V. Woolf met en avant l’importance qu’a prise la première guerre mondiale dans l’évolution des mentalités touchant la question des femmes. Elle décrit la manière dont les femmes ont occupé la place des hommes en leur absence, se sont mise à travailler, et ont ainsi acquis une autonomie, non pas tant financière cette fois que mentale. Cette libération de leur carcan joue donc, observe-t-elle, en faveur d’une promotion de la guerre : puisque c’est lorsque les hommes sont sur le front que les femmes peuvent se sentir exister, elles les encourageront à s’engager. Il faut donc les aider à se libérer autrement, si on ne veut pas les pousser à promouvoir la guerre.
Dans ce passage, ce qui m’a intéressé, c’est l’idée – chère à Hegel – d’une libération par le travail. Mais je surinterprète peut-être, parce que V. Woolf n’accentue pas vraiment ce point. Elle ne décrit pas la manière dont le travail désaliène, mais insiste plutôt sur la puissance libératrice d’une véritable éducation, car d’une véritable culture.
Je me demande, du coup, si on ne retrouve pas là un peu de son préjugé de départ (que j’appelais « préjugé de classe »), selon lequel ce qui importe, c’est la culture, la valeur du savoir, et non le travail dans son aspect le plus concret (les femmes en 1914 « conduisent les camions » etc).
Catégorie : discussions
Virginia défend le droit des femmes à gagner leur vie à égalité avec les hommes. Elle s’oppose aux mouvements qui voudraient les faire retourner aux fourneaux. P. 103 Le travail des mères au foyer ne mérite pas salaire selon les hommes qui gouvernent. La moitié des revenus de son époux (p.104) ne lui sont pas versés en main propre. Le mari peut le lui donner ou non et elle n’a pas la liberté de le dépenser comme elle veut. Il faut noter ici que Woolf s’oppose au fascisme et au nazisme qui veulent faire revenir la femme au foyer.
On pourrait donc ranger le texte de Woolf comme un témoignage du passé : aujourd’hui il est loin le temps où les femmes ne pouvaient pas travailler sans la signature de leur mari, ou louer un appart sans l’accord de leur père…
Pourtant, lorsque je lis la page 94 traitant de l’égalité des sexes dans les salaires et l’accès à la fonction publique. J’hésite à enterrer le texte…Il est intéressant de remarquer que ce texte aurait pratiquement pu être écrit aujourd’hui et publier dans une colonne du Monde. Idem pour d’autres passages p. 184 : pour l’égalité des femmes dans le travail ; p. 198-208 : place des femmes dans l’Eglise.
L’élément qui m’a le plus marquée dans Trois guinées, c’est la revendication que mène V. Woolf pour l’indépendance financière des femmes. C’est de là que dépend leur indépendance intellectuelle et mentale, affirme-t-elle : être indépendante financièrement, c’est sortir de la sphère d’influence du père et du frère, les figures masculines de la maison. L’anecdote concernant l’emploi de préceptrice que prend une jeune fille et pour lequel son père lui demande de ne pas être rémunérée est bien choisie, et bien analysée : pourquoi lui demande-t-il cela, en arguant qu’être payée ne serait pas digne d’elle, alors qu’il est lui-même payé pour le travail qu’il accomplit? Il y a là une contradiction, et donc la trace d’une mauvaise foi, manifeste.
Pourtant, je me demande comment comprendre cette volonté d’indépendance : V. Woolf était-elle financièrement indépendante elle-même?
V. Woolf insiste beaucoup sur le sort des « filles d’hommes cultivés » et sur la différence de traitement qui existe entre elles et leurs frères. Mais quid des femmes en général, que leurs pères soient cultivés ou non? Pourquoi dénoncer comme une injustice le fait que les filles d’hommes cultivés en particulier ne soient pas cultivées, et pas le fait que l’éducation soit le privilège des garçons et d’une certaine classe? Y aurait-il une forme d’aristocratie chez V. Woolf? Quand elle dénonce la tyrannie et la mysoginie, ne participe-t-elle pas par ailleurs au même type de rejet infondé, qui relèverait quant à lui des préjugés de classe?
Je laisse la question ouverte au débat.
Si l‘on doit inscrire Louisa May Alcott dans un courant féministe, ce ne serait pas dans celui de Beauvoir, même si je maintiens ce que j’ai dit plus haut.
En effet, elle défend l’existence d’une nature féminine différente de celle des hommes. Et si elle réclame aux femmes des droits, c’est au nom de cette différence, au nom de la valeur de vertus féminines.
Ainsi Jo en voulant s’adapter au marché, au lecteur « profane » ses vertus féminines…p. 140 « she was beginning to desecrate some of the womanliest attributes of woman’s character. » ; p. 141 : « the natural instinct of a woman for wht was honest, brave, and strong »
Mrs March et ses filles en effet illustrent très bien l’ « éthique de la sollicitude » développée par des féministes américaines comme Susan Moller Okin.
De plus, l’importance accordée à la famille s’inscrit bien dans ce mouvement féministe qui est un communautarisme.
Tu vas sans doute ressortir ton argument sur la solidarité familiale : le non- sacrifice de la femme n’a pour but que de protéger la famille, pas le bonheur de la femme elle-même. Je pense que dans le roman l’un de va pas sans l’autre… On peut bien sûr discuter ce lien… Je pense qu’on peut l’accepter : il faut de l’amour pour exister, ne pas être seul… Maintenant, on peut étendre la notion de famille aux amis, au gens qui vous aiment. Ainsi on a une vision moins conformiste que celle de la famille March.
De toutes façons dans le roman, tout le monde, hommes et femmes, doivent se sacrifier pour la famille…Je pense que c’est un autre débat qui n’a pas forcément à voir avec la question du féminisme.
Je pense que le problème c’est que la figure de Mrs March est trop idéalisée : évidemment personne ne penserait à aller contre elle, et tout enfant rechercherait sa bénédiction pour son mariage. Tout le monde, comme Laurie veut entrer dans la famille March…. Il faut se demander : mais lorsque les parents ne sont pas aussi parfaits que les March ? Il est vrai alors que le modèle proposé ici ne convient pas, il faut trouver une famille ailleurs…
A travers les 4 sœurs, Louisa May Alcott aborde les différents moments de la vie d’une femme, les différents choix qu’elle peut faire.
Meg permet d’aborder les difficultés face à la vie de la femme au foyer, Jo les difficultés de celle qui veut mener une carrière professionnelle au risque de rester « vieille fille », Amy les difficultés de celle qui veut faire un beau mariage. Quant à Beth, elle est un cas à part, car elle meurt avant de devenir une femme.
Deux destins sont proposées à la femme : le mariage (le titre est assez clair là-dessus) ou la mort (Beth). Etre une épouse ou un ange. Même Jo, d’abord rebelle au mariage, s’y convertit (p. 241).
Face à ce choix réduit de destinée, on peut s’interroger sur le féminisme de l’ouvrage. Il y a d’ailleurs dans le roman des préjugés sur la « nature » des femmes et la « nature » des hommes qui m’ont fait bondir. Je pense en particulier à la description de Demi et Daisy remplie de clichés (p. 177) ou à Meg qualifiée de « modern Eve », (p. 61 )parce qu’elle sacrifie les économies du ménage pour des vêtements, comme si la frivolité était réservée aux femmes, comme si c’était elle qui apportait toujours le mal…
Le roman n’échappe pas à certains préjugés de l’époque certes : notamment celui qui dit que l’amour ne peut se vivre que dans le mariage. C’est en effet l’amour qui est la destinée de la femme, comme nous l’avons remarqué dans le premier volume. Les filles March feront un mariage d’amour, celui qui convient le mieux à leur caractère, même Amy qui voulait un riche époux ne prend pas le premier venu…
Je trouve que, encore une fois si on ôte certains préjugés propres à l’époque de l’auteur, si l’on a l’esprit que la répartition des rôles sociaux est conventionnelle, le roman propose une analyse assez subtile. Il évite les portraits idylliques : la vie au foyer de Meg n’est pas plus simple que l’indépendance revendiquée de Jo. Et c’est toujours d’amour que l’on a besoin au fond…
Je pense ainsi que la description de la vie de Meg peut être mis en parallèle avec le Deuxième sexe, tome II, chapitre V qui expose les idées reçues sur la vie d’épouse et de mère. Meg au moment de son mariage se fait une représentation idéalisée de la vie de femme mariée : p. 51 “Like most other young matrons, Meg began her married life with the determination to be a model housekeeper.”. Plus précisément, pour elle, être une maîtress de maison modèle signifie que “John should find home a paradise”. Mais très vite, elle se rend compte que cette perfection n’est pas possible, qu’elle va y laisser ces nerfs… Une évolution se fait donc, un nouveau contrat entre le mari et la femme… Bien sûr, on est très loin des rapports entre époux revendiqué aujourd’hui… Mais tout de même, je trouve que dans le cadre femme au foyer/ homme au travail, la relation qui se tisse entre Meg et John est respectueuse des deux époux et de leurs besoins respectifs…
De même quand Meg devient mère, elle tombe dans le piège qui consiste à croire qu’elle doit se sacrifier toute entière à ses enfants. Or, comme le remarque Simone de Beauvoir, cela ne peut engendrer que de la frustration et nuire à la femme et à toute la famille. Comme le dit Mrs March P. 192 « If you get dismal, there is no fair weather ». Ici je pense prouver que tu avais tort en pensant à la lecture de Little women que l’auteure réduisait le destin des femmes à être une bonne mère : « Si la femme se marie, ce n’est pas tant pour devenir une épouse que pour devenir une mère et fonder une famille. »
Le message passé à travers Meg est donc qu’une femme ne doit se sacrifier ni à son époux ni à ses enfants. Son équilibre passe par un savant dosage entre son mari, ses enfants et elle.
Badinter soutient (avec les difficultés que l’on a relevées) une position libérale. Avec cet argument courant chez les féministes libérales : dire que le porno, la prostitution, le viol même est une violence fait au femme n’est pas défendable car l’on remet en cause la libération sexuelle et plus encore la liberté d’expression.
Ah qu’il est difficile de s’opposer aux défenseurs de la liberté d’expression sans passer pour une vile moraliste, aigrie et frustrée (et surement lesbienne)!
Caroline West pourtant le fait car elle répond aux féministes libérales en restant dans leur camp et montre que l’on peut en restant libérale condamner la pornographie… L’article est très intéressant. Il est en ligne http://www.arts.usyd.edu.au/departs/philos/staff/west.html et s’intitule ‘The Free Speech Argument Against Pornography’.
Voilà une autre grande question : l’instinct maternel, est-ce une règle générale de la nature que des incidents de parcours viendraient entraver? Ou est-ce, selon E. Badinter, un événement que rien n’impose à la femme, l’exception à une règle générale qui serait celle de l’indifférence, de la neutralité ?
Il me semble, pour ma part, que toutes les sociétés animales témoignent d’un lien privilégié entre l’enfant et sa mère, ne serait-ce que parce que l’enfant a fait partie du corps de sa mère pendant la période de sa gestation (il a donc été elle pendant tout ce temps) et qu’il porte la moitié de son patrimoine génétique (cf nos souvenirs du Gène égoïste de Dawkins…). Si la mère prend intérêt à son enfant, c’est par égoïsme car par identification à lui. Il n’y a là rien d’exceptionnel ni de discriminant envers les femmes.
De plus, si on admet communément l’existence du « baby blues », cette phase de déprime qui intervient dans les jours suivants l’accouchement, et qui a des causes physiologiques, pourquoi ne pas accepter celle d’une certaine forme d’instinct qui inclinerait la mère à vouloir protéger son enfant?
L’instinct maternel ne me semble pas devoir être confondu avec l’amour porté ensuite (ou pas d’ailleurs) à l’individu que va devenir l’enfant en question. Des parents peuvent ne pas comprendre ou ne pas accepter les choix de vie de leur enfant ; il n’en reste pas moins un lien entre eux, un instinct de protection. Je ne vois pas en quoi cette réalité devrait abaisser la femme : car l’existence de cette instinct ne permet pas du tout d’en conclure que le rôle de la femme est seulement d’élever ses enfants. Les hommes ont eux aussi cet instinct de protection envers leurs enfants : ils ne se sacrifient pas à leur éducation pour autant.
Pour contrer là encore une des idées du livre, je ne vois pas en quoi le choix d’une femme d’arrêter de travailler pour élever ses enfants serait rétrograde, si c’est au nom d’une décision individuelle et personnelle qui n’engage aucune vision sur des rôles hypothétiques respectifs de l’homme et de la femme.
Plusieurs questions difficiles sont posées dans le livre : le harcèlement sexuel ; la définition du viol ; le port du voile à l’école. Tous sont abordés par le biais des rapports hommes/femmes, et, tels que les présente E. Badinter, ces « faits », auraient été défini comme déviants ou menaçants parce qu’ils témoignent d’une domination violente (donc illégitime) de l’homme sur la femme. Dénonçant les dérives d’une telle lecture des faits, elle dénonce donc le trop grand nombre de procès intentés pour harcèlement sexuel aux Etats-Unis, la mention d’une contrainte au « consentement » psychologique et pas seulement physique dans la définition du viol, et l’acceptation, au nom de la laïcité, d’une pratique dégradante pour la femme (le port du voile).
Il me semble pour ma part que les dérives dans le nombre de procès pour harcèlement sexuel ne doit pas remettre en cause le bien-fondé de l’introduction de ce délit dans le code pénal : les rapports de séduction ont toujours joué avec un rapport de domination et de pression exercée sur l’autre. La question, ici, n’est pas de savoir s’il s’agit d’une pression que l’homme exerce sur la femme ou l’inverse, mais de dénoncer une forme de pression qui est, en tant que telle, injuste et conduit à des dommages. Quant au viol, la contrainte psychologique existe, c’est un fait avéré par beaucoup d’études psychologiques de base (cas de la relation d’emprise, des séductions incestueuses…). Le renier me semble parfaitement aberrant. Là encore, il s’agit d’une dérive : la règle habituelle est en effet qu’un non veut dire non, et qu’un oui veut dire oui. Mais ce n’est pas parce que, dans le cas du viol, ne rien dire ça ne signifie pas dire « oui » mais tout simplement ne pas être en position psychologique de dire non , que c’est le cas dans la vie quotidienne. C’est là que le raisonnement dérive.
Enfin, le port du voile est une question à la fois religieuse et de rapport entre les sexes : si on suit le principe de respect des religions, l’Islam doit être acceptée au sein des établissements scolaires comme les autres religions ; si on voit dans le voile la marque d’une subordination de la femme à l’homme, il faut l’interdire. A deux problèmes différents, deux réponses différentes. Mettre de côté un des deux problèmes ne me semble pas cohérent.