La Belle Dame sans mercy est un débat poétique entre un amoureux et celle qu’il aime qui parodie le discours courtois. Ce débat est enchâssé dans l’histoire du narrateur, témoin de ce dialogue. L’amoureux est éconduit : il présente tous les arguments habituels de l’amour courtois (mal d’amour, don du coeur, risque de mort et de martyre d’amour, demande de pitié de la part de la dame) mais, à la différence des dames qui récompensent les épreuves subies par leur ami (on appelle cette récompense le guerredon), cette « belle dame » est sans merci (donc sans pitié) et réfutent les arguments présentés.
Ce texte a eu beaucoup de succès et a suscité des continuations et des réponses : il n’a pas laissé insensible. Son caractère fictionnel invitait à la réplique, comme dans les cours d’amour ou les « puy », sociétés où les intervenants proposaient des textes sur un thème et/ou avec une forme donnée. Mais, comme l’indique l’éditeur en introduction, le texte de Chartier n’est pas le seul à présenter une telle dame et une telle réponse à l’amour courtois. Pourquoi un tel succès ?
Peut-être, et c’est en cela que le texte s’avère féministe, parce que la dame y manie le bon sens avec une telle évidence qu’on ne peut que se rendre à ses arguments et qu’elle déjoue les pièges et les artifices du discours courtois en manifestant qu’il est à l’avantage de l’homme et non de la femme, contrairement à ce qui en est généralement présenté. En effet, on dit que la dame est, dans l’amour courtois, celle qui domine et qui fait subir des épreuves à l’ami : en réalité, elle n’est pas libre de refuser l’ami qui souffre pour elle, selon la logique courtoise, sous peine d’être accusée d’être impitoyable, méchante. La Belle dame sans mercy remet les choses à leur place : le discours courtois est un mensonge, une imposture, destinés à prendre les femmes au piège en les culpabilisant. Elle rend cette vérité évidente et c’est en cela qu’elle est, selon moi, un héraut de la cause féminine.
Par ailleurs, par son bon sens et ses arguments sans faille ni détour, la Belle dame anticipe le style des réponses de Jeanne d’Arc à son procès, en 1440 : saisissantes de vérité, de logique et d’évidence.