[photopress:the_subjection_of_women.jpg,thumb,pp_image]Dans The subjection of women, Mill se lance dans une entreprise d’exploration et de déconstruction de tous les clichés véhiculés par les hommes à propos de la nature féminine:
– les femmes auraient un cerveau moins performant que celui des hommes, parce que moins gros;
– si elles avaient pu parvenir au génie, elles l’auraient déjà fait, et on disposerait déjà d’un Shakespeare ou un Michel-Ange féminin: elles sont donc condamnées à un « plafond de verre » de médiocrité artistique ;
– la grandeur de la femme est dans son abnégation, sa douceur, son sens du sacrifice, et elle se doit de nourrir ces vertus, qui lui sont spécifiques, sans se préoccuper de qualités intellectuelles (raisonnement qu’on retrouve peut-être en partie -c’est à voir- chez les théoriciennes de l’éthique du care);
– les femmes sont inaptes à gouverner car, trop préoccupées d’intérêts individuels, elles demeurent imperméables aux questions politiques…
Mais Mill ne tombe-t-il pas lui aussi dans le cliché lorsqu’il annonce, à la fin du chapitre II, après avoir exalté la résistance que les femmes devaient opposer à leurs « oppresseurs » : Dans un état de choses juste, il n’est donc pas, à mon avis, souhaitable que la femme contribue par son travail aux revenus de la famille? Même s’il en excepte les femmes douées de dons particuliers et celles qui, sans patrimoine, ne peuvent faire autrement que de travailler pour vivre, il n’en reste pas moins que, selon lui, le travail n’est pas nécessaire à la femme. Il occulte donc la dimension symbolique du travail comme élément fondateur d’une identité personnelle et sociale… Ce que Beauvoir réhabilitera dans le Deuxième sexe : la femme objet doit devenir sujet et assumer son existence propre – ceci via le travail.
Enfin, Mill oublie également un autre point : s’il décrit le mariage (de l’époque) comme une situation de rapport de forces inacceptable et qu’il appelle de ses voeux la possibilité de mariages égaux, libres et heureux, il occulte la figure de la femme célibataire, alors frappée, contrairement à l’homme, du sceau de l’infamie. N’y avait-il pas précisément, à l’époque, quelque chose de subversif et de résistant à refuser le modèle imposé d’existence féminine dans le mariage? C’est ce que Mary Wollstonecraft avait pourtant choisi : placer l’indépendance au centre de l’existence, que ce soit à travers le refus du mariage conventionnel ou la mise en place ultérieure, avec celui qui serait le père de sa fille, Mary Shelley, d’un couple égalitaire.
Quoiqu’il en soit, il reste étonnant que Mill n’ait pas réhabilité cette figure de la célibataire et n’ait pas donné une meilleure définition d’une relation égalitaire…