Selon Freud, la longue station de la petite fille dans la phase oedipienne cause une absence d’indépendance et de force du surmoi (p. 173). Comment le comprendre ? Comme une absence d’indépendance et de force de la femme ? Le surmoi étant l’instance psychique formulant les interdits, notamment moraux, il est surprenant de lire chez Freud qu’il est moins fort chez les femmes que chez les hommes : les hystériques étaient des femmes muselées par leur surmoi et Freud écrit lui-même, plus loin, que les femmes trentenaires sont, en thérapie, « rigides » – ce qui semble dénoter une certaine force de leur surmoi…
Autre trait du portrait que Freud dresse des femmes : un plus haut degré de narcissisme (être aimée serait plus important qu’aimer), la fréquence du sentiment de jalousie et de rivalité, la pudeur… Liste devant laquelle on peut s’interroger : de quel type de femmes s’agit-il ici ? De la jeune femme bourgeoise viennoise du XIXe siècle ? Importe-t-il vraiment plus pour toutes les femmes d’être aimée par son enfant que de l’aimer, par exemple ? On peut en douter. La rivalité n’est-elle pas le ressort de bien des entreprises masculines ? Il n’y a qu’à voir les fictions, depuis le roman du Moyen Age jusqu’aux superproductions américaines actuelles. Quant à la pudeur, ne sait-on pas depuis Montaigne et son essai « Des cannibales », depuis la découverte des Amériques et des îles de Polynésie, qu’elle est une donnée culturelle, indistinctement distribuée entre hommes et femmes ?
Le clou de ce portrait des femmes réside sans doute dans cette affirmation audacieuse : « On estime que les femmes ont apporté peu de contributions aux découvertes et aux inventions de l’histoire de la culture »… Freud écrit pourtant au XIXe siècle : il aurait pu lire beaucoup des auteurs dont ce bookclub traite. Il ajoute : « peut-être ont-elles quand même inventé une technique, celle du tressage et du tissage ».
« Quand même » ; « peut-être »… On pouvait attendre de l’inventeur de la psychanalyse une meilleure connaissance de l’histoire des techniques : les femmes ont inventé l’agriculture ; ce sont souvent elles qui guérissent dans les villages, dès le Moyen Âge ; elles inventent également la gastronomie.
Mais ce ne sont sans doute pas des techniques assez nobles pour être relevées ?
Le point de vue de Freud sur les femmes me semble donc, en définitive, sérieusement entaché par bien des préjugés et des jugements hâtifs – et c’est bien dommage.