Catégories
discussions

[club] Christine de Pizan – Exemples

Dans la Cité des Dames, Christine de Pizan entreprend de recenser les exemples de femmes ingénieuses, courageuses ou fortes qui contredisent le discours misogyne selon lequel les femmes seraient stupides, peureuses et faibles.

En cela, elle reprend une veine initiée par Boccace dans Le livre des femmes illustres et qui se poursuivra après elle avec des ouvrages comme celui de Gilles Ménage au XVIIe siècle.

Ce qui est intéressant, c’est que les exemples qu’elle prend sont, d’une part, souvent empruntés à Boccace, de l’autorité duquel elle se réclame, et, d’autre part, tirés de la mythologie mais présentés comme véridiques. L’argument de Christine, qu’elle reprend à Boccace, est à chaque fois que des personnages comme Cérès ou Isis ont d’abord été des reines ou des femmes remarquables avant de devenir l’objet d’un culte par leurs contemporains et de passer pour des divinités ensuite. C’est une hypothèse intrigante mais intéressante, qui peuple l’Antiquité de figures féminines marquantes…

…et qui pourrait constituer un programme de lecture pour ce bookclub ! Dans la Cité des Dames, Christine de Pizan se livre en effet au même travail que nous : mettre en lumière le talent, le génie, le travail de femmes le plus souvent oubliées ou peu connues du grand public. Mais nos buts divergent sans doute, puisque là où elle cherche à prouver l’intelligence et la force féminines afin de les défendre (sa « cité » est pensée comme une « forteresse » et elle-même se veut le « champion » qui défend les femmes contre leurs accusateurs (p. 42)), nous avons à coeur de réfléchir, à chaque fois, sur le type de discours féministe produit par ces femmes ou que l’on peut induire de leurs oeuvres et de leur vie.

Enfin, il me semble amusant de relever que le premier exemple que Christine donne afin de contrer l’argument de l’incapacité féminine, c’est le sien propre ! Elle indique en effet qu’elle a des « inclinations » qui, si elle en croyait le discours misogyne, l’assimilerait à un homme… et en vient à désespérer d’être née femme. Mais elle prouve aussi, par là même, que les qualités que les misogynes dénient aux femmes, elle-même les possède, ce qui constitue une objection de poids.

Catégories
discussions

[club] Christine de Pizan – Vie d’une femme de lettres au Moyen Âge

La premier chapitre de la Cité des Dames nous donne des indications sur le mode de vie de Christine de Pizan, qui n’est pas sans faire écho à nos précédentes lectures dans ce bookclub.

En effet, Christine indique qu’elle a reçu la visite des 3 vertus alors qu’elle était « assise dans (s)on étude, tout entourée de livres traitant des sujets les plus divers ». Elle précise qu’elle s’y adonne à « l’étude inlassable des arts libéraux », soit la rhétorique, la grammaire, la dialectique pour le trivium et l’arithmétique, la géométrie, la musique et l’astronomie pour le quadrivium, selon son « habitude » et une « discipline qui règle le cours de (s)a vie ». Enfin, elle indique à la fin du premier paragraphe qu’elle interrompt une lecture lorsque sa mère vient l' »appeler à table ».

On trouve là une des conditions évoquées par Virginia Woolf pour que les femmes puissent écrire : disposer d’une « chambre à soi ». Ici, la chambre est même une « étude » chargée de livres…

Cela signale par là même le niveau de vie plutôt confortable de Christine, au vu du coût des manuscrits à l’époque : il fallait abattre un troupeau de bêtes afin d’avoir assez de parchemin pour constituer un manuscrit, ce à quoi s’ajoutait le prix des encres et le travail, généralement long de plusieurs mois, du copiste – même si Christine copiait elle-même et économisait sur ce poste budgétaire, il n’en reste pas moins que la détention d’une bibliothèque personnelle était un luxe réservé aux couvents et aux princes. On retrouve là une autre condition énoncée par Virginia Woolf  pour avoir un poids civique et social : avoir de l’argent à soi (cf Trois guinées).

Enfin, le fait que ce soit la mère de Christine qui administre la vie du ménage et non Christine elle-même signale une troisième condition : le loisir. Bien que veuve et mère de trois enfants, Christine réussit à avoir le temps pour faire vivre toute sa famille de sa plume. Est-ce parce que ses enfants étaient en nourrice puis placés, pour la fille au couvent, pour un de ses fils auprès de protecteurs d’influence? Est-ce grâce à une gestion intelligente de l’intendance domestique ? En tout cas, Christine n’est pas l' »Ange du foyer » que décrit Virginia Woolf comme le stéréotype de la femme sous l’ère victorienne ; elle se rapproche plutôt d’une figure masculine, ce qu’elle dit elle-même en stipulant que du jour où elle entreprit de gagner sa vie avec sa plume, elle devint « mâle ».

Comment penser dès lors la vie de Christine de Pizan : comment celle d’une femme ou comme celle d’un homme ?

Catégories
discussions

[club] Christine de Pizan – Références littéraires

La Cité des Dames, écrit en 1405, précède  le Trésor des 3 vertus. Dans la Cité des Dames, Christine voit apparaître 3 figures allégoriques. Ces 3 figures correspondent à 3 vertus : Droiture, Justice et Raison. Ce sont ces 3 vertus que l’on retrouve dans le Trésor des 3 vertus.

En s’adonnant à un dialogue avec des figures allégoriques, Christine s’inscrit dans une tradition littéraire bien établie. Dans la Consolation de la philosophie, Boèce voit en effet apparaître, dans sa geôle et avant son exécution, des figures allégoriques féminines comme Fortune ou Philosophie. Or la Consolation de la Philosophie de Boèce est une des grandes références de l’époque, pour tous les lettrés.

On trouve aussi de telles allégories dans le Roman de la Rose, et c’est cela qui nous intéresse davantage. Cet ouvrage se compose de deux parties dont l’une, qui s’inscrit dans la tradition courtoise, a été écrite par Guillaume de Lorris et la seconde, satirique et qui s’en prend fréquemment aux femmes, a été rédigée par Jean de Meung. Et c’est contre le discours misogyne de ce texte connu dans toute l’Europe occidentale que s’élèvera Christine, initiant ainsi un grand débat autour de la question de la femme.

En écrivant la Cité des Dames, Christine de Pizan rédige donc le pendant du Roman de la Rose, un pendant féministe s’opposant au discours misogyne de son temps.

Catégories
discussions

[club] Marie de France – Sexualité

La sexualité est très présente, de manière naturelle et saine.  Il n’y a pas de glorification de l’abstinence, l’amour est clairement associé au plaisir procuré par la sexualité.  L’impuissance est ainsi présentée comme un malheur (Le malheureux) qui empêche la réalisation de l’amour. Dans Guigemar, je trouve le thème de la ceinture érotique moderne (ou c’est moi qui plaque dessus ma symbolique moderne ?). D’autre part notons que l’homosexualité n’est pas non plus taboue (Lanval p.93)

Le mariage est un risque de malheur, d’enfermement. Cependant les lais nous disent aussi que les femmes peuvent trouver l’amour, le plaisir. Ils ne finissent pas tous mal.

Catégories
discussions

[club] Marie de France – Rang et amour courtois

Dans « Equitan », le roi tombe amoureux de la femme de son sénéchal ; elle lui dit que « l’amour n’a de valeur qu’entre égaux » car « le puissant, bien persuadé / que personne ne lui enlèvera son amie, / il entend la dominer de son amour ».

Ce à quoi le roi répond que ceux qui « recherchent des femmes inférieures » ne sont pas « de vrais amants courtois » et qu’une femme « sage, courtoise, de noble coeur » mérite « n’eût-elle que son manteau » qu’un roi l’aime « loyalement ».

On retrouve le même motif dans Erec et Enide de Chrétien de Troyes, Erec étant un chevalier de la cour arthurienne et Enide la fille d’un homme sans noblesse, vêtue pauvrement.

Le roi se présente alors à la femme comme son « vassal » et lui demande de ne plus le considérer comme le roi.

Par cet amour courtois, on voit ici que la différence de condition sociale n’est pas seulement abolie : elle est renversée. Le roi devient vassal, le sujet du roi devient sa maîtresse (domina en latin, racine étymologique du mot français « dame »). De plus, l’homme n’est plus le maître mais le vassal, et la femme est celle que l’on sert.

Ce passage d' »Equitan », parce qu’il insiste sur l’incongruité de ce double renversement, peut être  lu, me semble-t-il, comme le négatif du fonctionnement habituel de la société médiévale : une société où l’homme domine la femme comme le roi son sujet.

Catégories
discussions

[club] Marie de France – Des sujets féminins ?

Dans certains lais, des sujets m’ont étonnée car ils m’ont semblé concerner de près la condition féminine.

Dans « Le malheureux », par exemple, la Dame est courtisée – et entretient des relations amoureuses – avec 4 chevaliers. Je ne connais pas d’autres textes médiévaux abordant le thème de la polyandrie… En revanche, la polygamie est abordée dans « Eliduc ».

Dans « Yonec », la Dame est mal mariée, comme dans le « Rossignol », et vit sous la surveillance de son mari. Les malheurs du mariage forcé sont ici traités sans ambiguïté.

Dans « Le Frêne », l’amie est délaissée lorsque l’ami doit se marier avec une personne de son rang. Son attitude résignée passe pour un modèle de vertu… A moins qu’il ne dessine le portrait de l’épouse idéale pour l’époque – de même que Guildeluec, femme légitime d’Eliduc dans le lai « Eliduc », se retire au couvent pour permettre à son mari d’épouser une autre femme.

Dans les « Deux Amants », une jeune fille est gardée jalousement par son père – motif qui rappelle un conte tel que « Peau d’âne ».

Dans ces derniers cas, on voit un personnage féminin en proie aux décisions souveraines d’une figure masculine, père, ami ou époux, sur elle.

Enfin, dans « Milon », la naissance de l’enfant est suivie de la mention prosaïque des soins à apporter au nouveau-né : « sept fois par jour, / ils s’arrêtent dans les villes qu’ils traversent / pour faire allaiter l’enfant, / changer ses couches et le baigner. » La naissance et l’enfantement sont aussi au coeur du lai « Le Frêne », puisque c’est la naissance de jumeaux puis de jumelles qui enclenche l’intrigue. A chaque fois, l’auteur précise que l’accouchement s’est fait « al terme »…

Autant de précisions qui pourraient aller dans le sens d’un auteur à la sensibilité féminine.

Catégories
discussions

[club] Marie de France – Authenticité, encore…

L’auteur des Lais se présente comme se nommant « Marie » ; elle serait la même que la traductrice de fables d’Esope et d’un texte sur le Purgatoire de Saint-Patrick.

Se demander s’il s’agit bien de la même personne ne choque personne : cela relève de la prudence éditoriale.

Mais se demander si l’auteur qui se présente comme s’appelant « Marie » est bien une femme… C’est la question que pose un critique dans un article paru en 1981 (J.-C. Huchet dans Poétique) ainsi que le rapporte l’édition Livre de Poche des Lais.

Je n’ai pas pu consulter cet article mais je ne peux manquer de m’interroger à mon tour : si l’auteur avait dit s’appeler Benoît, Adam ou Pierre, aurait-on aussi remis en question l’authenticité des textes ?

De même pour Héloïse : dès qu’une femme semble avoir pris la plume, la question de l’authenticité devient cruciale. Cela ne veut pas dire qu’elle ne se pose pas pour les auteurs masculins – seulement, l’enjeu n’est pas le même. Ici, il s’agit de savoir si une femme peut, au Moyen Age, avoir écrit et diffusé ses écrits… Le parcours de notre bookclub tend à prouver que oui.

Marie de France serait après tout le premier auteur médiéval à écrire en français : l’enjeu est de taille pour l’histoire de la littérature française !

Catégories
discussions

[club] Héloïse – … et Abélard

Il me semble intéressant de relever l’estime qu’Abélard portent aux femmes en général.
Il rédige des règles à l’attention d’un ordre féminin, d’abord, à la tête duquel il place Héloïse. Il agit en cela comme Robret d’Arbrissel avant lui, qui avait fondé l’ordre de Fontevraud. Fonder un ordre relevait d’une mission spirituelle de la plus haute importance ; que celui qu’Abélard fonde soit un ordre féminin est particulièrement intéressant. On peut rappeler qu’il indique préférer conduire spirituellement les soeurs du Paraclet que les frères dont il a la charge à Saint-Gildas-de-Rhuys…. Ce qui indique bien son absence totale de misogynie.
De plus, il lui arrive de mettre en avant la sagesse de femmes illustres, comme la Sybille : ainsi dans son premier traité de théologie. La Sybille est mise au même rang que Platon.
Enfin, ses oeuvres musicales sont encore destinées à des voix de femmes.
Abélard est donc, pour moi, aussi important pour l’image positive de la femme au Moyen Âge qu’Héloïse.

Catégories
discussions

[club] Héloïse – Contre le mariage

Héloïse est passé à la postérité pour avoir écrit, notamment, qu’elle préférait être la « putain » d’Abélard que sa femme… parce qu’ainsi elle était sûre de conserver son amour. Position facile à comprendre à l’époque, ce XIIe siècle où éclôt l’amour courtois qui indique que la « fin’amor » ne peut être trouvé qu’en dehors des liens du mariage, en marge de la société ; plus difficile peut-être à comprendre aujourd’hui, où le mariage est conçu comme l’aboutissement du lien amoureux. Au XIIe siècle, le mariage est avant tout une institution sociale qui engage deux familles ; la notion de « consentement mutuel » comme nécessaire à ce qu’un mariage soit contracté n’est pas encore apparue.
Abélard est lui aussi contre le mariage, mais pour d’autres raisons : parce que cela compromet sa positon de clerc, d’abord ; en effet, la réforme grégorienne imposant le célibat aux clercs s’établissait de plus en plus, et pour gravir les échelons du monde universitaire et ecclésiastique, mieux valait être dans les bonnes grâces des autorités compétentes… Abélard est contre le mariage parce que cela contrevient à une vie de philosophe, dédié à l’enseignement et à l’étude, ensuite. Pour lui, le modèle de l’intellectuel, c’est l’ermite, comme Saint Jérôme, qu’il cite beaucoup et a beaucoup lu. Mais développe-t-il cette position après sa castration et son obligation de rentrer dans les ordres, ou bien l’a-t-il toujours tenue ? Difficile de faire la part des choses.

Catégories
discussions

[club] Héloïse – Un témoignage

Sans rentrer dans la polémique de l’authenticité des lettres, il me semble que l’histoire d’Héloïse (séduite, engrossée, mariée, mise au couvent) témoigne de la condition féminine. Les femmes n’avaient pas de choix. Héloïse n’a pas d’autre choix que de fuir, puis d’épouser Abélard et enfin d’entrer dans les autres. Même si elle ne veut pas épouser Abélard, même si elle ne veut pas abandonner son enfant, elle est contrainte de le faire. L’histoire d’Abélard et Héloïse met en évidence la foule de contraintes qui s’imposent aux gens : Héloïse enceinte doit être mariée, mais Abélard ne peut pas l’être…. Même en étant marié, ils ne peuvent pas se voir…C’est ce qui rend leur histoire si tragique, l’absence de choix.

Image : Héloïse et Abélard représentés sur un chapiteau de la Conciergerie, sur l’Ile de la Cité