Je voulais aussi relever le passage où V. Woolf reproduit la lettre où son interlocuteur justifie son refus de lui donner 1 guinée. A un moment, il déclare que les femmes ne peuvent pas siéger dans une assemblée sérieuse (intellectuelle ou politique) parce que son éducation « de femme » (à la coquetterie) la pousserait à distiller autour d’elle une atmosphère de séduction qui ne cadrerait pas avec le but poursuivi par cette assemblée. » « Mademoiselle » peut évoquer le froufrou des jupons, l’arôme d’un parfum (…). Ce qui charme, apaise dans une demeure privée, peut distraire, exaspérer dans un bureau. »
Ainsi, l’homme en question, qui participe, par sa vision des choses, à encourager cette éducation des femmes à la coquetterie qui les chosifie (elles se transforment en poupées), prend cette éducation comme motif à éloigner les femmes du bureau : c’est un cercle vicieux ! Il pose un parti-pris (les femmes à la maison, les hommes à l’extérieur) en tire les conséquences (les femmes deviennent des poupées) et utilise cette conséquence pour justifier son parti-pris (les poupées n’ont pas leur place dans un bureau). C’est un argumentaire totalement fallacieux!
J’observe en passant que ce pouvoir de séduction qu’auraient infailliblement les femmes leur est compté comme un vice, un désavantage, quelque chose dont on peut leur faire un reproche. En réalité, c’est bien un pouvoir que les femmes peuvent avoir, en l’occurrence, sur les hommes – et c’est justement pour cela qu’on a pu leur faire le reproche, et tenter de le juguler. En reprochant aux femmes de les séduire, en attribuant à ce pouvoir de séduction la source légitime de tous leurs maux (cela va d’Eve tentatrice aux femmes violées desquelles on dit : « elle l’avait bien cherché, elle portait une jupe la nuit »), les hommes concernés ne font qu’avouer leur faiblesse (et leur esprit de tyrannie).
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