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[club] Simenon – Ennui de la femme au foyer

B607Dans La nuit du Carrefour surtout, on retrouve le thème de l’ennui de la femme au foyer.

Else s’ennuie et s’occupe en trafiquant.

Mme Michonnet dit regretter le temps avant son mariage quand elle travaillait.

Le garagiste explique que sa femme ne veut pas d’employée de maison par peur de s’ennuyer. « Remarquez qu’elle pourrait se payer une bonne… Mais elle n’aurait plus rien à faire et elle s’ennuierait ».

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[club] Simenon – Maternités

Betty_Claude_ChabrolElse n’a pas d’enfant dans La nuit du carrefour ; Betty, en revanche, en a deux. La manière dont elle décrit son absence d’amour maternel est intéressante au regard de nos lectures de L’amour en plus d’E. Badinter : « Vous croyez à l’amour maternel ? (…) J’oubliais que vous n’avez pas d’enfant. Vous ne pouvez donc pas savoir. Je parle de l’amour maternel comme dans les livres, comme en parle à l’école, comme dans les chansons. Quand je me suis mariée, je pensais bien qu’nu jour j’aurais des enfants et cette idée m’était agréable. Cela faisait partie d’un tout : la famille, le foyer, les vacances au bord de la mer. Puis lorsqu’on m’a annoncé que j’étais enceinte, j’ai été déroutée que cela vienne si vite, alors que j’avais à peine cessé d’être une petite fille. (…) Je ne me cherche pas d’excuses. J’essaie de comprendre. (…) Je suis peut-être un monstre. Dans ce cas, je jurerais que c’est le cas de milliers et de milliers de femmes. »

Son récit de sa grossesse et de son accouchement, puis de la manière dont la bonne lui prend son enfant en s’en occupant d’autorité à sa place, peuvent tendre à montrer que l’amour maternel est quelque chose qui se construit et n’a rien d’inné.

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[club] Simenon – La recluse

LA-NUIT-DU-CARREFOUR-1932Betty et La nuit du carrefour nous proposent deux figures de la recluse : dans le premier cas, Elizabeth est enfermée dans une vie conjugale et familial dans laquelle elle étouffe, dans le second cas Else semble être enfermée par son frère parce qu’il serait fou, et est en effet enfermée par son mari parce qu’elle est « dangereuse ». Les deux femmes cherchent à s’évader de leur cadre de vie étriqué, l’une par l’alcool et l’adultère, l’autre par de petits trafic via une association de malfaiteurs (ses voisins). Dans les deux cas, les maris sont de bonne foi mais aveugles quant aux souffrances qu’ils infligent à leur épouse, à l’inadéquation entre ces femmes et le type de vie qu’ils leur proposent de mener.

Le regard du narrateur n’est pas le même d’un roman à l’autre : dans Betty, le narrateur semble plutôt complaisant envers les comportements « déviants » du personnage principal. Elle attire la compassion du lecteur (elle est recueillie par Laure, qui dit d’elle « c’est une malheureuse »), et même son absence d’amour maternel est traité avec psychologie, à l’inverse de ce qui se passe dans Mme Bovary. Dans La nuit du carrefour, Else est désignée comme la criminelle, qui trompe son monde, sur laquelle on ne peut se fier. Pourtant, dans les deux cas, ces femmes profitent de leur mari et de leur pouvoir de séduction en général pour s’en tirer (voir la fin de Betty : « Elle avait gagné »).

Elles présentent donc toutes les deux des figures, plutôt proches, de la recluse, au sens propre ou figuré, ce en quoi elles rappellent à la fois Emma Bovary ou Thérèse Desqueyroux.

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[club] Zola-Mauriac – D’autres Emma Bovary?

tdEmma s’ennuie depuis toujours, Thérèse D. aussi me semble-t-il (elle ne ressent rien dans tout le roman j’ai l’impression).

Thérèse R. est un cas un peu différent. Il me semble qu’elle aurait pu être heureuse, si sa tante ne l’avait pas enterrée vivante, si elle avait pu assouvir sa sensualité avec un mari. Tout aurait été différent aussi si Thérèse avait pu divorcer. C’est la morale et le poids des conventions qui poussent Laurent et Thérèse au crime (critique sociale de Zola). Thérèse est charnelle, elle n’est pas romanesque comme Emma Bovary ou intellectuelle comme son homonyme.

Cependant, lorsque Thérèse R. se met tardivement à la lecture, bien après les deux autres héroïnes, l’effet négatif des romans ne tarde pas. Elle est une mauvaise lectrice, car elle n’a pas appris à lire.

Les maris des Thérèse sont bien pires que Charles, mais leurs amants sont par contre meilleurs que ceux qu’Emma. Camille rappelle les maris impuissants de Balzac, de la Baudraye ou Mortsauf, maladif, avare et égoïste. Il rappelle aussi Bernard Desqueyroux. Il est ennuyeux et égoiste. Camille est le moins manipulateur, car le plus bête, je trouve.

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[club] Zola-Mauriac – La bête humaine

carneLes deux Thérèse sont présentées par leur auteur comme des créatures étranges, bestiale dans le cas de Thérèse Raquin, monstrueuse dans celui de Thérèse Desqueyroux. Mais dans les deux cas, elles emportent l’empathie du narrateur, et du lecteur :

Thérèse Raquin, ch. VII : « Tu ne saurais croire, reprenait-elle, combien ils m’ont rendue mauvaise. Ils ont fait de moi une hypocrite et une menteuse… Ils m’ont étouffée dans leur douceur bourgeoise, et je ne m’explique pas comment il y a encore du sang dans mes veines… J’ai baissé les yeux, j’ai eu comme eux un visage morne et imbécile, j’ai mené leur vie morte. Quand tu m’as vue, n’est-ce pas ? j’avais l’air d’une bête. J’étais grave, écrasée, abrutie. Je n’espérais plus en rien, je songeais à me jeter un jour dans la Seine… Mais avant cet affaissement, que de nuits de colère ! Là-bas, à Vernon, dans ma chambre froide, je mordais mon oreiller pour étouffer mes cris, je me battais, je me traitais de lâche. Mon sang me brûlait et je me serais déchirée le corps. A deux reprises, j’ai voulu fuir, aller devant moi, au soleil; le courage m’a manqué, ils avaient fait de moi une brute docile avec leur bienveillance molle et leur tendresse écoeurante. Je suis restée là toute douce, toute silencieuse, rêvant de frapper et de mordre. »
La situation dans laquelle Thérèse Raquin a été contrainte à vivre l’a changée en bête ; son crime l’abêtit encore davantage. Laurent, d’ailleurs, motive en partie son crime par son désir de vivre « en brute », de paresse et dans la satisfaction de ses désirs.

La préface de Thérèse Desqueyroux présente elle aussi l’héroïne comme un monstre, une Locuste, empoisonneuse antique célèbre. Le personnage cherche à s’expliquer à ses propres yeux pendant toute la première partie – à ses propres yeux plus qu’au mari auquel cette confession est pourtant destinée, mais qui ne voudra pas l’écouter. Dans La fin de la nuit, c’est en revenant à Argelouse que Thérèse comprend qu’elle ne pouvait pas agir autrement qu’elle l’avait fait, que sa situation était insupportable. Comme si la question de sa monstruosité avait continué à se poser à elle pendant toutes ces années de liberté surveillée.

Mais voir dans nos héroïnes des bêtes ou des montres est avant tout le point de vue d’une certain lectorat, dénoncé comme bourgeois et bien-pensant par Mauriac dans sa préface et par l’héroïne de Zola dans la diatribe reproduite plus haut. Les deux héroïnes ont enfin en commun cet enfermement dans des valeurs qui ne sont pas les leurs : la connivence avec Mme Raquin devenue paralytique, dont seule Thérèse parvient à déchiffrer les regards, met en parallèle leurs situations d’emmurée vivante : « Elle communiquait assez aisément avec cette intelligence murée, vivante encore et enterrée au fond d’une chair morte » (ch. XXVI) ; Thérèse Desqueyroux sera elle aussi enfermée, emmurée vivante, changée en morte vivante. Et là où elle trouve une libération grâce à la générosité finale et inattendue de Bernard, Thérèse Raquin, elle ne trouve d’échappatoire que dans la mort.

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[club] Zola-Mauriac – Mariage forcé

td 1Nos deux Thérèse présentent la particularité de n’avoir pas fait un mariage d’amour.

Le cas de Thérèse Raquin est plus frappant à ce titre que celui de Thérèse Desqueyroux. Elle est une parente de son futur époux Camille Raquin, elle est élevée avec lui, elle dort dans le même lit que lui depuis toute petite. Sa vie de femme mariée s’annonce comme la continuité de sa vie de petite fille. Mme Raquin lui propose ce mariage, les circonstances le lui imposent : elle ne connaît personne en dehors de la famille Raquin. Le mariage contracté avec Camille prend des allures d’inceste ; Mme Raquin pense d’ailleurs au moment du remariage de Thérèse avec Laurent « que, comme on dit, cela ne sortait pas de la famille » (ch. XIX).

Thérèse Desqueyroux semble faire un mariage d’amour : c’est après tout elle qui choisit d’épouser Bernard. Mais il apparaît que ce mariage convient tout à fait aux deux familles, pour des raisons patrimoniales (les pinèdes qu’ils possèdent les uns et les autres), et que le choix de Thérèse est davantage guidé par son affection pour la soeur de Bernard, Anne, que pour Bernard lui-même.

Ainsi, si le mariage de Thérèse Desqueyroux n’est pas arrangé au même titre que celui de Thérèse Raquin, il reste un mariage d’intérêt, non pas pécuniaire comme finissent par le penser la famille de Bernard et Bernard lui-même, mais affectif : en épousant Bernard, Thérèse reste proche d’Anne. C’est d’ailleurs cette dernière qui élèvera la petite Marie, comme on l’apprend dans la suite de Thérèse Desqueyroux, La fin de la nuit.

Aussi les données de notre question sont-elles légèrement changées par rapport aux programmes de lecture précédent : il s’agit toujours de désespoir conjugal, de la détresse de femmes enfermées dans le mariage et la vie domestique, mais ce désespoir et cette détresse sont d’une toute autre teneur que celles des femmes américaines du milieu du XXe s. ou des mères, au foyer ou active, de notre Europe de début de XXIe s.

Y aurait-il donc toujours eu un désespoir de la femme mariée ? Aurait-il seulement changé de cause, d’où de sens ? Ou bien les mariages des deux Thérèse sont-ils particuliers même pour leur époque, et expliquent à ce titre (selon une certaine lecture de ces romans) leur crime ?

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[club] Zola-Mauriac – Vie domestique indigne d’intérêt

tr 1Thérèse Desqueyroux se désintéresse des tâches domestiques attribuées, dans son milieu, aux femmes (le soin des enfants vient au premier rang, mais aussi le soin du mari) quand sa belle-soeur Anne y excelle. La vie qu’elle mènera à Paris sera d’ailleurs une vie de célibataire, quasi-recluse, marginale.

De même on trouve, chez Thérèse Raquin, ce mépris pour la vie ordinaire : lorsque Suzanne vient accompagner Thérèse dans la mercerie après l’attaque de paralysie de Mme Raquin, il est dit de Thérèse qu’elle « écoutait avec des efforts d’intérêt les bavardages lents de Suzanne qui parlait de son ménage, des banalités de sa vie monotone. Cela la tirait d’elle-même. Elle se surprenait parfois à s’intéresser à des sottises, ce qui la faisait ensuite sourire amèrement » (ch. XXX).

Emma Bovary partage avec nos deux Thérèse l’absence de tout sentiment maternel. Est-ce un moyen pour Flaubert, Zola et Mauriac de présenter leur personnage comme des femmes dénaturées, et d’expliquer ainsi leur crime ?
Cette hypothèse peut être accréditée par l’apparition de l’image de la femme Ange du Foyer et bonne mère au XIXe telle que l’analyse E. Badinter dans L’amour en plus.

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[club] Weiner-Cusk-Guéritault – La femme assassinée

violaine gueritaultJuliet est une femme frustrée. Cela est clair dès les premières pages du roman : elle a le sentiment d’avoir sacrifié le brillant avenir auquel elle était promis à son mari. Elle le dit dans des mots très dure : « All men are murderers, Juliet thought. All of them. They murder women. They take a woman and little by little they murder her »

Juliet se sent assassinée. Elle n’existe que le dernier vendredi du mois pour son club de littérature. « At the Literary Club, however, for an hour, Juliet took a human form »

De même Kate rêve que sa vie n’est pas la sienne : elle explique dans le premier chapitre que c’est un rêve récurrent. Elle a du mal à être actrice de sa propre vie. C’est un syndrome du burnout décrit par Violaine Guéricault. Enquêter sur le meurtre de Kitty lui permet de reprendre contact avec sa vie professionnelle d’avant ; mais cette enquête est bien plus qu’un hobby. Depuis la naissance des enfants, Kate était dans une sorte de dépression, elle n’arrivait à s’intéresser à rien. Depuis trois ans, cette enquête est la première chose qui l’intéresse, c’est en quelque sorte une thérapie, ce qui lui permet de reprendre goût à la vie. L’enquête lui permet de reprendre confiance en elle. Elle poursuit l’enquête au péril de sa vie car elle lui permet à nouveau d’exister c’est à dire d’être quelqu’un (en référence au titre au début du roman Kate sent qu’elle n’existe pas, qu’elle n’est personne, que sa vraie vie est ailleurs).

Juliet songe à se venger de son « assassinat » en expliquant à ses élèves que Les Hauts de Hurlevent traitent avant tout de vengeance… Elle développe un argument autour de la mère des soeurs Brontë qui me rappelle l’argument de la soeur de Shakespeare de Woolf (très présente dans Arlington Cusk). La mère des soeurs Brontë a été assassinée par son mari, sa famille, en quelque sorte ses filles l’ont vengée.

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[club] Weiner-Cusk-Guéritault – Universalité du stress maternel

photo-La-Vie-domestique-2013-6Violaine Guéricault explique que son observation ne dépend pas des cultures (même chose en France et aux USA), ne dépend pas des milieux sociaux… Etre mère causerait toujours une répétition de petits stress, pouvant si on ne le reconnait pas conduire au burn out.

Au début du roman, Kate pense que Kitty est très différente d’elle (« As far as I was concerned she represented everything that was wrong with my new hometown ») au fil de l’enquête elle se découvre des points communs. Cela renvoie à l’universalité du phénomène de burnout décrit par Violaine Guéricault. Cependant Kate ne le perçoit pas, elle pense qu’elle est différente des autres, qu’elle est la seule à ne pas s’en sortir. Violaine Guéricualt décrit aussi cette isolement qui renforce le stress maternel.

De même les femmes d’Arlington Park sont très différentes, pourtant leur expérience se ressemble. Comme Kate, Juliet se sent une « outsider » (« With her job, her PhD, her air of bitterness, she was an outsider »), pourtant son expérience est proche de celles des autres

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[club] Weiner-Cusk-Guéritault – Le travail invisible des femmes

vie domestiqueDans une interview à Télérama du 2 octobre 2013, Isabelle Czajka, réalisatrice de l’adaptation cinématographique d’Arlington Park explique qu’elle a voulu montrer le travail invisible des femmes.

C’est en effet le thème des trois ouvrages au menu de ce jour. Les héroïnes des romans accomplissent un travail invisible. Invisible parce que méconnu et surtout pas reconnu.

Les maris de Kate, Christine ou Juliet n’accordent à leurs épouses aucune reconnaissance. Ils pensent que leur quotidien est facile. Il ne leur en parle que pour leur faire des reproches. Ben par exemple ne donne qu’un feedback négatif à Kate : plus de chemises propres, ses kilos en trop, incident lors de la fête d’anniversaire… Ceci illustre le chapitre 5 du livre de Violaine Guéricault. Ce manque de reconnaissance est un facteur de stress.