Louise Labé reprend le thème de la mort d’amour de manière originale dans le sonnet XIII : « Si de mes bras le tenant acollé, / (…) La mort venoit, de mon aise envieuse : / Lors que souef plus il me baiseroit, / Et mon esprit sur ses levres fuiroit, / Bien je mourrois, plus que vivante, heureuse. » En mettant le bonheur par-delà la vie, Louise Labé propose une nouvelle définition, amoureuse, de l’existence. Il y a là une aspiration qui peut évoquer pour nous les grandes héroïnes (Juliette, Mme Bovary) : mais cet absolu est-il spécifiquement féminin ?
[club] Louise Labé – Douleur et nuit
Louise Labé se fait le chantre de la douleur : dans ses Sonnets, la femme n’est plus la dame de la relation courtoise, cruelle car insensible, mais un être sensible, perméable aux émotions (« Car je suis tant navree en toutes par, / Que plus en moy une nouvelle plaie, / Pour m’empirer ne pourroit trouver place. » ; « navree » = blessée).
De plus, et c’est une nouveauté par rapport aux poètes masculins, elle se décrit comme cachant sa douleur (« J’endure mal tant que le Soleil luit : / Et quand je suis quasi toute casse, / Et que me suis mise en mon lit lassee, / Crier me faut mon mal toute la nuit »). La nuit est ainsi ce qui cache sa douleur, mais aussi ce qui accueille les rêveries amoureuses : « O dous sommeil, o nuit à moy heureuse ! Plaisant repos, plein de tranquillité, / Continuez toutes les nuiz mon songe ». Il y a peut-être là une touche de discrétion qui rappelle la condition féminine de la Renaissance et l’obligation faite aux femmes de cacher leur désir pour se réfugier dans le rêve.
Traditionnellement, le sonnet amoureux est le fait d’un homme qui chante les beautés d’une femme et son désir pour elle. Avec Louise Labé, la relation change : c’est une femme qui dit son désir amoureux. Comme pour les poètes masculins, le destinataire du poème est une figure évanescente, plus une fiction qu’un être réel. Mais le désir, lui, est rendu palpable par la convocation du terme (« tout le beau que lon pourroit choisir, / Et que tout l’art qui ayde la Nature, / Ne me sauroient acroitre mon desir. ») ou par son évocation via une répétition entêtante (« Baise m’encor, rebaise moy et baise »).
C’est le signe d’une grande audace de la part de Louise Labé, et d’un renouveau de la poésie à la Renaissance.
Les féministes sont parfois tentées d’avancer le destin d’une femme pour prouver la valeur des femmes.
Poulain de la barre ne s’engage pas sur cette voie car il sait qu’on lui répondra que l’exception confirme la règle. p. 351 : il veut rester dans le général pas dans le particulier.
L’hypothèse soeur de Shakespeare de Woolf aurait donc plus de poids que Woolf elle-même…
Je souhaitais relever le peu d’écho que le traité de Poulain eut à son époque. Peu d’écho auquel il était le dernier à s’attendre ! Poulain souhaitait pouvoir répondre à des contradicteurs et s’attendait à susciter une virulente polémique… Et rien ! Il dut écrire lui-même les objections qu’il aurait souhaité combattre, comme s’il se livrait au vieil exercice médiéval de la disputatio (examen des arguments « pour » puis des arguments « contre », ou inversement).
Il est vrai que les traités féministes en tant que tel n’étaient pas nombreux à l’époque. Mais nous avons vu, à travers nos lectures, que beaucoup d’oeuvres, romanesques ou théâtrales, traitaient de la question des femmes. Les Précieuses, critiquées de manière presque unanime, même par Poulain, qui fait d’elles un portrait satirique (p. 164). Poulain épingle leur orgueil et leur vanité, leur goût pour l’artifice et leur dédain pour le mari. Mais il occulte qu’à travers le mari, c’est l’institution du mariage que les Précieuses méprisent, et méprisent en acte, pas seulement en théorie!
Cela rejoint un des posts précédents : et si les oeuvres de fiction et les comportements quotidiens de certains n’avaient pas, en l’occurrence, fait davantage pour la cause des femmes qu’un traité de philosophie ?
Poulain de la Barre pense l’égalité des sexes et fait un effort intellectuel pour la démontrer. Plus exactement, il montre que l’inégalité des sexes est un préjugé qui repose en grande partie sur la force de la coutume.
Mais veut-il pour autant changer la coutume ?
Ainsi lorsqu’il réfute les théologiens qui trouvent dans les propos de Paul de quoi justifier l’inégalité des sexes, il remarque qu’il dit seulement que les femmes doivent rester où elles sont, que Paul approuve la coutume sans l’appuyer sur la nature.
Est-ce aussi la position de Poulain ? Veut-il seulement démontrer l’égalité des sexes pour la forme sans œuvrer pour l’émancipation des femmes ?
Je trouve qu’il est difficile de répondre. Certes il met en place un programme d’éducation des femmes, mais il prône aussi la discrétion du philosophe. p.286 « Il faut étudier pour soi seul et comme si l’on était seul ; penser le mieux que l’on peut, puisque l’on ne pense pas comme l’on veut ; et demeurant parmi les hommes, par que l’on ne s’en peut séparer absolument, ne pas paraître trop d’esprit, ne pas exercer sa raison sur toutes choses en leur présence, puisqu’ils y trouvent à redire »
Il faut bien sûr considérer l’époque de Poulain. Il se peut que sa position soit stratégique. En effet, il risquait la censure s’il avait eu des visées révolutionnaires. De même il doit rester très prudent en critiquant la Bible.
Une des stratégies de Poulain de la Barre est de montrer que les différences entre les hommes et les femmes se résument à des différences physiques, qu’ils ont le même esprit dans des corps différents. « Il est aisé de remarquer que la différence des sexes ne regarde que le corps » p.95
Cela tombe bien dans une philosophie cartésienne, dualiste et dans laquelle l’esprit prime sur le corps. Je me demande si la démonstration de Poulain reste valable dans un autre contexte.
Doit-on être cartésien pour être féministe ?
J’ai trouvé que De l’égalité des sexes mettait bien en évidence les obstacles au féminisme : le poids de la coutume, la force des arguments théologiques, le fait que peu de femmes soient pour l’égalité. Il faut donc s’efforcer de lever ces obstacles et c’est ce que Poulain de la Barre fait dans ses écrits.
Elsa Dorlin fait un parallèle entre préciosité et paritarisme lorsqu’elle observe que, si les Précieuses ont réinventé la langue française, l’instauration de la parité en politique s’est accompagné d’une féminisation des titres et des professions (p. 127-128). On s’est abondamment moqué des périphrases et des hyperboles des Précieuses : un fauteuil devenait, chez Molière, une « commodité de la conversation » et les « plus… du monde » abondent chez elles. Et on peut relever que la féminisation des noms reste encore sous-utilisée… Combien disent « Madame la Ministre » (c’est l’exemple pris par Elsa Dorlin)? La professeure ? L’écrivaine ? La défenseure ? Et d’ailleurs dit-on défenseure ou défenseuse ? Successeur ou successeuse ? L’auteure, l’autrice, ou que sais-je encore ? Et pourquoi, lorsque nous citons une femme, nous sentons-nous presque obligés de faire précéder son nom de son prénom, comme s’il pouvait y avoir confusion avec un homme plus célèbre du même patronyme (réflexe que j’ai eu moi-même ici)?
Le langage enregistre les mentalités ; si l’on veut changer ces dernières, peut-être faut-il commencer par modifier le premier.