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[club] Yates & Perrotta – La question de la maternité

little-children-book1Si on ne lit que Revolutionary Road, il semblerait que le malheur des Wheeler est lié à un problème de contraception. Si leur premier enfant était arrivé plus tard, si le troisième n’était pas arrivé… Si la contraception et l’avortement avaient été permis, le sort des Wheeler aurait-il été meilleur ? Si on se souvient de notre précédent post et notre diagnostic, les Wheeler souffrent tous les deux de bovarysme, il est fort probable que non. Sara certes ne se suicide pas à la fin du roman, mais n’est pas plus heureuse qu’April, sa fille unique était pourtant désirée. Quoiqu’il arrive, la réalité déçoit les deux héroïnes (bovarysme), elles ne savent pas exister, mais seulement rêver leur existence. Par conséquent, April et Sara (même si sa grossesse était prévue) deviennent mère avant de s’être trouvées comme femme. La maternité ne leur permet pas de se trouver.
On peut donc se demander dans quelle mesure il y a une « question de la maternité ». Il y en a une si, pour reprendre le vocabulaire d’Elisabeth Badinter, on adhère au mythe de la « bonne mère » qui doit s’épanouir en élevant ses enfants. Si on n’adhère pas à ce mythe, l’échec d’April ou de Sara en tant que mère comme leur échec en tant qu’épouse, est à relier au bovarysme. On pourrait analyser de la même façon l’échec de Franck et Todd en tant que mari ou père.
Il n’y aurait donc rien de spécifiquement féminin dans le bovarysme, si ce n’est que peut-être la société encourage davantage les femmes à rêver et à s’échapper de la réalité (plafond de verre, mythes de la bonne mère, de la superwoman etc.). Pour développer cette question, il sera intéressant d’utiliser le livre de Betty Friedan The feminine mystique.

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[club] Yates & Perrotta – Livres et cinéma

revolutionary-road-0aRevolutionary road et Little children ont récemment été adaptés au cinéma.

Dans la première adaptation, April est jouée par Kate Winslet et Frank par Leonardo di Caprio – manière de clin d’oeil à un blockbuster du film d’amour romantique, façon de montrer l’envers du décor amoureux.
Dans la seconde adaptation, Sarah est également jouée par Kate Winslet. Ce lien entre les deux héroïnes est particulièrement intéressant, car le jeu de l’actrice n’est pas le même de l’une à l’autre : en dépit de leur ressemblance, April et Sarah ne se confondent pas. April est beaucoup plus vivante, forte et révoltée que Sarah, dont le visage, les gestes, les regards sont plus timorées, plus ternes. April est secrètement aimée de son voisin ; Sarah, même si elle inspire le désir de Todd, n’est pas l’attraction de son quartier. April se définit par ses choix, Sarah par ses renoncements.

Cette différence de jeu est respectueuse des romans ; mais je me demande s’il n’y a pas là, aussi, une idéalisation de l’âge d’or des années 50 et une glorification de l’esthétique qu’on y associe dans les choix de maquillage et de costumes de Kate Winslet dans Revolutionary Road. Une telle référence au glamour hollywoodien n’est pas présente dans le roman…

 

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[club] Yates & Perrotta – L’Amérique, des années 50 à aujourd’hui

RevolutionaryRoadCe qui étonne, lorsqu’on lit Revolutionary Road, c’est l’actualité du propos (en plus de la qualité des analyses psychologiques et de la justesse des situations) : la plupart des paroles de Frank et April pourraient être prononcés par un couple d’aujourd’hui. – A ceci près que l’Europe ne doit plus sembler aux Américains un Eldorado et que les perspectives de fuite heureuse se restreignent. Et que si Frank et April peuvent parler comme ils parlent, c’est parce qu’ils sont présentés comme un couple moderne, et en cela différent des autres couples de leur banlieue.

Mis à part cela, on observe la même description désabusée de la banlieue américaine, censée être le lieu idéal pour vivre en famille et qui s’avère gangrenée par l’uniformité, la monotonie et la mesquinerie. Ce que découvrent Sarah et Todd en 2004, c’est que l’homme peut aussi être au foyer, et connaître à son tour les affres de l’ennui qui en est le corollaire ; c’est, aussi, que derrière la façade, tous ressentent le même vide, tous se rêvent singuliers, différents des autres, quand tous se ressemblent.

Dans les années 50, toutes les maisons se ressemblent de loin mais les vies qu’elles abritent, à y regarder de près, diffèrent et dissonent dès qu’on s’approche un peu ; dans les années 2000, chacun recherche l’originalité mais tous soupçonnent bien, au fond, n’être en rien différent du voisin.

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[club] Yates & Perrotta – Mrs Bovary


2175Revolutionary Road
de Richard Yates, publié en 1961, et Little children de Tom Perrotta, publié en 2004, sont deux romans américains sur la désillusion de la mère au foyer. April et Sarah ont fait des études (le conservatoire d’art dramatique pour la première, un début de doctorat de littérature après un passage par les Gender studies pour la seconde) ; elles ont embrassé la vie d’épouse et de mère avec confiance. Et se retrouvent à ne pas savoir quoi faire du sentiment de vide qui encombre leur existence.

Dans les deux cas, les parallèles avec Madame Bovary sont frappants.

Dans Revolutionnary Road, le lien est explicite : Frank, cherchant à consoler April de l’échec de la pièce dans laquelle elle a joué, sans y parvenir, dit à sa femme : « Tu sembles disposées à faire une assez bonne imitation de Mme Bovary et je voudrais éclaircir deux ou trois points. (….) je trouve que le rôle d’un mari de banlieue muet et insensible ne me convient pas ; tu as tenté de me le faire jouer depuis que nous sommes arrivés ici ; mais je préférerais crever plutôt que l’assumer » (trad. R. Latour, p.43-44).
Quant à Sarah, elle participe à un club de lecture qui a au programme le roman de Flaubert, et le dénouement de Little Children rappelle étrangement la désillusion d’Emma lorsque Rodolphe ne vient pas au rendez-vous signant leur fuite commune. Les derniers mots du roman sont les suivants : « Elle se trouvait là parce qu’elle avait embrassé un homme à cet endroit précis et avait ressenti du bonheur pour la première fois de sa vie d’adulte. Elle se trouvait là parce qu’il lui avait dit qu’il s’enfuirait avec elle, et elle l’avait cru – elle avait cru pendant quelques brefs instants, d’une douceur intense, qu’elle était quelqu’un de particulier, qu’elle appartenait à ce petit nombre de gens chanceux, un personnage de roman d’amour avec un happy end » (trad. E. Ertel, p.367-368).

Toutefois, si le dénouement tragique de Revolutionnary Road peut rappeler celui de Madame Bovary, la fin de Little Children semble moins sombre : Sarah réalise qu’elle doit s’occuper de sa fille, qu’elle est la seule sur laquelle sa fille Lucy puisse compter – la rédemption par la maternité. April, au contraire, trouve la mort dans le refus de la maternité.  Dans Madame Bovary, l’issue n’avait pas grand chose à voir avec l’acceptation ou le refus de la maternité, l’indifférence à l’enfant était signalée dès la première moitié du roman et n’étant plus remise en question ensuite. – Ce qui a changé entre l’époque de Flaubert et aujourd’hui, serait-ce la place de la parentalité dans nos vies ?

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[club] Badinter/Lê – Bonne et mauvaise mère

conflitSi Badinter a intitulé son ouvrage Le Conflit. La femme et la mère, c’est, il me semble, parce que ce conflit n’est pas naturel mais culturel – c’est-à-dire : parce qu’il n’y a pas nécessairement de conflit entre être une mère et être une femme.

Selon les pays (Badinter compare les différents pays d’Europe, notamment la France et l’Allemagne), les politiques adoptés par leur gouvernement et les mentalités, le conflit n’est pas ressenti avec la même intensité partout. J’ai été marquée, par exemple, par l’écrasante adhésion à l’idéal de bonne mère, selon les études que cite Badinter, en Allemagne, qui pousse précisément les jeunes femmes les plus diplômées à ne pas avoir d’enfant. Que la France soit la championne des femmes assumant d’être de « mauvaises mères » m’a semblé plutôt sain et rassurant!

Et si pour accepter de devenir mère, il fallait accepter d’être toujours-déjà une mauvaise mère ? D’où de pardonner à ses propres parents de ne pas avoir été à la hauteur de notre demande infantile ? Accepter de devenir parent, n’est-ce pas, au fond, accepter de ne pas être parfait ? Ce que n’accepte apparemment pas Linda Lê dans À l’enfant que je n’aurai pas.

J’irai même  un peu plus loin : l’idéal de la bonne mère est contradictoire avec le rôle réel d’une mère. L’idéal de la bonne mère définit la maternité comme une protection perpétuelle, un amour sans faille, avec un danger de fusion non négligeable. Le rôle réel d’une mère est de protéger, certes, d’aimer, certes, mais aussi de faire grandir et de laisser partir son enfant. Dès le départ, il s’agit de renoncer à ce rôle d’ « alpha et d’oméga », de mère-monde, que la mère idéale représente dans l’esprit d’un tout-petit. Être une mère, c’est accepter que notre enfant cesse un jour d’avoir besoin de nous ; c’est savoir ne pas avoir besoin de lui. Et pour cela, il faut savoir rester une femme.

Ne pas se réduire à n’être qu’une mère, voilà peut-être la manière dont résoudre le « conflit » entre mère et femme.

 

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[club] Badinter/Lê – Maternité et création artistique

linda-leUn argument de Linda Lê me dérange. Il semble que la principale raison qui pousse l’auteure à ne pas être mère est qu’elle veut se consacrer à son œuvre d’écrivain. C’est une idée qu’on a déjà rencontrée : l’incompatibilité entre être mère et être artiste. C’est une idée qui me dérange en premier lieu car elle est le plus souvent sexiste. Il y a quand on est des parents des obstacles matériels et organisationnels, mais ils doivent être surmontés autrement que par un « sacrifice » de la mère. Cela rejoint la thèse de Badinter comme quoi l’égalité des sexes est la solution au conflit entre féminité et maternité.

Il n’y a pas un phénomène biologique ou psychologique qui changerait le cerveau des femmes quand elles deviennent mères et les rendraient incapables de penser ou de créer convenablement. Si c’est cela la crainte de Linda Lê, alors elle est totalement dans l’idéologie de la bonne mère comme quoi la maternité est quelque chose de spécial, de sacré…

De plus, cet argument renferme une image de l’artiste que je n’approuve pas : celle d’un artiste supérieur ou tout au moins différent du commun des mortels et qui ne peut pas avoir la « vie de tout le monde ». Pour moi il n’y a pas d’incompatibilité entre changer des couches et penser/créer, ni entre laver le sol et penser/ créer, sauf qu’on ne fait pas les deux en même temps quoique… Pour moi être parent et être autre chose quoique ce soit, c’est une question d’organisation du temps, et de politiques la facilitant, ce n’est pas métaphysique mais très concret.

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[club] Badinter/Lê – Le conflit entre la femme et la mère

elisabeth badinterEn 1980, Elisabeth Badinter montre dans L’Amour en plus que l’identité féminine ne se réduit pas à la maternité. L’un de ses arguments est la mise en évidence chez les femmes d’un conflit entre la maternité et d’autres aspirations, l’ « ambivalence maternelle ». Celle-ci est souvent masquée par l’ « idéologie de la bonne mère » apparue au XVIIIème qui tente de confondre féminité et maternité.
Linda Lê est victime de cette idéologie de la bonne mère de deux façons.
Premièrement, elle doit se justifier de ne pas vouloir d’enfant. Elle subit des pressions pour changer de position. Elle doit prouver que sa décision est rationnelle et réfléchie.
Deuxièmement, Linda Lê me semble elle-même adhérer à cette idéologie de la bonne mère. Elisabeth Badinter explique que celles qui choisissent de ne pas avoir d’enfant adhèrent parfaitement à l’idéologie de la bonne mère. Voyant qu’elles ne sauront pas être à la hauteur, se sentant coupable du sentiment ambivalent qu’elles éprouvent à l’envie d’être mère, elles renoncent. En niant l’un des termes du conflit entre maternité et féminité, elles le résolvent. Tout comme les tenants de l’idéologie le résolvent en niant l’autre partie du conflit.
De plus, Badinter remarque que les tenants de l’idéologie de la bonne mère ne devraient pas condamner celles qui choisissent de ne pas être mère pour ne pas être mauvaise. Comment à la fois condamner les mauvaises mères et les femmes responsables qui reconnaissent leur défaut ? Badinter déplore ce paradoxe.
Linda Lê selon moi est tout à fait dans ce paradoxe quand elle présente sa décision de ne pas être mère n’est pas naturelle. Je me méfie de l’argument de la nature quand on parle des humains. Y-a-t-il une vocation de l’homme à se reproduire? J’ai tendance à penser que non, que la reproduction est quelque chose d’animal, alors que les humains ont une sexualité, le propre de la sexualité est d’être indépendante des fonctions biologiques de reproduction… De plus, je me demande si cet argument de la nature s’applique également aux hommes. Dans l’ouvrage ce n’est pas clair si le refus de la paternité est au même plan que le refus de la maternité, selon moi il devrait l’être. On ne peut pas dire qu’une femme qui refuse d’être mère brave les lois de la nature, mais pas un homme qui refuse d’être père.

Je renvoie à l’article que j’avais écrit sur l’ouvrage Badinter Le Conflit. La femme et la mère publié sur ce site (https://www.quiapeurdufeminisme.fr/?p=553).

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[club] Lys dans la vallée/Marquise de Saluces – Résignation et émancipation

 

saluces2Comment lire le conte de Boccace, si dérangeant pour nous ? Et comment le comparer au roman de Balzac, qui nous parle tellement davantage ?
A mon sens, le conte de Boccace est à lire dans son contexte et en relation avec les autres contes du même auteur : celui-ci s’adonne à une écriture divertissante, grivoise, ironique, peu complaisante à l’égard de l’institution conjugale. Ici, il met en avant la folie du marquis et la force d’âme de la marquise qui résiste aux injustices qui lui sont commises. Une lecture spirituelle, où le calvaire de la marquise est rapproché de celui du Christ, n’est pas à exclure. Le livre de Job peut aussi être convoqué pour éclairer le message du conte : il ne s’agit pas de dire qu’il est juste qu’une femme se soumette à son mari mais de donner un exemple de comportement exceptionnel face aux injustices. La soumission apparente de la marquise de Saluces n’est pas un asservissement mais une émancipation, car rien ne la touche : elle est au-dessus de tout. Cet état d’exception, cette quasi « sainteté », est récompensée à la fin du conte ; elle aurait très bien pu l’être après la mort de la marquise, dans une perspective chrétienne, tant ce conte ressemble à une vie de martyre.
Mme de Mortsauf semble à première vue prolonger cette figure de résignation plus d’humaine. Le vocabulaire religieux émaille d’ailleurs les portraits qui sont faits d’elle : elle est un ange, une sainte… Mais sa lettre-testament fait tomber le masque : son visage angélique était un visage de composition. Au fond d’elle-même, elle n’a jamais vraiment renoncé à ses désirs, à ses espoirs. Aussi en est-elle réduite à se mortifier, jusqu’à se tuer.

A partir de cette comparaison, ce qu’il me semble, c’est que ces deux récits acceptent les mêmes valeurs et que c’est au nom d’une même logique que l’un se finit bien quand l’autre se finit mal.

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[club] Lys dans la vallée/Marquise de Saluces – La violence conjugale

salucesLa marquise de Salusses et la comtesse de Mortsauf sont deux victimes de violence conjugale qui se résignent à cette violence, persuadée que la vocation de l’épouse est d’être patiente et de supporter les quatre volontés de son époux.

La nouvelle de Boccace est un conte, donc les violences sont extrêmes : humiliations, enlèvement de ses enfants… Cependant je suis choquée que toutes ces violences apparaissent justifiées par le test : il veut tester la patience de son épouse. Est-ce de l’ironie pour blâmer le mari ?

Le comte de Mortsauf est un pervers : il exerce sur sa femme une violence psychologique. Ses changements d’humeur sont constants : il passe des insultes aux louanges, de la colère aux caresses. « Il finissait toujours par attaquer chez sa femme une corde sensible et quand il l’avait fait résonner, il semblait goûter un plaisir particulier à ces nullités dominatrices »

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[club] Lys dans la vallée/Marquise de Saluces – Désir refoulé, égalité des sexes?

Balzac1820sXIR240955Le lys dans la vallée est le roman de deux désirs inassouvis celui de Félix pour Henriette, celui d’Henriette pour Félix. Le jeune homme ne cache pas son désir « Saisi par le premier accès charnel de la grande fièvre du cœur, j’errai dans le bal devenu désert, sans pouvoir y retrouver mon inconnue ». Madame de Mortsauf est plus discrète mais son désir est présent dès le début. Ainsi, lors de leur seconde rencontre, Félix et la comtesse rougissent : « Je ne sais pas qui d’elle ou de moi rougit le plus fortement ». Ce rougissement réciproque signale des sentiments réciproques, des désirs réciproques. D’ailleurs dans sa lettre posthume la comtesse confiera que les baisers de Félix au bal « ont dominé [sa] vie ».De même, le désir va dominer le roman.
Y aurait-il une égalité des sexes devant le désir?