Il arrive à Hélisenne de Crenne/Marguerite du Briet de commenter la distribution des rôles entre les sexes dans la société de son temps.
Ainsi, au chapitre XV, le religieux auquel l’héroïne se confesse lui dit : « les hommes libérallement se soubzmettent à amour, pensant n’estre dignes de répréhension, car entre eulx cela n’est estimé pour vice. Mais, au contraire, s’en vantent et glorifient, quand par leurs déceptions, faintises et adulations, ils ont circonvenu vostre sexe trop croiable, et d’escouter trop curieux ; ce qui vous doit estre exemple de n’estre si facile d’adjouster foy à leurs blandices. » – Les hommes n’ont donc rien à perdre au jeu amoureux, et les femmes, tout. La séduction a pour enjeu, pour la femme, la perte de sa réputation, donc de sa place dans la société.
Au chapitre XX, l’héroïne se plaint de sa condition féminine : « O trop ignare nature féminine, o dommageable pitié, comme nous sommes par parolles adulatoires, par souspirs et continuelles sollicitudes, et par faulx jurements déceues et circonvenues ». Le sexe féminin serait donc, selon l’auteur, ou tout du moins selon l’héroïne, faible et enclin à céder à la tentation.
Une dernière mention de la séparation des rôles sexuels et de la condition féminine est faite en conclusion du livre, lorsque la narratrice s’adresse aux lectrices, qui sont de « trèschères et honorées dames » : « nostre condition féminine n’est tant scientifique que naturellement sont les hommes. Et encore ne suis, ni ne veulx estre si présumptueuse que j’estime surmonter, ne seulement m’aparier à aucunes dames en science de litérature, car comme je croy, il y en a qui ont de si hault esprit douées, que elles composeroient en langiage trop plus élégant qui rendroit aux bénévoles lecteurs l’oeuvre plus acceptable. » Les femmes sont ainsi, selon elle, moins douées pour le savoir que les hommes – mais il existe des exceptions, ces Femmes illustres recensées par Boccace, auxquels pourtant la narratrice ne se compare pas.
Reste que le souhait final que formule l’héroïne est le suivant : « je suplie et requiers le souverain plasmateur qu’il vous octroye à toutes la continence (…), le conseil (…), la modestie (…), la constance (…), la pudicité (…), la sobriété (…) à fin que par les moyens de ces dons de grâce puissiez demourer franches et libres, sans que succombez en semblables inconvénients », c’est-à-dire dans les mêmes travers que ceux dans lesquels elle est elle-même tombée.
L’enjeu est donc pour l’auteur de rester libre (« franche » étant à prendre dans le même sens qu' »affranchie »), c’est-à-dire, ici, ne pas se soumettre aux folies d’un désir que la société juge coupable.