Le féminisme de Christine de Pizan fait débat, et ceci pour deux raisons.
D’abord, si on s’arrête au programme de la Cité des Dames, il semble qu’on puisse qualifier son auteur de féministe. Elle défend les femmes contre le discours misogyne en réfutant les arguments selon lesquels les femmes seraient inférieures aux hommes en terme d’intelligence, de courage, de force. En cela, elle cherche à défendre l’idée d’une égalité homme-femme.
Pourtant, elle use souvent du leitmotiv de la faiblesse féminine au moment de commenter sa propre entreprise d’écriture : « comment trouverais-je en ce faible corps de femme la force d’entreprendre une si haute tâche? » (p. 47). Pour résoudre ce problème, elle adopte la posture de la servante : « Commandez, j’obéirai » (ibid). Cela signifie-t-il que Christine se dévalorise en tant que femme ?
En fait, ce leitmotiv correspond à une rhétorique bien identifiée au Moyen Âge, celle de l’humilité de l’écrivain. A cette époque, celui qui rédige ne se dit pas auteur car il ne peut prétendre faire autorité. Les autorités, ce sont les Anciens et le texte sacré. Dès lors, écrire, c’est se placer dans une posture dangereuse, orgueilleuse, qu’il est nécessaire d’adoucir par une attitude humble. On se réclame donc d’autorités reconnues (ici, Boccace) ou on se dit seulement traducteur d’une autre oeuvre, ou inspiré par plus grand que soi (ici, les 3 vertus). Christine de Pizan s’inscrirait dans cette tradition et ne se dévaloriserait en tant que « faible femme » que pour mieux se plier aux règles qui autorisent à écrire.
On peut d’ailleurs remarquer que si elle se réclame de l’autorité de Boccace, elle conteste celle d’Aristote ou d’autres en déclarant, à travers la voix de l’allégorie de la Raison, leurs discours antiphrastiques ou motivés par la frustration, la jalousie… L’humilité de l’écrivian a ses limites !
Entre déférence envers les autorités et rébellion contre elle, la position de Christine est donc subtile et périlleuse.
Le deuxième point qui interroge, concernant le féminisme de Christine, c’est son discours sur l’image de la femme. Souvent, elle insiste sur certaines vertus que sont censées développer les femmes : « la nature même de la femme la porte à être simple, sage et honnête » (p. 49-50) ; « si les femmes font preuve de dévotion, la charité leur fait encore moins défaut, car qui rend visite aux malades ? les réconforte ? qui secourt les pauvres ? qui va aux hôpitaux ? qui ensevelit les morts ? C’est là, me semble-t-il, l’oeuvre des femmes » (p. 57). Elle défend même la spécificité féminine de la « quenouille » (p. 61). On s’approche là du discours qui était développé dans l’éthique du care, qui attribue aux femmes une plus grande inclination à soigner et à se soucier d’autrui – avec tous les problèmes que ce type de discours pose quand il s’agit d’affirmer l’égalité entre hommes et femmes.
La question qui se pose à propos de ce deuxième point est la suivante : en proposant une image de la femme comme étant au service des autres et développant les qualités nécessaires à un tel office, Christine s’inscrit dans son époque. Comment concilier cette vision de la femme avec celle des femmes fortes et ingénieuses qui constituent les pierres de la Cité des dames ? Ces femmes-là sont-elles des exceptions qui confirment la règle d’une soumission féminine ?