Les nouvelles ont été qualifiées de mineures ou d’érotiques, un moyen de les éloigner du premier plan.
Parce que l’auteure est une femme?
Les rapports qui se tissent entre hommes et femmes dans l’Heptaméron sont parfois très violents.
Les hommes sont parfois montrés comme violents dans l’expression de leur désir : les personnages de violeurs sont nombreux (2e nouvelle, 4e nouvelle, 5e nouvelle…) et les hommes qui ne contrôlent pas leur désir et en arrivent à avoir des relations sexuelles avec leur soeur (33e nouvelle) ou leur mère (30e nouvelle) ne sont pas en reste… D’autres meurent d’avoir trop aimé, sans espoir de retour (9e nouvelle) et représentent ainsi le « parfaicte amour », mais un amour… impossible à vivre !
Les femmes, de leur côté, l’emportent par leur ruse, que ce soit pour échapper au viol (5e nouvelle), pour dissimuler leur adultère (6e nouvelle) ou pour prévenir celle de leur mari (8e nouvelle). Mais elles peuvent aussi être excessives dans les épreuves qu’elles imposent à leurs prétendants, et les perdre à cause de cette trop grande exigence (59e nouvelle). Entre méfiance et confiance, la mesure est difficile à trouver pour les femmes !
Les nouvelles de l’Heptaméron ne disent-elles pas toutes, au fond, la difficulté de la rencontre et de la coïncidence entre homme et femme ?
La plupart des nouvelles de l’Heptaméron traitent des relations hommes/femmes, de manière directe et parfois surprenante pour nous autres qui nous croyons « modernes » – c’est en tout cas ce qu’il me semble.
La sexualité est en effet omniprésente dans ces histoires, et abordée franchement, sans détour ni tabou ; or cela cadre assez peu avec notre idée du rapport que devrait avoir la soeur d’un roi, pieuse et ayant écrit un traité mystique (le Miroir de l’âme pécheresse), avec le corps et la sexualité ! Sans doute suffit-il de se rappeler de Montaigne et de Rabelais pour comprendre que le rapport de la Renaissance au corps est beaucoup plus libre que celui qui s’est institué au XVIIe siècle, mais il n’en reste pas moins que la liberté de ton déployé par Marguerite de Navarre me semble, au début, surprenante.
Le projet général de l’Heptaméron a sa source dans le Décaméron de Boccace, recueil de nouvelles qui traitent beaucoup des relations hommes/femmes.
Un certain nombre d’histoires sont inspirées de fabliaux, c’est-à-dire de courtes pièces de théâtre comiques, médiévaux – comme par exemple celle du mari qui veut coucher avec sa chambrière et que sa femme piège, puisqu’elle se déguise en ladite chambrière (8e nouvelle). On retrouve d’ailleurs ce stratagème jusque chez Beaumarchais, dans Le mariage de Figaro, où le comte Almaviva veut séduire sa domestique, Suzanne, et où sa femme, Rosine, le prend au piège en se déguisant en Suzanne.
Ce qui est original, c’est que ce soit une femme qui soit l’auteur de ces histoires volontiers licencieuses. Le patronage féminin est d’ailleurs redoublé, à l’intérieur du récit, par le fait que ce soit une femme, dame Oisille, qui ait été consultée pour cautionner et organiser ce jeu de narrations.
Mais c’est peut-être là, aussi, que l’originalité faiblit un peu – car ne retrouve-t-on pas là une organisation proche des « cours d’amour » des 12e et 13e siècle, dans lesquelles c’est une femme (Aliénor d’Aquitaine, par exemple) qui conduit les débats sur ce que doit être le parfait amour (« fin amor », appelé « amour courtois » depuis le 19e s.) ? On rejoint ainsi une tradition qui se poursuivra, cette fois, jusqu’aux Précieuses et leurs débats sur l’amour au sein des salons littéraires.
D’après la préface (p.25), Pernette n’écrit pas pour être publiée. Elle ne se sent ni artiste ni écrivaine, elle écrit pour Maurice, dans l’ombre de Maurice. Elle n’écrit pour personne, ne revendique rien…
Qu’est-ce qui-distingue une femme qui écrit d’une femme écrivain ?
A lire les poèmes de Pernette, je n’ai pas de réponse. je me demande à quel point elle était inconsciente d’être une poétesse…
Ne l’a-t-on pas poussée dans l’ombre de Maurice? N’est-ce pas encore une stratégie contre les femmes écrivaines? N’est-ce pas encore un moyen pour minimiser, rabaisser?
Je ne connais pas du tout Maurice, et je peux quand même lire les poèmes de Pernette. Même hors contexte ces poèmes se tiennent.
Donc…
Dans ses Rymes, Pernette fait souvent l’éloge du savoir de son destinataire : dans les rimes 20, elle parle du « haut savoir » de celui-ci et de son « esprit qui ébahit le monde »; elle parle de ses « vertus », de sa « grâce » et de son « savoir » dans les rimes 19, du « grand renom de [s]on mêlé savoir » dans les rimes 3.
Elle se désigne, par contraste, comme ayant à apprendre de lui et donc comme inférieure : son esprit à elle n’a pas « la promptitude de remercier les Cieux pour l’habitude » de son esprit à lui (rimes 3) et se décrit comme portant « le bandeau d’ignorance »(rimes 11) (que porte aussi le dieu Amour, représenté sous les traits de Cupidon lançant ses flèches dans les rimes 13).
Dans sa deuxième Elegie, Pernette du Guillet met en scène son désir pour un homme (sans doute Maurice Scève) et explique les raisons qui la font y renoncer.
Elle s’y compare à Diane et adopte une écriture du fantasme, fantasme tant amoureux qu’érotique puisque la poétesse s’imagine se baignant nue, regardée et approchée par son destinataire – habituellement préoccupé par les seules idées, cette fois attiré par des entités moins « idéales ».
Mais se rappelle à elle l’impératif, pour son intellectuel de destinataire, de se donner tout entier à l’étude, laquelle est désignée à travers les figures mythologiques d’Apollon et des muses… Il faut donc renoncer au désir pour ne pas entraver le travail créateur de l’artiste.
Ce raisonnement peut surprendre aujourd’hui mais il avait cours au Moyen-Age et à la Renaissance, le désir et le lien amoureux étant vu comme une entrave au travail intellectuel et artistique, comme une tentation. Aussi Pernette se compare-t-elle à Diane, déesse vierge, femme de Delos auquel le titre du recueil de poèmes de Scève, Délie, fait référence.
Je relève ici que le désir est aussi librement exprimé par Pernette du Guillet que par Louise Labé, mais que l’issue n’en est pas la même : Pernette libère sa parole pour apprivoiser et retenir son désir quand Louise Labé semble exalter et attiser son désir par l’écriture.
Pernette du Guillet aurait écrit ses « Rymes » pour Maurice Scève, grand poète lyonnais du 16e siècle. Elle était mariée au sieur du Guillet et sa relation avec Maurice Scève serait restée platonique. Mariée à 18 ans, elle est morte à 25 ans.
Scève, de son côté, a été un des grands auteurs du blason, genre poétique célébrant (ou critiquant, dans le cas du contre-blason) une partie du corps féminin. Il avait 15 à 20 ans de plus que Pernette. Son oeuvre majeure, Délie, a pour titre la destinataire de ses poèmes – mais l’identification de cette destinataire reste à trouver : s’agit-il de la femme de Delos, c’est-à-dire Diane, dans la mythologie antique ? Ou bien de Pernette ? Ou bien encore de l’anagramme de « l’Idée », Scève étant un féru de néoplatonisme ?
Reste pour nous l’image d’un couple de poètes se chantant l’un l’autre – cas plutôt rare en littérature ! Pernette mourra en 1545, un an après la parution de Délie (1544).
On a essayé de faire oublier Louise Labé parce qu’elle était une femme. Encore une femme auteure et intellectuelle qu’on a voulu censurer… Les armes sont les mêmes : attaque de sa réputation, mise en avant d’œuvres mineures…
On peut se demander si Louise Labé est l’exception qui confirme la règle ou si d’autres femmes ont ainsi été censurées ou tout simplement n’ont pas osé publier parce qu’elles étaient des femmes.