La première question que j’aimerais soulever porte sur le sérieux du livre. Je n’ai aucun jugement pré-conçu sur Elisabeth Badinter, mais je reste un peu circonspecte à l’issue de la lecture de Fausse route. L’auteur se sert de résultats d’enquêtes sociologiques et discute les conclusions qui en ont été tirées. Elle veut montrer que ces conclusions sont solidaires d’une lecture des faits qui n’a rien d’objective, car serait celle d’une victimisation de la femme et d’une diabolisation de l’homme. Présenté comem cela, le féminisme semble en effet ne pas être une posture intellectuelle très pertinente (s’il s’agit juste de se plaindre…) ; mais n’est-ce pas un constat qui a encore cours, dans des tas d’autres cultures et sociétés que la notre? Peut-on nier que les rapports hommes-femmes ont longtemps été conduits selon un impératif de domination, à l’avantage de l’homme et au désavantage de la femme? Nul ne remet en cause l’idée selon laquelle la société occidentale a fonctionné (et fonctionne encore un peu) sur le mode du patriarcat. Alors pourquoi crier au délire quand on pointe un certain rapport de domination? Et peut-il encore y avoir féminisme sans ce constat de départ?
Catégorie : discussions
Admirons tout d’abord l’intelligence avec laquelle les livres sont programmés dans le Bookclub (seconde d’auto-louange très gratifiante) : Le Deuxième Sexe représentait la lutte des femmes avant la révolution sexuelle, Fausse route prétend la présenter après. Les féministes après 1970 restent face à l’angoissant gouffre ouvert par Beauvoir : la liberté… Qu’est ce qu’être une femme?
Elles empruntent des voies qui, selon Elizabeth Badinter trahissent Beauvoir et mettent en danger les progrès accomplis dans les années 70… Et nous qu’en pensons-nous?
Réponses ou plutôt tentative de réponse demain à 19heures….
The Hours permet d’ouvrir la réflexion sur : et Mrs Dalloway aujourd’hui, et Mrs Dalloway dans nos vies ?
Je lance le débat…
De Roger DALRY.
Le film est très proche du roman. Le montage accentue la mise en parallèle entre les trois femmes. C’est une adaptation réussie même si elle manque un peu de rythme. Certes le réalisateur a choisi de ne pas trop miser sur le dialogue de transmettre par les images, les mouvements, les regards et les corps mais tout de même c’est parfois un peu trop minimaliste.
C’est un roman qui parle de femmes sans jugement moral. C’est assez féministe. Par contre ce n’est pas un ouvrage militant. Il ne pose pas la question du « devenir femme » ou de « être une femme », il demande simplement ce que c’est que réussir sa vie.
Mais là où c’est intéressant c’est que l’auteur est un homme : qu’un homme réfléchisse au sens de l’existence, au bonheur à partir d’un personnage littéraire féminin c’est à mon avis tout à fait féministe (à moins qu’on considère bien sûr qu’être féministe correspond à louer la différence entre hommes et femmes) .
Cela montre que Virginia Woolf a réussi ce qu’elle préconisait : l’artiste doit dépasser toutes les contingences, y compris celles du sexe. Les femmes auront réussi en littérature quand elles seront des auteurs, et pas seulement des auteures féminines.
Donc The Hours est féministe, au sens de Virginia Woolf.
L’ouvrage reprend l’unité de temps de Mrs Dalloway : une journée.
Clarissa et Laura préparent une « party » tout comme Mrs Dalloway. Mais si la thématique est la même, il me semble que le sens de cette « party » n’est pas identique.
On pourrait écrire pour Clarissa ce que Virginia Woolf écrit à propos de Mrs Dalloway et des parties : “Every time she gave a party she had this feeling of being something not herself, and that every one was unreal in one way ; much more real in another”. L’organisation de la réception évite à Clarissa de réfléchir à son couple, à son passé… Mais en même temps, c’est cette réparation qui lui ramène tous les fantômes…
Laura essaye de se contenter avec l’organisation de l’anniversaire mais elle n’y parvient pas. Elle fait le gâteau par devoir mais elle ne parvient pas à y trouver du bonheur. Ce qui la relie à Mrs Dalloway c’est la pensée du suicide, pas la cérémonie.
On peut remarquer aussi que Clarissa a une petite amie qui s’appelle Sally. Or Mrs Dalloway avoue son amour jamais assouvi pour Sally… Clin d’œil ? Preuve que les temps changent ?
Je pense que cet ouvrage offre une réflexion sur l’échec. Le roman ouvre sur un échec « She has failed » ; « They have failed, haven’t they ?» C’est la question du roman : est-ce que les trois femmes ont échoué?
Virginia Woolf a réussi en matière de littérature : le livre montre d’abord la force de la littérature son actualité qui dépasse largement l’époque et le quotidien de l’auteure.
Clarissa n’a pas réussi sa partie…
Laura Brown a réussi la sienne, mais elle échoue à s’enfuir…
Je pense que le roman montre que l’échec est quelque chose de relatif. Tout dépend de où l’on met les priorités. Tout dépend de ses choix : il faut faire les bons choix…
Et les bons choix sont souvent ceux qui nous éloignent des autres :
Virginia a sacrifié sa santé à son œuvre. Laura Brown en quittant sa famille choisit la vie, si elle avait pensé aux siens elle aurait raté sa vie, même elle aurait choisi le suicide. Clarissa en s’occupant de Richard s’évite de penser à sa vie, à Sally…
Je ne parviens à déterminer si le livre est un appel à l’égoïsme, ou si au contraire il nous dit qu’on ne peut pas être avec les autres si on s’oublie soi-même.
Je pense que Beauvoir exprime particulièrement le sort des femmes grâce au concept d’immanence et de transcendance.
Il y a une contradiction entre la condition humaine (aspiration à la liberté et à l’afirmation de soi, aspiration à la transcendance) et à la vocation féminine. « Etre féminine, c’est se montrer impotente, futile, passive, docile » (on maintient les femmes dans l’immanence). p.99. Et cette contradiction se ressent dans la souffrance des jeunes filles.
Depuis toujours des femmes essayent de « réaliser la transcendance dans l’immanence » mais ces révoltes individuelles échouent : la narcissiste, l’amoureuse, la mystique.
Ceci dit je ne trouve pas que la contradiction entre transcendance et immanence soit le seul fait des femmes : les hommes connaissent le déchirement entre regarder Julie Lesacut et écouter Envoyé Spécial… Non, la mauvaise foi ça concerne tout le monde.
On rejoint ton premier et ton second post en fait
La lecture du Deuxième sexe, malgré les réserves que j’ai formulées dans mes deux précédents posts, m’a profondément marquée. J’ai mieux pris la mesure des avantages qui sont les notres aujourd’hui, et celle des luttes qu’ont eu à mener toutes les féministes (des suffragettes aux chiennes de garde, même s’il y a plusieurs écoles et que toutes ne se valent pas forcément!).
La force du Deuxième sexe, c’est de proposer une interprétation cohérente et globale de la condition féminine, en partant du principe fort selon lequel il n’y a pas d’ « éternel féminin », de nature féminine, seulement une condition, une « situation » (pour reprendre le terme sartrien) dans laquelle les êtres humains nés de sexe féminin sont placées.
Le défaut de toute interprétation, c’est de forcer, parfois, un peu les faits pour qu’ils entrent dans la lecture pré-décidée qu’on veut en avoir (cf ma critique des femmes écrivains). Or on peut avoir une lecture tout à fait différente de l’histoire de la guerre des sexes, et voir dans le développement de la coquetterie chez les femmes celui d’une défense, voire d’une attaque (ne parle-t-on pas de la séduction comme d’une arme ?). C’est en tout cas la lecture qu’en a Laclos dans le court opuscule Des femmes et de leur éducation. Le cas le plus typique est celui de la galanterie : quand un homme tenait la porte à une femme avec un sourire béat, la soumettait-il à son désir pour elle, ou est-ce elle qui, par les charmes qu’elle a aiguisé à l’avance, l’a soumis en le conduisant à lui faire jouer la comédie de la soumission? Quant un homme offrait une situation à une femme en l’épousant, est-ce elle qui se prostituait à lui, ou lui qui sacrifiait tout son argent pour satisfaire le désir qu’elle avait sciemment suscité chez lui? Tout dépend de ce qu’on veut faire dire à ces situations, et donc de ce que chacun veut croire. Les deux peuvent se croire les grands gagnants de la lutte (et dans les deux cas on peut penser qu’ils sont chacun de mauvaise foi!)
La question du mariage est centrale dans le Deuxième sexe. Le problème qui y est au coeur est celui de l’accession à une position sociale mais aussi, plus prosaïquement, à un moyen de subsistance : tant que la femme n’avait pas le droit de travailler (sans l’accord de son mari..), elle n’était pas en mesure d’être indépendante financièrement, d’où d’acquérir par ses propres moyens une position sociale. Cette considération sociale et « alimentaire » primant sur toutes les autres dans le choix d’un mari, les sentiments pouvaient être mis de côté ; Simone de Beauvoir décrit particulièrement bien la déception de la femme mariée, son enfermement dans un quotidien absurde (je pense à sa comparaison de la vie de la femme au foyer avec Sysiphe et de ses tâches à accomplir avec le supplice du tonneau des Danaïdes).
Cette situation, malgré l’émancipation féminine, est malheureusement encore d’actualité ; le succès de la série Desesperate Housewives semble le prouver avec assez d’évidence…