des mentalités.

Reste que, dans le cas présent, si les théoriciens de la justice sociale n’ont pas pris en compte la distinction des genres, c’est peut-être parce que la question qu’ils examinent naît d’abord de considérations économiques, donc de problèmes de classes, qui semblent, à première vue, n’avoir pas de rapport avec la question, plutôt sociologique, de la place de la femme dans la société. La solution serait peut-être de traiter le genre féminin comme une classe dont le niveau économique est nécessairement plus faible que celui de leur équivalent masculin – comme une sous-classe du niveau économique auquelle elles sont associées, en vertu de leur « lien » (dépendance?) à leur père ou leur époux.

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[club] Judith Butler – Ecriture du genre féminin?

[photopress:09155.jpeg,thumb,pp_image]Nous nous sommes demandées au début de ce bookclub s’il y avait une manière d’écrire propre aux femmes…Nous avons ici une réponse.

Ce serait réducteur de réduire une expérience humaine comme celle de l’écriture à une identité féminine ou masculine.

D’ailleurs une écriture féminine ne serait que la parodie de ce que l’on croit être le propre de l’écriture féminine. On est dans le cas typique de l’homme qui écrit des romans à l’eau de rose sous un pseudo féminin (parce qu’on s’attend à ce que ce soit les femmes qui maîtrisent les codes de ce genre de roman) ou de la femme qui prend un pseudo masculin pour ou ne pas choquer les mœurs de son temps ou être jugé en tant qu’écrivain seulement…

Donc bien avant Judith Butler, les écrivains en jouant avec les pseudos masculins, féminins ou mixtes, ou les narrateurs d’un sexe opposé au leur ont jeté le trouble dans le genre….

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[club] Judith Butler – Tolérance

[photopress:Butler_Humain_Inhumain.jpg,thumb,pp_image]Butler refuse un féminisme qui prétendrait définir ce que sont les femmes et ce qu’elles doivent être, parce que le genre féminin est indéfinissable, même si dans la vie quotidienne on voit grossomodo de quoi il s’agit.

En voulant définir les femmes, on en laisse forcément de côté, on en oppresse d’autre en prétendant les libérer…

On ne peut pas quand on est face à une existence humaine la réduire à l’expression d’un genre… C’est trop complexe, trop personnel… C’est une idée que j’aime beaucoup.

« Nous avons été plusieurs à utiliser le post-structuralisme pour nous opposer aux politiques identitaires. Toutes les expériences humaines ne peuvent être réduites à notre seul statut de femme, d’autant que cette identité est floue et instable. » Judith Buttler, L’Express, 6 juin 2005.

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[club] Judith Butler – Solitude de l’être humain sans genre

[photopress:arton2047.jpg,thumb,pp_image]Donc le genre n’est pas donné d’avance…

Comme cela, cela n’a pas l’air si grave. Ça sonne comme un bon argument contre ceux qui nous saoulent avec l’intuition féminine, Mars et Vénus et les histoires de cartes routières…Rien n’est typiquement féminin ou masculin, le genre n’est pas donné d’avance.

Pourtant on doit tous trouver notre genre (qu’ils correspondent ou non à notre sexe, ça c’est une autre histoire, on a compris).

Mais qu’est ce que c’est le genre ? Comment on fait pour trouver son genre ?

Le genre, ce n’est rien, ce n’est pas une substance. Le genre est performatif : « il constitue l’identité qu’il est censé être » p.96. Censé parce qu’on n’a pas de modèles, de définition, de normes…

Donc on fait tous comme le drag : on parodie ce que l’on croit représenter un genre. « L’idée que je soutiens ici, à savoir que le genre est une parodie, ne présuppose pas l’existence d’un original qui serait imité par de telles identités parodiques. Au fond, la parodie porte sur l’idée même d’original » p. 261. → définition du genre « Le genre consiste davantage en une identité tissée avec le temps par des fils ténus, posée dans un espace extérieur par une répétition stylisée d’actes »

Mais là où j’aime bien Butler, parce qu’elle va jusqu’au bout de son idée mais sans tomber dans l’extrémisme… Certes, il y a un poids sur l’individu car il doit imiter un original qui n’existe pas… « Le genre est aussi une norme que l’on ne parvient jamais entièrement à intérioriser ; l’ « intérieur » est une signification de surface et les normes de genre sont au bout du compte fantasmatiques, impossibles à incarner. »p. 265. Mais cette situation serait purement absurde, si Butler n’introduisait pas une dimension sociale : tout le monde y croit, y compris les acteurs. C’est une idée, tout à fait wittgensteinienne à mon sens, qui évite de remonter à l’infini la chaîne des pourquoi : à partir du moment où tout le monde comprend, ça suffit.

Parce que l’objectif de Butler est d’abord la tolérance (voir post suivant)

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[club] Judith Butler – Une idée intéressante jusqu’où?

[photopress:butler1.jpg,thumb,pp_image]Butler part d’une observation très pertinente : le féminisme est loin de faire l’unanimité parmi les femmes, les penseuses ne sont pas d’accord, certaines femmes mêmes refusent d’être féministes…Car en effet, le féminisme est le mouvement qui veut libérer les femmes. Mais de quelles femmes parle-t-on ? Est-on sûres qu’elles veulent toutes la même chose ?

Non, il y a celles qui veulent des enfants et celles qui n’en veulent pas…Celles qui veulent travailler et celles qui aiment cuisiner…Celles qui ont des orgasmes et celles qui en ont marre du sexe…celles qui aiment les hommes, celle qui n’en aime qu’un seul et celles qui préfèrent les femmes…Il y a les jane, les elizabeth, les bridjet, les ellen et plein d’autres encore…

Non, le féminisme ne sait pas de qui il parle, il n’a pas de sujet stable.

Là on est très contentes parce que depuis le début de notre bookclub c’est ce qu’on a pressenti, dit…C’est pour cela qu’on avait refusé de définir au préalable ce qu’était le féminisme pour ne pas s’empêcher de découvrir tout ce qu’il y avait de féminin, de favorable aux femmes dans les ouvrages que nous avons lus…Toujours nous nous sommes opposés au communautarisme et à la libération forcée…

Oui, mais maintenant Judith Butler va jusqu’au bout de cette idée…Elle déconstruit les théories féministes, psychanalytiques et anthropologiques qui entendent expliquer pourquoi les rapports entre les hommes et les femmes sont ce qu’ils sont… Elles reposent toutes (c’est l’objet de la seconde partie) sur un préjugé : l’hétérosexualité…Et tant qu’on reste dans l’hétérosexualité, on continue d’attribuer un genre à chaque individu et par là un rôle sexué…Et si on casse ce préjugé ???

Là est-ce qu’on est toujours d’accord ?

Moi oui.

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[club] Judith Butler – Remarques préalables

[photopress:troubledanslegenrepourunfeminismedelasubversion_gd.jpg,thumb,pp_image]Vocabulaire : « Il y a une difficulté particulière en France à admettre cette réflexion en raison même du vocabulaire. En français, vous ne disposez que d’un seul mot, «sexe», pour désigner à la fois une réalité anatomique et une réalité sociale: quand vous parlez de «différence des sexes», vous considérez qu’il s’agit d’une donnée naturelle et universelle, vous mélangez la biologie et la culture. Aux Etats-Unis, nous faisons la distinction, et nous employons le mot gender (genre) pour caractériser le vécu culturel et sociologique de chacun [la masculinité et la féminité]. Celui-ci peut ne pas correspondre au sexe de la personne (mâle ou femelle). Cette distinction entre sexe et genre est une spécificité importante de la sociologie américaine, mais aussi de l’anthropologie féministe: si on naît female (de sexe féminin), cela n’implique pas une destinée sociale de femme. Celle-ci résulte d’une acquisition progressive. «On ne naît pas femme, on le devient», écrivait justement Simone de Beauvoir. » Judith Buttler, L’Express, 6 juin 2005.

Un ouvrage difficile car il s’appuie sur des auteurs et des théories que je connais peu ou pas, mais très stimulant, qui incite à faire davantage de recherches ou de lectures.

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[bio] Elizabeth Barrett Browning

elizabethbarrettbrowningElizabeth Barrett naît en 1806 à Durham en Angleterre. Quatre éléments se détachent de sa biographie : une précocité intellectuelle, une maladie incurable, un père autoritaire et une passion amoureuse.


Une précocité intellectuelle. Elizabeth lit Shakespeare, Homère et Milton avant l’âge de dix ans et écrit à l’âge de douze ans un poème épique, The battle of Marathon, publié anonymement en 1819. D’autres recueils toujours anonymes suivent témoignant de ses progrès artistiques et intellectuels. Ses poèmes reflètent ses préoccupations métaphysiques et religieuses, mais aussi sa connaissance des classiques grecs et des idées des Lumières. Ce n’est qu’à l’âge de trente-deux ans qu’elle publiera sous son nom Le séraphin et autres poèmes. Les critiques lui seront dès lors toujours favorables et Elizabeth est reconnue par ses pairs, comme en témoigne son importante correspondance avec des personnalités de son temps, dont le poète William Wordsworth. La première publication des Poèmes en 1844 font d’elle l’un des poètes les plus connus du pays. L’ouvrage connaîtra par la suite trois rééditions en 1850, 1853 et 1856.


Une maladie incurable. En 1821, Elizabeth tombe malade et le médecin lui prescrit de l’opium. Ce remède et les séquelles de la maladie, ainsi que le chagrin causé par la mort de sa mère et de son frère, feront d’Elizabeth une femme à la santé fragile, souvent contrainte de garder la chambre.


Un père autoritaire, une passion amoureuse. Cette réclusion convient à son père, un homme autoritaire qui interdit à ses enfants de se marier. Aussi quand le poète Robert Browning décide de l’épouser en 1846 après plus d’un an de correspondance amoureuse, il doit le faire en secret avant de l’enlever en Italie. De cette histoire d’amour Elizabeth a tiré son œuvre la plus célèbre, les Sonnets portugais, publié en 1850. L’année précédente, la poétesse a donné naissance à un fils, Robert Wiedemann, après plusieurs fausses couches. Elle meurt à Florence en 1861.


Un engagement politique. Ses dix dernières années sont marquées par un intérêt important pour la politique italienne qui se retrouve dans ses œuvres qui dénonce l’oppression autrichienne : Les fenêtres de la Casa Guidi (1851), Poèmes d’avant le Congrès (1861). Ce dernier ouvrage a été mal accueilli en raison de son engagement.


Aurora Leigh


Rédaction et sujet. Aurora Leigh paraît en 1857. Ce roman en vers blancs (blank verses) raconte l’itinéraire d’une artiste, la narratrice éponyme, depuis sa naissance jusqu’à ses trente ans. Après la mort de sa mère italienne et de son père, Aurora, treize ans, est confiée à sa tante qui vit en Angleterre selon des principes stricts et traditionnels. A vingt ans, la jeune fille refuse la demande en mariage de son cousin Rommey car elle ne veut pas renoncer à sa vocation de poète. Elle parviendra en effet à se faire connaître dans le monde littéraire et finira par retrouver son promis.


Réception et féminisme. Le roman est peu remarqué par ses contemporains et semble voué à l’oubli face aux Sonnets portugais. Virginia Woolf cependant le distingue préfigurant l’intérêt que les féministes vont lui porter par la suite. Woolf voit en Aurora « with her passionate interest in the social questions, her conflict as artist and woman, her longing for knowledge and freedom, is the true daughter of her age ». Les féministes en effet saluent la dénonciation de la domination masculine dans la société victorienne et voient dans l’itinéraire d’Aurora une préfiguration de l’émancipation féminine
Elizabeth Barrett Browning n’a pourtant jamais revendiqué un engagement féministe : le roman se termine d’ailleurs par une célébration du mariage.


Bibliographie sélective :
Les sonnets portugais, Gallimard, « Poésie » n°281, 1994, 9782070328192, 7,60 €.
http://www.poemofquotes.com/elizabethbarrettbrowning/
Aurora Leigh, Penguin, « Adult paperback » , 2006, 9780140434125, 15 €
http://digital.library.upenn.edu/women/barrett/aurora/aurora.html


Pour aller plus loin :
http://www.online-literature.com/elizabeth-browning
http://www.victorianweb.org/authors/ebb/ebbio.html
http://www.florin.ms/ebbwebsite.html
http://www.poets.org/poet.php/prmPID/152 


Texte de Daisy, 03/05/09.