Héloïse refusait d’épouser Abélard de crainte qu’il ne puisse plus, entouré d’enfants qui crient, mener une vie propice à la réflexion philosophique ; le philosophe retranscrit ses arguments comme suit :
Quel rapport peut-il exister entre les élèves et les nourrices, les écritoires et les berceaux, les livres ou les tablettes et les quenouilles, les stylets ou les calames et les fuseaux ? Qui,voué à la méditation philosophique ou théologique pourrait supporter les cris des nourrissons, les berceuses chantées par leurs nourrices pour les calmer, ou encore cette foule turbulente de domestiques, tant hommes que femmes ? (…) Cela, me diras-tu, les riches le peuvent, eux qui possèdent des palais pour demeures, avec de beaux appartements spacieux, eux dont les richesses autorisent toutes les dépenses et qui n’ont point à s’inquiéter des choses de la vie quotidienne ! Mais la condition du philosophe n’a rien de commun avec celle du riche; quant à ceux qui doivent faire face aux tracas de la vie ordinaire, ou qui cherchent la fortune, ils ne sauraient satisfaire aux hautes exigences de la philosophie ou de la religion. (« Consolation à un ami », éd. Livre de poche, « Lettres classiques », p. 69).
Peut-on en dire autant de la littérature en particulier et de l’art en général ? Les femmes artistes dont il nous reste les oeuvres purent-elle écrire parce qu’elles avaient fui la vie conjugale et maternelle ? Comment certaines ont-elles réussi à concilier ces vies parallèles ? A une époque, la nôtre, où l’on ne cesse de s’interroger sur la conciliation, pour les femmes, des vies professionnelle et familiale, quelle est la place de l’art ?
Dans cette section de ]quiapeurdufeminisme[, on trouvera des éléments de réflexion pour répondre à cette question ambitieuse, tant historique que sociologique, en explorant les axes suivants :
1) Femmes et ascètes : Tout sacrifier sur l’autel de l’écriture
Des moniales ou béguines du Moyen Age aux bas-bleus du XIXe siècle, beaucoup de femmes aspirant à une vie intellectuelle ou artistique ont préféré le célibat au mariage, la virginité à l’amour ou l’amour platonique à l’amour charnel. Comment ce choix s’est imposé à elle ? Etait-il seulement idéologique ou y entrait-il des considérations économiques ou sociales ? Une telle vie leur a-t-elle permis d’écrire et d’être lues ? Dans quel cercle ? A quel prix ?
Contre l’ascèse intellectuelle féminine : Jeanne Ancelet-Hustache, Lycéenne en 1905
2) Femmes, filles, épouses… : (a) De la collaboration artistique
Colette et Sido, George Sand et Jules Sandeau… Certaines femmes de lettres se sont lancées dans l’écriture accompagnée de leur compagnon ; puis, ont poursuivi leur route seule. D’autres, peintres, ont été initiées à leur art par leur père ou leur amant. A-t-il existé des formes efficaces de collaboration familiale ou amoureuse et artistique, profitable autant à l’un qu’à l’autre ?
Camille Claudel : Anne Delbée, Une femme
Artemisia Gentileschi : Alexandra Lapierre, Artemisia
Frida Kahlo : Lettres
3) Femmes, filles, épouses… : (b) Assister plutôt que créer, le syndrome de la « femme ou fille de »
Femmes de Dostoievski, de Tolstoï… Elles ont insufflé à leur mari les idées sur lesquelles bâtir leur grand oeuvre, ont organisé leur correspondance, fabriqué leur postérité : sans elle, ces grands écrivains ne seraient rien. Mais sans eux, que seraient-elles devenues ? Auraient-elles écrit pour de bon ? Etait-ce leur ambition ? L’ont-elles fait malgré tout, dans des genres mineurs (mémoires, biographie, correspondance), parce qu’il s’agissait de genres mineurs ?
Lauren Groff, Fates and Furies
Françoise Tillard, Fanny Hensel née Mendelssohn Bartholdy
Catherine Sauvat, Alma Mahler et François Giroud, Alma Malher ou l’art d’être aimée
Marie d’Agoult (sous le nom de Daniel Stern), Nélida
Sophie Tolstoï, Ma vie
Gerturde Stein, The Autobiography of Alice B. Toklas
4) Femmes et mères : Le prix de l’art
Certaines femmes, comme George Sand ou Flora Tristan, ont suivi leur destin de femmes de lettres et/ou de prophètes d’un monde meilleur après un divorce, en entretenant leur célibat à coup de liaisons non-officielles ou de passades amoureuses. Mères, elles ont élevé leurs enfants en célibataires. Etait-ce là le prix de l’indépendance artistique ? Qu’en ont-elles dit, pensé elles-mêmes ? Etait-ce un choix stratégique ou par défaut ? Leur a-t-il permis d’écrire ou, au contraire, a-t-il contraint leur inspiration et leurs capacités de travail ?
Une peintre de la maternité, Elisabeth Vigée-Le Brun : Mémoires d’une portraitiste
Une mère de famille nombreuse, pianiste de génie et muse de deux compositeurs, Clara Schumann : Brigitte François-Sappey, Clara Schumann ou L’oeuvre et l’amour d’une femme
5) Femmes libres : affirmation de soi
Dans certains art, réputés féminins, comme la danse par exemple, les femmes ont pu trouver une place et l’espace nécessaire à leur affirmation. Comment s’est construit leur parcours ? Leur a-t-il fallu, néanmoins, combattre une hégémonie masculine ou une opposition à leur expression ? Comment s’est affirmée leur liberté ?
Une danseuse hors norme, Isadora Duncan : Ma vie
Une chorégraphe cosmique, Carolyn Carlson : Thierry Delcourt, Carolyn Carlson, de l’intime à l’universel
Pour une philosophie de la danse : Christine Leroy, Phénoménologie de la danse [critique] [podcast]