Tolstoï, à la fin de sa vie, s’en prend au mariage « prostitution légalisée » et prêche l’abstinence. En 1890, il précise son point de vue suite aux courriers reçus au sujet de son court récit La Sonate à Kreutzer : les enfants doivent être le but des relations sexuelles, et pas un obstacle à la jouissance. L’abstinence est donc également nécessaire dans le mariage, notamment pendant la grossesse et l’allaitement. De plus, il n’y a pas de mariage chrétien, seulement un point de vue chrétien sur le mariage.
Offensée par La Sonate à Kreutzer; son épouse Sophie, mère de ses 13 enfants, scribe et correctrice, écrit A qui la faute en? en 1892. En 2010, Albin Michel publie une nouvelle traduction de La Sonate à Kreutzer, précédée par une première traduction d’A qui la faute ?. De son vivant, on avait déconseillé à Sophie de publier.
A qui la faute ? raconte le destin d’Anna, jeune fille innocente et cultivée qui rêve d’un amour spirituel. Après son mariage avec un vieil ami de la famille, elle déchante aussitôt : il ne la désire que charnellement. Elle trouve cependant du réconfort auprès de ses enfants et de la campagne. Son mari continue de la décevoir, en méprisant ses enfants et tout ce qu’elle aime. Un jour, elle rencontre Dimitri, vieil ami de son mari avec qui elle noue une relation platonique proche de son idéal spirituel… Dans ce récit, Sophie Tolstoï ne revendique rien, elle propose néanmoins une description juste de la vie des épouses, privées à la fois de sexualité et de spiritualité. Comment ne pas être interpellé par le tragique de l’existence d’Anna? « Se peut-il que ce soit-là tout le destin des femmes, songeait Anna, un corps au service de l’enfant, un corps au service du mari? L’un après l’autre, et ainsi de suite, sans qu’on en voie la fin? Où est donc ma propre vie? Où est mon moi? Mon vrai moi qui jadis aspirait à quelque chose de sublime, à servir Dieu et un idéal? » (p.96-97)