Si Clara est aujourd’hui connue sous le nom de Schumann, elle l’était déjà sous son nom de jeune fille, Wieck. Son père l’a en effet soutenue (et même poussée, voire coachée, pour utiliser un terme contemporain) à se produire devant les publics de toutes les grandes capitales européennes, quand ce n’est pas devant les familles régnantes (Reine d’Angleterre). Reconnue dans le cercle des musiciens de son temps, ce n’est pas sa rencontre avec Robert Schumann qui fait d’elle un personnage remarquable : c’est sa réputation qui attire Robert Schumann, et sa personnalité qui l’éblouit.
De même, Clara survivra 40 ans à Robert Schumann tout en continuant à mener sa carrière d’interprète ; sa relation avec Brahms aurait pu en faire une autre « femme de » : il n’en a rien été, puisque c’est bien plutôt lui qui se mit au service de cette femme, peut-être un peu à la mode des troubadours du Moyen Âge.
Clara Schumann est une interprète et une compositrice. L’ouvrage de Brigitte François-Sappey met en avant ces deux pans de son identité musicale, livrant parfois des analyses des oeuvres de la jeune femme.
Car c’est bien de « jeune femme » qu’il convient de parler : Clara Schumann a surtout composé dans son jeune âge, avant de devenir mère. Si ses compositions n’ont pas radicalement cessé après son mariage, on observe un ralentissement de la production et, même, la survenue d’un complexe chez la musicienne : elle juge elle-même l’une de ses pièces comme « insipide » « effémininé[e] », « sentimental[e] » (p. 61), lorsqu’elle les compare à celles de son mari.
Robert Schumann n’aura pourtant pas cherché à brider sa femme dans sa création ; mais il semblerait qu’elle se soit auto-castrée, se réservant au seul rôle d’interprète, et qu’elle ne se soit adonnée à la création qu’avec douleur et presque à contre-coeur.
[club] Fates&Furies : Lady MacBeth
Le personnage de Mathilde me fait un peu penser à celui de Lady McBeth (c’est sans doute la tonalité shakespearienne du roman qui veut cela, et ses nombreuses références au théâtre en général et à Shakespeare en particulier) : elle guide son mari, semble son meilleur soutien, mais tient en fait à la fois du Pygmalion féminin et du démon manipulateur.
Au cinéma, en version plus light, on peut retrouver une telle histoire dans M. et Mme Adelman de N. Bedos (2016).
[club] Fates&Furies : Destin
Le roman pose la question du destin : peut-on échapper à son enfance ? peut-on décider de son destin ? La famille de Lotto le voit génial. Ça marche, mais pas tout à fait… L’avantage de l’admiration reçue est qu’il ne doute pas un instant qu’il mérite la gloire qui lui tombe dessus. La famille de Mathilde/Aurélie voit en elle le mal incarné. Oui, mais pas à ce point.
On peut élargir cette question du destin à ce qui nous préoccupe dans les discussions de ce bookclub : peut-on échapper à son genre? Peut-on échapper aux préjugés et aux rôles attachés à son genre biologique?
Lancelot s’empêtre dans le discours traditionnel sur la différence des genres. Il prétend que les femmes ne peuvent pas créer des œuvres, car elles créent la vie. « if a woman chooses to spend hers [time] on creating actual life and not imaginary life that’s a glorious choice » « women have turned their creative energy inward, not outward ».
Or Mathilde n’a pas d’enfant. Dans la seconde partie, on apprend que c’est par choix, qu’elle a avorté une fois (p. 273-4). Cependant, la vie de Mathilde n’est pas exempte de création : elle s’est créée. Elle a lentement, patiemment créé Mathilde et fait disparaître Aurélie. Puis elle a aussi créé Lancelot. Elle a vu le potentiel de sa première pièce, elle a fait les corrections nécessaires, elle a manipulé ses émotions à plusieurs reprises…
Durant la première partie, Mathilde est la femme de Lotto. Il est difficile de la définir autrement. C’est son identité. Elle lui est entièrement dévouée et il la voit comme une sainte, même si vers la fin de la première partie, son admiration semble ébranlée.
La deuxième partie du livre pose une question : qu’est-ce qui arrivent aux femmes de génie quand le génie meure. Le livre propose une réponse à travers la voix de la compagne de Gertrude Stein, Alice B. Toklas p. 373 : « I am nothing but a memory of her ». Mathilde est autre chose que le souvenir de Lotto, parce qu’elle est aussi Aurélie… Elle a sa vengeance. Elle est aussi vengeance et colère. La deuxième partie du roman découvre les secrets de Mathilde : elle gagne une identité. Pendant toute la première partie, elle était active, prenait des décisions, existait. Elle est en fait un personnage bien plus intéressant que Lotto p. 272 « She was the interesting one ».
Louise Bourgeois a choisi l’araignée comme symbole de la mère. Ce choix peut surprendre même si la biographie de Louise Bourgeois donne une explication (sa mère tissait des tapisseries). L’araignée est en effet une bestiole qui fait peur ou dégoûte, qui peut être dangereuse… C’est une représentation qui surprend car elle n’associe pas la maternité à la beauté et à la douceur, mais à la violence et au travail. L’araignée patiemment tisse sa toile et tue quiconque l’attaque. Le choix de l’araignée surprend si l’on se base sur les représentations habituelles des mères, mais si l’on se base sur des expériences réelles de la maternité, ce n’est pas si surprenant. Louise Bourgeois a ici le mérite de s’opposer aux clichés.
Louise Bourgeois pense que Freud n’a rien fait pour les artistes, que la cure ne se permet pas de libérer de l’enfance. De plus, elle affirme le pouvoir de la sexualité féminine. Dans Le Regard, les femmes regardent le monde avec leur vagin. Serait-ce donc une revanche des femmes sur la psychanalyse ? Ce n’est pas sûr. En revenant toujours à son enfance, Louise Bourgeois montre que le médecin viennois avait raison. Et je pense que l’on peut voir dans sa destruction du père une forme de réconciliation. Elle va certes plus loin : elle ne se contente pas de tuer le père, elle le détruit, mais c’est justement cela, ce dépassement, qui permet la réconciliation.
Agnès Varda n’est pas présentée comme la compagne de Jacques Demy. Elle a une carrière indépendante, propre, tout en étant la compagne d’un artiste tout autant célèbre. Elle lui consacre d’ailleurs une trilogie après sa mort, preuve d’un grand amour.
Et pourtant elle continue d’être Agnes Varda. On pourrait presque voir une inversion des rôles. Etant le sujet de son œuvre, c’est le compagnon qui devient la muse…
J’aimerais savoir à quoi cela tient…
Est-ce que les temps ont changé depuis Camille Claudel? Si on pense aux scandales récents dans l’univers du cinéma difficile de dire oui.
Est-ce que cela tient d’un manque d’info? Peut-être qu’Agnes Varda a lutté pour s’imposer et que je manque simplement d’info.
Est-ce que cela tient à la personnalité exceptionnelle d’Agnès Varda ? Elle est très indépendante dans son art. Elle refuse les étiquettes (comme celle de la Nouvelle Vague), elle n’a pas peur de faire des films qui ne se vendent pas. Je la cite ici dans une interview donnée en 1986 dans 24 images, numéro 27 : « Je ne suis pas attachée et personne ne m’attachera. Mais je prends le risque de faire des films qui ne marchent pas. Alors qu’ils veulent presque tous gagner de l’argent à chaque film et faire carrière ».
Je pense qu’il y a un peu de tout, les temps ont un peu changé: elle a aussi subi de la discrimination et elle a une personnalité extraordinaire. Sa force est, nous l’avons vu dans le post précédent, son indépendance.