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[club] Trobairitz – Féminin-masculin

L’introduction de Jean-Charles Huchet attire notre attention sur le fait que les chants des femmes ressemblent à ceux des hommes, ils n’ont pas la modernité qu’on a voulu leur prêter.  De plus, elle invite à ne pas trop s’interroger sur le sexe biologique des auteurs et d’inclure tous les textes énoncés au féminin dans le corpus des trobairitz.

Cela peut au premier abord sembler décevant, mais je pense au contraire que c’est très positif : c’est la preuve que le sexe de l’auteur ne compte pas vraiment.

On se rapproche en fait de l’argument de Virginia Woolf dans A room of one’s own, chapitre 6 : « Perhaps a mind that is purely masculine cannot create, any more than a mind that is purely feminine, I thought. But it would he well to test what one meant by man-womanly, and conversely by woman-manly, by pausing and looking at a book or two.”

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[club] Erec et Enide – Modernité

Manuel Vászquez Montalbán en 2002 publie Erec y Enide, roman qui fait explicitement référence au roman de Chrétien de Troyes en mettant en scène un universitaire spécialiste du cycle arthurien qui termine sa carrière par une conférence sur Erec et Enide, et en faisant vivre à Pedro et Myriam au Guatemala des épreuves rappelant celles vécues par les héros médiévaux. Le roman reprend également des procédés médiévaux : entrelacement, récit double. Il propose une réflexion sur le couple, l’engagement et la littérature dans la vie.

J’ai lu le roman de Vászquez Montalbán et en plus d’être en soi très intéressant et très bien écrit, je trouve que c’est un excellent exemple d’intertextualité (à plusieurs niveaux) et une excellente réflexion sur la recherche en littérature, le rôle de la fiction. Le personnage de Julio est un spécialiste des chevaliers de la table ronde, mais il n’a pas été capable de mettre en pratique son savoir dans la vie, il n’a même pas été capable de création littéraire. Par contre son fils adoptif, Pedro, est lui dans l’action et la création, capable d’engagement dans la réalité.

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[club] Erec et Enide – Apologie du mariage

Erec et Enide commence où souvent les romans s’achèvent : le mariage. Peut-on être un bon chevalier et un bon mari ? Cette question me rappelle l’objection d’Héloïse au mariage : elle éloignerait Abélard de ses devoirs, de l’étude. Erec en effet semble tout sacrifier à sa dame, à tel point qu’on se moque de lui. Mais il se reprend.

Amour, mariage et chevalerie se réconcilient, prouvant ainsi que le mariage n’est pas néfaste au chevalier.Comme dans les lais de Marie de France, l’amour véritable et heureux est dans Erec et Enide celui qui se termine par le mariage.

Les historiens (Duby, Pernoud) y voient le signe de l’installation du mariage dans la société comme la norme au XIIème.

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[club] Erec et Enide – Originalité

Le roman est original à plusieurs niveaux :

–       C’est un des premiers romans de la littérature française.

–       C’est le premier roman du cycle arthurien de Chrétien de Troyes

–       C’est le premier roman original connu, ne reprenant pas des mythes antérieurs. Il est devenu un mythe (Cf. post sur la modernité).

–       Il a un thème original : l’amour entre deux époux. Dans les romans courtois, l’amour, même si platonique, est adultère.

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[club] Erec et Enide – Une histoire d’amour courtois ?

Si Erec et Enide parle d’amour et de courtoisie, ce roman ne respecte pas vraiment tous les codes de l’amour courtois. Et ce décalage bouleverse du même coup la représentation qui y est donnée de la femme.

En effet, dans la « fin’amor », l’homme est de rang social inférieur à celui de la femme qu’il aime ; il s’engage envers elle comme un vassal vis-à-vis de son suzerain et se met à son service ; il doit respecter des impératifs de discrétion, de politesse, d’élégance pour la conquérir ; souvent, il l’est à distance et est récompensé – rarement – lors de moments qui lui donnent la « joy », c’est-à-dire un bonheur amoureux complet. De plus, la dame est mariée et l’amour courtois est adultère ; il se situe en marge du mariage. La femme y a une position inverse de celle qu’elle tient dans la société féodale.

Or, dans Erec et Enide, les deux héros sont mariés et inséparables ; ils ne s’aiment pas de loin mais de très près, ne sont pas discrets quant à leur amour (puisque leurs ébats amoureux sont connus de tous, et critiqués), et l’homme y est d’un rang supérieur à celui de la femme. Enfin, l’homme n’y est pas au service de la femme ; c’est bien plutôt la femme qui subit une épreuve que son amant lui inflige, celle du silence.

Erec et Enide ne ressemble donc pas à une histoire d’amour courtois ; et la place de la femme n’y est pas la même que dans la « fin’amor ». C’est ce qui rend ce roman intéressant à lire et à étudier : il s’écarte des représentations toutes faites que l’on a concernant la littérature médiévale et, par là même, les remet en question.

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[club] Erec et Enide – L’histoire d’un couple

Ce qui est intéressant dans Erec et Enide, c’est que ce roman raconte l’histoire d’un couple dont les membres sont de condition sociale inégale au départ (elle est fille d’un petit noble appauvri, il est chevalier) qui accèdent tous deux à un nouveau rang, qui les placera cette fois sur un plan d’égalité : ils sont couronnés à Nantes ; elle sera reine, il sera roi.

Il y a donc un premier mariage, peu après la rencontre, qui suit les codes de cette nouvelle institution, fondée aux XIe-XIIe siècles ; et un deuxième mariage, en quelque sorte, avec ce couronnement conjoint.

En montrant comment un couple se forme, par-delà la rencontre, à travers des épreuves traversées ensemble et des ajustements successifs de l’un à l’autre, Chrétien de Troyes nous montre que l’égalité dans le couple n’est pas une donnée mais un acquis qu’il faut sans cesse cultiver.

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[club] Erec et Enide – Une représentation ambivalente de la femme

Dans Erec et Enide, Chrétien de Troyes écrit l’histoire d’un couple. C’est une originalité dans l’oeuvre de cet auteur parce qu’il prend plus souvent pour héros un chevalier dont il suit l’itinéraire : Perceval, Gauvain, Lancelot. Ici, le texte a deux titres : dans son propre prologue, il a pour titre « Erec », du nom du héros ; dans le prologue d’un autre roman, Cligès, il a pour titre la désignation du couple, « Erec et Enide ». C’est sous ce titre que le roman est passé à la postérité et ce n’est pas un hasard : c’est l’histoire de ce couple qui en fait l’intérêt.

On pourrait donc penser qu’il y a dans ce roman une mise en avant de la femme qui aille dans le sens de sa valorisation. Et Erec et Enide se présentent presque comme le miroir l’un de l’autre, de part l’écho qui se tisse entre leurs noms d’abord (même initiale, prénoms courts) ; mais à y regarder de plus près, c’est plutôt Enide qui serait le miroir d’Erec, comme Echo reflétait Narcisse : il est dit qu’en elle on pouvait se mirer comme dans un miroir (v. 441). La femme vit ici dans l’ombre de l’homme.

De plus, ce personnage féminin est décrit dans une posture peu valorisante, puisqu’elle est celle qui ne peut pas s’empêcher de parler, selon un préjugé courant sur la prolixité des femmes. Elle ne fait pas confiance à Erec, ce qui met en danger leur couple. La faute lui en revient à elle, un peu comme Eve pour le péché originel. La représentation de la femme par Chrétien de Troyes n’est donc pas à l’avantage de cette dernière.

Que vaut-il mieux retenir, en définitive ? Que la femme ait ici égale importante, sur le plan narratif, que l’homme ? Ou qu’elle soit représentée de manière conforme aux préjugés de l’époque ?

On peut soulever, pour trancher la question, que c’est Enide qui sauvera Erec grâce à cette prise de parole qui avait été auparavant cause de troubles. Cet épisode de dénouement remet ainsi tout le schéma précédent en question : et si Enide avait toujours eu raison de prendre la parole et de vouloir avertir Erec des dangers ? Et si les mésaventures survenues suite à cette prise de parole étaient plutôt le fait de l’orgueil d’Erec que du manque de maîtrise de soi d’Enide ? Et si le couple gagnait à ce que la femme ne reste pas à sa place ?

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[club] Christine de Pizan – Citation sur la maternité et l’écriture

« Au temps où tu portais tes enfants dans ton ventre, tu ressentais une grande douleur lors de l’enfantement. Je veux maintenant que naissent de toi de nouveaux volumes, qui dans les temps à venir et perpétuellement présenteront ta mémoire dans le monde, devant les princes et en tous les endroits de l’univers ; tu les enfanteras de ta mémoire dans la joie et le plaisir, malgré le travail et la douleur ; et de même que la femme qui a enfanté oublie son mal dès qu’elle a entendu le cri de son enfant, tu oublieras la souffrance du travail en entendant la voix de tes volumes. » (La vision de Christine, 3e partie).

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[club] Christine de Pizan – Sur le viol

Les femmes n’aiment pas être violées (2ème partie, XLIV) comme l’illustre le cas de Lucrèce.

Christine aborde ici un sujet tout à fait d’actualité (Cf. dernièrement les propos d’hommes politiques américains et espagnols. Jose Manuel Castelao Bragaña ; Todd Akin etc. ).

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[club] Christine de Pizan – Féministe ?

Le féminisme de Christine de Pizan fait débat, et ceci pour deux raisons.

D’abord, si on s’arrête au programme de la Cité des Dames, il semble qu’on puisse qualifier son auteur de féministe. Elle défend les femmes contre le discours misogyne en réfutant les arguments selon lesquels les femmes seraient inférieures aux hommes en terme d’intelligence, de courage, de force. En cela, elle cherche à défendre l’idée d’une égalité homme-femme.

Pourtant, elle use souvent du leitmotiv de la faiblesse féminine au moment de commenter sa propre entreprise d’écriture : « comment trouverais-je en ce faible corps de femme la force d’entreprendre une si haute tâche? » (p. 47). Pour résoudre ce problème, elle adopte la posture de la servante : « Commandez, j’obéirai » (ibid). Cela signifie-t-il que Christine se dévalorise en tant que femme ?

En fait, ce leitmotiv correspond à une rhétorique bien identifiée au Moyen Âge, celle de l’humilité de l’écrivain. A cette époque, celui qui rédige ne se dit pas auteur car il ne peut prétendre faire autorité. Les autorités, ce sont les Anciens et le texte sacré. Dès lors, écrire, c’est se placer dans une posture dangereuse, orgueilleuse, qu’il est nécessaire d’adoucir par une attitude humble. On se réclame donc d’autorités reconnues (ici, Boccace) ou on se dit seulement traducteur d’une autre oeuvre, ou inspiré par plus grand que soi (ici, les 3 vertus). Christine de Pizan s’inscrirait dans cette tradition et ne se dévaloriserait en tant que « faible femme » que pour mieux se plier aux règles qui autorisent à écrire.

On peut d’ailleurs remarquer que si elle se réclame de l’autorité de Boccace, elle conteste celle d’Aristote ou d’autres en déclarant, à travers la voix de l’allégorie de la Raison, leurs discours antiphrastiques ou motivés par la frustration, la jalousie… L’humilité de l’écrivian a ses limites !

Entre déférence envers les autorités et rébellion contre elle, la position de Christine est donc subtile et périlleuse.

Le deuxième point qui interroge, concernant le féminisme de Christine, c’est son discours sur l’image de la femme. Souvent, elle insiste sur certaines vertus que sont censées développer les femmes : « la nature même de la femme la porte à être simple, sage et honnête » (p. 49-50) ; « si les femmes font preuve de dévotion, la charité leur fait encore moins défaut, car qui rend visite aux malades ? les réconforte ? qui secourt les pauvres ? qui va aux hôpitaux ? qui ensevelit les morts ? C’est là, me semble-t-il, l’oeuvre des femmes » (p. 57). Elle défend même la spécificité féminine de la « quenouille » (p. 61). On s’approche là du discours qui était développé dans l’éthique du care, qui attribue aux femmes une plus grande inclination à soigner et à se soucier d’autrui – avec tous les problèmes que ce type de discours pose quand il s’agit d’affirmer l’égalité entre hommes et femmes.

La question qui se pose à propos de ce deuxième point est la suivante : en proposant une image de la femme comme étant au service des autres et développant les qualités nécessaires à un tel office, Christine s’inscrit dans son époque. Comment concilier cette vision de la femme avec celle des femmes fortes et ingénieuses qui constituent les pierres de la Cité des dames ? Ces femmes-là sont-elles des exceptions qui confirment la règle d’une soumission féminine ?