Aujourd’hui nous enregistrons un épisode un peu spécial car nous allons parler de la situation de quelqu’un que je connais bien et qui est mon amie, Cécile Kohler détenue arbitrairement en Iran depuis le 7 mai 2022. Pour en parler, nous recevons aujourd’hui sa petite soeur, Noémie, qui se bat depuis des mois pour la faire libérer, Avec elle nous allons parler de la situation de sa soeur, des circonstances de son arrestation et de ce qui peut être fait pour accélérer son retour en France. (Élodie Pinel)
Catégorie : actualités
Bonjour et bienvenue sur Qui a peur du féminisme ?, le podcast qui met en valeur la culture féminine et féministe.
Le manga est un genre en pleine expansion en France ; en 2021, une bande dessinée sur deux vendue en France était un manga et l’adaptation cinéma de One Piece s’est classé l’été dernier à la deuxième place des meilleures entrées… Pourtant, ce n’est pas dans les mangas que les femmes semblent a priori les mieux représentées. Faut-il s’en inquiéter ?
Pour en parler, nous recevons aujourd’hui Maeva Lopez, assistante éditoriale chez Soleil Manga pour parler des femmes dans les mangas. Après des études de lettres au cours desquelles elle écrit un mémoire sur la manière dont les mangas adaptent les classiques de la littérature européenne, Maeva a commencé sa carrière au sein de la maison d’édition Soleil Manga du groupe Delcourt comme assistante éditoriale en septembre 2021.
Pour celles et ceux qui ne connaissent pas les éditions Soleil, c’est la maison d’édition qui a publié la série The Legend Of Zelda, Splatoon ou encore Battle Royale… Des musts dans l’histoire des mangas !
Connaissez-vous Marguerite Porete, Madame de Graffigny, Olympe Adouard, Marie-Anne Barbier et Catherine Pozzi ?
La revanche des autrices de Julien Marsay va non seulement vous dire qui sont ces autrices mais surtout pourquoi vous ne les connaissez pas. Cet ouvrage n’est ni une anthologie ni une galerie de portraits mais une enquête mettant à jour les méthodes et les procédés qui ont permis durant des siècles de systématiquement caricaturer, cacher ou silencier les autrices.
Invité dans notre podcast, Julien Marsay nous présente des exemples de ces méthodes et de ces procédés d’invisibilisation.
Pour aller plus loin
La revanche des autrices. Enquête sur l’invisibilisation des femmes en littérature
Élodie Pinel – Ce qui arrive backstage
Dans cet épisode de notre podcast, Élodie Pinel, la co-créatrice de Qui a peur du féminisme? nous parle de son roman, Ce qui arrive backstage paru aux éditions Anne Carrière le 20 mai 2022.
Ce qui arrive backstage est une histoire d’emprise au temps du coronavirus. Journaliste culturelle précaire faisant ses premiers pas de chroniqueuse TV dans une émission à succès, la jeune L. croise le chemin d’un animateur radio célèbre… Ce n’est pas du tout la rencontre qu’elle espérait.
Élodie Pinel nous explique pourquoi et pour qui elle a écrit ce récit et ce qu’elle espère ensuite!
Écoutez également l’interview d’Élodie pour Saisons de culture.
Notre invitée est Karin Bernfeld, écrivaine, actrice, docteure en sémiologie des textes et des images. Ses écrits nous interrogent sur le corps, l’écriture soi, l’identité à travers la sexualité, l’adolescence, les troubles alimentaires, la pornographie….
La pornographie est le sujet principal de Plainte contre X, un monologue. Estelle connue dans le monde de la pornographie sous le nom de Roxanne Wolf, dénonce tous ceux qui l’ont violée et agressée : ses parents, son premier petit ami, ses partenaires, les producteurs, les consommateurs de films pornographiques…
Pour aller plus loin
Karin Bernfeld, Plainte contre X
Le site de Karin Berfeld
Le teaser du spectacle Plainte contre X
Article de Karin Bernfeld dans l’Obs, « Sous couvert de culture on nous vend du porno » (13 août 2015)
Don Juan, Heathcliff et Benjamin Mendy : Quelle analogie littéraire pour défendre le footballeur ?
Du 10 août au 17 novembre 2022 s’est tenu le procès de Benjamin Mendy, accusé de sept viols, d’une tentative de viol et d’une agression sexuelle.
En lisant les comptes-rendus du procès dans la presse, des figures littéraires me sont apparues. A qui le footballeur pourrait-il s’identifier pour se défendre?
Séducteur?
Au début du procès, il est décrit comme un don juan. Il se serait vanté d’avoir couché avec 10 000 femmes (The Guardian, 18 août). Il ne confirmera pas ce chiffre mais ne cachera pas rechercher de nombreuses partenaires. Il ne veut pas de relations sérieuses mais seulement des coups, parfois plusieurs la même soirée. Pourrait-on le comparer au célèbre séducteur de Séville qui fait l’éloge de l’inconstance? « Toutes les belles ont droit de nous charmer, et l’avantage d’être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu’elles ont toutes sur nos cœurs »(Dom Juan, Molière, acte I scène 2). Ce serait un choix de défense maladroit : de Tirso de Molina à Erik-Emmanuel Schmitt en passant par Molière et Dumas, don Juan s’appuie tantôt sur le mensonge tantôt sur la force pour violer.
Outsider?
« Je sais que je ne suis pas Brad Pitt. Si elles s’approchaient de moi, ce n’était pas pour mon look… Mais parce que j’étais footballeur. » (L’Équipe, 8/11/2022). Ces propos rapportés du défenseur mancunien me font songer à Heathcliff, le héros d’Emily Brontë qui affirmait qu’il ne serait jamais beau sans les yeux bleus et les cheveux blonds d’Edgar Linton (Hurlevent, Folio, p. 99). Moqué et rejeté pour son apparence physique plus encore que pour ses origines inconnues, Heathcliff doit devenir riche pour plaire. Là encore mauvais choix de défense : Heathcliff retourne la violence reçue, maltraite sa femme et vampirise son entourage.
Tout au long du procès, la figure qui s’impose le plus est celle du dandy. Promis à un brillant avenir, il se perd, étourdi par les promesses de gloire et de fortune : fêtes arrosées jusqu’au petit matin, sexe non-protégé, non-respect du confinement (L’Équipe, 22/09/2022, 8/11/2022). Benjamin Mendy dandy du XXIème? Stendhal n’avait-il pas trouvé dans un fait divers le modèle de Julien Sorel? Oui, mais Sorel est un féminicide… Encore une fois mauvaise défense.
Choisir une héroïne
La littérature regorgeant de héros masculins toxiques, Mendy a donc tout intérêt à puiser du côté des héroïnes pour soutenir son innocence
Je suggérerais Albertine qui a été accusée sans preuve et emprisonnée par le narrateur de La Prisonnière de Proust, et qui, surtout demeure une énigme. On sait peu de choses d’elle, tout comme on sait peu de choses de Benjamin Mendy. Tout ce que l’on sait d’eux, c’est ce que les autres en disent.
Depuis le début de l’affaire, le footballeur se tait et laisse les autres parler de lui. La structure du procès renforce son silence en le mettant à la barre en dernier. Lorsqu’enfin il parle, c’est en anglais et d’une voix à peine audible (L’Équipe, 8/11/2022). Ses mots semblent répétés à l’avance et sont, de plus, tronqués par les compte-rendus de la presse. Telle Albertine ou Manon Lescaut, Benjamin Mendy est le héros silencié de l’histoire qui porte son nom.
Au moins il a son nom.
Les femmes qui l’accusent n’ont ni renommée ni même un prénoms. Elles sont désignées par un numéro. En dehors du procès, Benjamin Mendy est champion du monde, chevalier de la légion d’honneur, ex défenseur le plus cher de l’histoire… Et les femmes en face sont 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7. Leur anonymat est protégé bien sûr mais on se demande comment elles peuvent écrire une histoire qui porte le nom de celui qu’elles accusent ? Qui se souvient d’Elvire dans Dom Juan ou de Cordélia dans Le journal du séducteur ?
Podcast – Les Roméos de la Stasi
Romantique, romanesque ou perverse? Qu’est-ce que la méthode Roméo? En quoi cette méthode de la police politique est-allemande se distingue-t-elle des autres méthodes impliquant le sexe et l’espionnage?
Les réponses sont dans l’épisode de notre podcast : Les Roméo de la Stasi.
Pour aller plus loin
Mirjam Houben: Agentinnen aus Liebe: psychologische Betrachtung der Romeomethode. In: Sven Litzcke (Hrsg.): Nachrichtendienstpsychologie (= Beiträge zur Inneren Sicherheit). Fachhochschule des Bundes für Öffentliche Verwaltung, Brühl/Rheinland 2003
Marianne Quoirin, Agentinnen aus Liebe: Warum Frauen für den Osten spionierten, édition berolina, 2017.
Die Romeo-Falle – ZDFmediathek
Les Roméo de la Stasihttps://www.tagesspiegel.de/gesellschaft/sein-deckname-war-wolfi-5494297.html
The spy who loved her | Arts and humanities | The Guardian
Télévision:Der gleiche Himmel (The Same sky), Oliver Hirschbiegel, 2017Romeo, Hermine Huntgeburth, 2001
Suite et fin de l’article de Sylvia Duverger sur l’écriture inclusive. Son interview est toujours en ligne sur le podcast Qui a peur du féminisme ?
À quand la fin de l’hégémonie linguistique du masculin ?
Il a été amplement montré qu’en matière de genre (féminin et masculin), l’évolution du français est politique.
Des grammairiens ont œuvré à ce que le français reflète l’organisation patriarcale de la société. Comme l’observait la linguiste Maria Candea dans un entretien que nous avons eu en 2014, ces grammairiens ont fait en sorte que les filles apprennent très vite, dès leur accès au langage, qu’elles étaient en toutes circonstances subordonnées aux hommes. C’est ce que signifie la règle « du masculin qui l’emporte sur le féminin », dont l’histoire, que nous rappellerons, ne laisse aucun doute à ce sujet.
L’exclusion du symbolique – de la langue, des représentations et de la culture –, exprime et conforte celle du politique et de l’économique.Affirmer que le masculin prend une valeur neutre, ou générique, et qu’il s’agit d’un genre « non marqué » ou « extensif » lorsqu’il prévaut sur le féminin dans une phrase où il cohabite avec lui ne relève pas de la grammaire en tant que telle et des règles qui sont nécessaires pour que nous puissions échanger, mais de l’idéologie phallocratique.Dire, comme nous verrons que le font des académiciens, que les titres désignant des fonctions prestigieuses (présidence, ministère, direction, rectorat…) ont vocation à demeurer au masculin même lorsque des femmes les exercent, c’est signifier que celles qui y accèdent sont des intruses dont il s’agit d’invisibiliser la présence; c’est enjoindre ces intruses à se masculiniser.
Les opposants à la féminisation des noms de métiers, des titres et des grades entreprise en France à partir de 1984 ne considèrent qu’il y a péril en la demeure que lorsqu’elle concerne des rôles socio-politiques jugés prestigieux : aux hommes, les responsabilités et aux femmes, les rôles subalternes.
La féminisation des noms de métiers vise à ce « que des femmes puissent être nommées dans leurs professions comme être social et pas seulement identifiées comme être familial, reproductrice, maman ou putain, “personnes du sexe”, fût-il le beau sexe avec une qualification glorifiante comme on disait “dame-pipi” ! Car l’histoire sociale a donné comme héritage aux femmes – perspective identificatoire – d’être avant tout une “pondeuse”, une reproductrice, un être du privé, du dedans », explique la linguiste Anne-Marie Houdedine, chargée en 1984 par Yvette Roudy d’œuvrer à ce que les femmes puissent se dire dans toutes leurs activités, des plus attendues (le care) aux plus éloignées des stéréotypes de genre (le pouvoir).
C’est bien en effet parce que la féminisation des noms de métiers et des titres visibilise les apports des femmes à la société, et signifie la légitimité de la place qu’elles ont prise dans la vie publique, économique et culturelle, qu’elle a rencontré – et rencontre encore – une opposition qui peine à dissimuler la misogynie et le sexisme dont elle procède. Sexisme et misogynie que l’histoire de notre exclusion linguistique révèle en effet sans détour.
Quelques repères dans l’histoire de la (dé)masculinisation du français
Au commencement étaient les féminins
Quelques exemples
Sous l’ancien régime, les titres nobiliaires étaient sexués : duchesse, baronesse, emper(r)esse, emperière…
Le titre d’ambassadrice existait bel et bien et il était attribué à des femmes remplissant des fonctions diplomatiques, telle la maréchale de Guébriant qui accomplit une mission en Pologne au nom de Louis XIV. Au XVIIIe, le mot a encore ce sens, mais depuis le XVIIe, il est concurrencé par celui d’« épouse d’ambassadeur », auquel il se réduit au XIXe siècle.
On rencontre au moins une inventeure, une procurateure et une conducteure dans un écrit du XVe siècle ; ceux de phisicienne, cyrurgienne (qui avait le sens d’infirmière), de miresse (la médecin), médecine ou médecineuse… étaient usités.
Dans le domaine religieux, les femmes avaient de multiples responsabilités et leurs titres étaient au féminin : elles étaient abesse (sic), papesse, moynesse, clergeresse (ou clergesse, c’est-à-dire religieuse), prieuresse…
Les écrits mentionnent aussi des défenderesses, des demanderesses, des jugesses, des possesseuses… et mêmes des prud’femmes.
Rappelons également qu’il y avait des doctoresses (entendez par là des femmes lettrées, des femmes savantes, puis, au XIXe ce terme désigne les premières médecins, ou « médecines »). Et bien sûr des autrices (ou auctrix, auctrice, authrice), comme l’a montré Aurore Evain. Autoresse, authoresse, auteuresse ont également existé. Ainsi que professeuses, amatrices, inventrices et capitainesses, successrices (sic) et vainqueresses, parmi tant d’autres.
La faute aux clercs… et à Molière
« De nombreuses études ont montré que, jusqu’au XVIe siècle, la langue avait des formes féminines correspondant à des formes masculines pour pratiquement tous les termes servant à désigner des métiers, titres, grades et fonctions, car du haut en bas de l’échelle sociale, les femmes étaient présentes et leurs activités énoncées par des termes qui rendaient compte de leur sexe. […]. Le XVIIe siècle centralisateur et dominé par l’image éminemment virile du “Roi soleil” ignorera superbement les termes féminisés, ou lorsqu’il les emploiera, ce sera avec condescendance ou ironie (c’est le cas pour “peintresse”). » En Europe, jusqu’au développement des États, les femmes pouvaient accéder à des fonctions dotées d’un pouvoir politique, judiciaire ou militaire. Bien qu’elles ne s’y adonnaient que dans une moindre mesure que les hommes, les clercs – les hommes diplômés dans leur ensemble – menèrent une offensive contre elles, afin de conserver leur mainmise sur les charges, les emplois que leur passage par l’université leur ouvrait. En premier lieu, ils ont privé d’instruction (a fortiori d’université) celles qui sinon auraient pu rivaliser avec eux ; et discrédité autant qu’ils le pouvaient les obstinées, devenues savantes et compétentes malgré les obstacles mis à leurs progrès. Ils firent tant et si bien que, par exemple, l’ambassadrice épouse de l’ambassadeur eut raison de l’ambassadrice en mission diplomatique, et que l’on oublia l’autrice pour ne plus songer qu’à la muse …
Créée en 1635 par Richelieu, l’Académie française a porté la cause du masculin-qui-l’emporte-sur-le-féminin jusqu’à aujourd’hui,comme nous le verrons. Il est vrai qu’elle n’a compté que des hommes jusqu’à l’élection de Marguerite Yourcenar en 1980 (seule parmi les 39 hommes au sein de la Compagnie). Elle n’a admis, en tout et pour tout, que dix femmes, qui toutes n’ont pas siégé en même temps : Marguerite Yourcenar (élue en 1980), Jacqueline de Romilly (en 1988), Hélène Carrère d’Encausse (en 1990), Florence Delay (en 2000), Assia Djebar (en 2005), Simone Veil (en 2008), Danièle Sallenave (en 2011), Dominique Bona (en 2013), Barbara Cassin (en 2018) et Chantal Thomas (en 2021).
À partir du XVIIe siècle, l’on constate une disparition progressive des féminins dès lors qu’il s’agit de professions dotées d’un certain prestige. Comme le dit fort bien Aurore Evain, « ce vide lexicographique était la marque d’une censure et la fabrique d’une exclusion ». À partir du XVIIe, le « féminin conjugal » passe de plus en plus fréquemment sous les fenêtres des grammairiens, sans qu’ils aboient : ces féminins relatifs et subalternes (épouse de l’ambassadeur, du maréchal, du président…) ne les froissent ni ne les alarment. Pas plus que dans les années 1980, ceux de la blanchisseuse, de la cuisinière ou de l’institutrice n’indisposeront les académiciens.
Peu à peu, entre le XVIIe et le XIXe, un nom de métier au féminin ne désigne plus que l’épouse de celui qui l’exerce. « Le féminin matrimonial est une remarquable image linguistique du statut de la femme, cantonnée à la sphère privée et à ses activités domestiques […], n’accédant au domaine public (masculin) que via son mari », conclut Bernard Cerquiglini.
La guerre menée par le sexe masculin contre le sexe féminin a comporté plusieurs fronts. Quand Molière œuvre à ridiculiser les Précieuses et les femmes savantes, il y apporte une contribution tout particulièrement efficace. Il plaide en faveur de l’ignorance et de l’hétéronomie des femmes, comme le fera plus tard Rousseau dans Émile ou de l’éducation. Émile, cependant,n’est pas aussi souvent étudié au collège, ni même au lycée, que ne le sont l’une ou l’autre des pièces misogynes du dramaturge préféré du Roi-Soleil. Et le rire assure une efficiente police du genre. Pour ma part, j’ai pris une assez claire conscience que j’étais féministe en classe de troisième, et plus Armande qu’Henriette, donc désapprouvée par Molière, et non conforme aux normes de genre encore en vigueur, puisque ma professeure de français semblait épouser le point de vue du dramaturge, bien qu’elle-même célibataire. Combien d’adolescentes Molière est-il parvenu à éloigner de l’étude et du savoir ?
Le siècle de Molière est celui d’une offensive contre l’emploi de désignations au féminin, nous l’avons vu, mais aussi contre l’accord égalitaire (l’accord de proximité), dont voici le récit.
Un masculin qui s’auto-anoblit
À la Renaissance, dans les écrits, le français supplante progressivement le latin ; or, en latin il y a un neutre, pas en français. Les grammairiens se contorsionnent pour faire valoir que les adjectifs féminins sont dérivés des masculins, comme Ève est, prétend-on, tirée de la côte d’Adam. Au XVIe siècle, « le dogme du masculin géniteur de féminin est bien implanté ». Au XIXe, Bescherelle laissera à penser que le substantif dénommant les personnes est masculin par nature, dont on dérive « son » féminin.
Au XVIIe, il s’agit de faire triompher le masculin du féminin quand ils se rencontrent dans une phrase. Vaugelas, ordonnateur du bel usage à la cour de Louis XIV et l’un des premiers académiciens, fait feu : « Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut tout seul contre deux féminins ».
Dans ses Doutes sur la langue française (1674), le jésuite Dominique Bouhours, affirme : « Quand les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte », et le plus noble, c’est le masculin, évidemment.
AuXVIIIe, le grammairien et encyclopédiste, Du Marsais confirme :« [le] masculin, [le] plus noble des deux genres compris dans l’espèce ».
L’accord de proximité
L’usage a résisté à la prééminence du masculin dans les accords, jusqu’à ce que l’école républicaine, née au XIXe, impose la règle du masculin qui l’emporte sur le féminin. Oubliée tout à fait la règle de proximité, selon laquelle l’adjectif et le participe passé s’accordent avec le genre (et le nombre) du substantif le plus proche. Au XVIIe, quand le poète François de Malherbe, au nom de la pureté du français, désapprouve, dans l’œuvre du poète Philippe Desportes, l’accord au féminin d’une série de substantifs commençant par des masculins et s’achevant par des féminins, Vaugelas, en revanche, préfère l’euphonie de l’accord de proximité dans « le cœur et la bouche ouverte à vos louanges » .
Notons que l’on accordait également le participe présent : « une couturière demeurante rue Saint-Sauveur ». Et que les pronoms n’avaient pas encore perdu leurs féminins lorsqu’ils se substituaient à un adjectif qui aurait dû être au féminin : « J’étais née, moi encore, pour être sage et je la suis devenue » (Le Mariage de Figaro). Au XVIIe, le grammairien Gilles Ménage reprend l’épistolière Mme de Sévigné parce qu’elle lui répond « je la suis aussi » (enrhumée) lorsqu’il lui dit qu’il est enrhumé : « Il me semble, Madame, que selon les règles de notre langue, il faudrait dire : Je le suis. Vous direz comme il vous plaira, ajouta-t-elle, mais pour moi je croirais avoir de la barbe si je disais autrement. »
Exclusion des femmes du politique et de l’écriture
En 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen… n’inclut pas les femmes ; celle de 1948 le fera… mais en anglais, pas en français !
En 1792, la requête des dames déposée à l’Assemblée nationale souligne la dimension politique de la subalternisation symbolique du féminin : « Le genre masculin ne sera plus regardé, même dans la grammaire, comme le genre le plus noble, attendu que tous les genres, tous les sexes et tous les êtres doivent être et sont également nobles » (on trouve ce texte sur Gallica). Cette requête, d’une modernité saisissante, a-t-elle été rédigée par des femmes ou faut-il la tenir pour une parodie, et se montrer soupçonneuse, comme l’historienne Paule-Marie Duhet devant certains cahiers de doléances attribués à des femmes ? La tendance désormais est à leur accorder du crédit autant que de la pertinence, suivant en cela l’ami de Michelet, Charles-Louis Chassin, qui estime que le contenu de ces écrits atteste d’un « mouvement féminin » actif durant toute la révolution, et Christine Fauré, qui abonde dans son sens.
1801 Sylvain Maréchal républicain révolutionnaire, journaliste et écrivain, est l’auteur d’un Projet de loi portant défense d’apprendre à lire aux femmes. L’article 4 de ce texte précise que « la raison ne veut pas plus que lalangue française qu’une femme soit auteur. Ce titre, sous toutes ses acceptions, est le propre de l’homme seul. » « La raison veut que chaque sexe soit à sa place et s’y tienne »… et la place d’une femme est à la maison : « Une femme qui remplit fidèlement ses devoirs d’épouse et de mère est une véritable divinité, et l’accomplissement de ses devoirs ne peut être compatible avec le goût des sciences et des lettres. »
Cet écrit de Sylvain Maréchal, qui a tenté de se faire passer pour une plaisanterie, a tout de même été réédité deux fois après sa mort, augmenté de citations d’autres auteurs, observe Geneviève Fraisse.
Au XIXe siècle, une guerre est menée contre les bas-bleus. À la fin de ce siècle, de nouveau des femmes menacent le pré carré des clercs : elles franchissent les obstacles disposés le long de leur chemin, (re)deviennent doctoresse, chirurgienne, avocate, ingénieure, professeure (ou professeuse)… d’abord sans pouvoir se désigner comme telles.
Le féminin visibilise les femmes
En 1891, la romancière féministe, fouriériste, socialiste, pacifiste Marie-Louise Gagneur adresse à l’Académie française une pétition réclamant la féminisation des noms de métiers, titres et fonctions qui devenaient « coutumiers à la femme ». Lue en séance le 23 juillet, sa requête reçoit un accueil défavorable de la part des Immortels. S’ensuivent des échanges d’arguments par voie de presse. L’académicien Charles de Mazade lui répond que « la carrière d’écrivain n’est pas celle de la femme » ; il n’est donc pas besoin du mot écrivaine. Autrement dit, il admet que le genre du mot légitime l’exercice d’une fonction par les uns à l’exclusion des autres… ce que nieront catégoriquement les académiciens du XXe siècle, en particulier Lévi-Strauss et Georges Dumézil puis Marc Fumaroli.
1898 Hubertine Auclert, journaliste, écrivaine, féministe (suffragiste, notamment) voudrait qu’une académie féministe ait autant ses mots à dire que l’Académie française : « L’omission du féminin dans le dictionnaire contribue, plus qu’on le croit, à l’omission du féminin dans le code (côté des droits). L’émancipation par le langage ne doit pas être dédaignée. […] La féminisation de la langue est urgente, puisque, pour exprimer la qualité que quelques droits conquis donnent à la femme, il n’y a pas de mots. Ainsi, dans cette dernière législature, la femme a été admise à être témoin au civil, électeur, pour la nomination des tribunaux de commerce, elle va pouvoir être avocat. Eh bien ! on ne sait pas si l’on doit dire : une témoin ? une électeure ou une électrice ? une avocat ou une avocate ?
L’Académie féministe trancherait ces difficultés. Dans ses séances très suivies et où l’on ne s’ennuierait pas, des normaliens […] pourraient, en féminisant des mots, devenir féministes. En mettant au point la langue, on rectifierait les usages, dans le sens de l’égalité des deux sexes. »
Dans ses discours, De Gaulle s’adressait aux Françaises et aux Français, ce qui était admettre que les uns ne représentent pas les autres. Certains académiciens sont un peu plus qu’agacés par ces adresses paritaires, tel Jean Dutourd. On notera que le slogan de Macron, lors des dernières élections présidentielles, c’était en revanche « Nous tous »… soufflé par Jean-Michel Blanquer, son alors encore ministre de l’Éducation nationale et fervent adorateur du « masculin générique » ?
Sage-femme et maïeuticien ne sont pas dans le même bateau
1982 La profession de sage-femme s’ouvre aux hommes conformément à une directive européenne.
Trente ans plus tard, Yvette Roudy se souvient : « Quand on a ouvert le métier de sage-femme aux hommes, ils ont voulu une nouvelle appellation : maïeuticien. Pour les hommes, il fallait un terme compliqué et scientifique. »
En 1982, trois hommes deviennent sages-femmes et au moins l’un d’entre eux se réjouit d’être qualifié de tel . Le terme de sage-femme est épicène puisqu’il désigne la ou le sage qui met son savoir et ses compétences (sage) au service de la femme qui accouche ; la ou le sage-femme est donc en quelque sorte une ou un aide-parturiente.
Pourtant, l’Académie se trouve chargée de forger une dénomination conforme au genre de ces nouveaux praticiens. Par Pierre Mauroy, selon l’homme politique, écrivain et académicien Alain Peyrefitte.
Donner du masculin à une femme, serait-ce donc la hausser au rang de l’humain par excellence, tandis qu’un homme féminisé devrait se sentir humilié ? Médecin et académicien, le Pr Jean Bernard propose « maïeuticien ». Bien que ce terme ait été forgé par le philosophe Socrate pour se désigner lui-même comme un accoucheur, non pas de corps féminins, mais d’esprits masculins, fonction bien plus proche du vrai, du beau et du bien que celle de la simple sage-femme, comme l’était sa mère… En juin 1984,estimant que l’emploi du terme de « sage-femme » pour désigner un homme serait « ridicule », Alain Peyrefitte relaie dans les colonnes du Figaro la trouvaille de son illustre confrère.
Anecdote savoureuse : dans le cadre d’enquêtes linguistiques, Anne-Marie Houdebine a observé que le terme « maïeuticien » n’était pas compris par les locutrices et locuteurs interrogé·es; qu’il était quelquefois rattaché à l’emmaillotage et qu’à la place de « maïeuticien », certain.es entendaient « mailloticien » (construit sur le maillot dont autrefois on entourait le corps des marmots).
« Maïeuticien » fait son entrée dans les dictionnaires, mais il prend si peu que lors de la séance du 11 février 2009, le médecin et sénateur de gauche François Autain s’indigne : « Il serait […] temps de songer au remplacement du terme “sage-femme” par une appellation qui tienne compte du fait que cette profession est exercée par de plus en plus d’hommes. Le terme de maïeuticien, reconnu par l’Académie française, me semblerait particulièrement bien adapté. » Dès lors que des hommes exercent un métier, faudrait-il donc ne plus le dire qu’au masculin ? Même si les femmes y demeurent très largement majoritaires (1 à 2 % d’hommes sages-femmes…) ?
Il semble que cette préconisation ait fini par être suivie de quelque effet, et l’on trouve désormais dans des textes plus ou moins institutionnels cet étrange couple : « maïeuticien ou sage-femme » , sage-femme ou maïeuticien , le pire étant : « maïeuticien (sage-femme) »…
Il y a, cependant, des sages-femmes heureux de l’être. L’un de ces heureux accoucheurs dit en outre que « maïeuticien » ne rend pas justice à l’amplitude de ses responsabilités, contrairement à « sage-femme ». Le constat est fait que le terme de « maïeuticien » n’est ni utilisé ni compris . Voilà des sages-femmes bien plus éclairés que les Immortels ! En effet, comme l’observe Claudie Baudino : « Vent debout contre les femmes qui réclameront en 1984 la féminisation des usages, l’Institution s’est réunie pour débattre de la désignation d’un seul homme. […] Au mépris des usagers, l’Académie a fait le choix de la distinction, sociale et masculine. »
Raphaël Haddad, docteur en communication, qui est à l’origine du Manuel d’écriture inclusive publié en 2016 (voir plus loin) analyse cet épisode dans une note de blog : « “Sage-femme” constitue […] un bel exemple si l’on veut démontrer combien l’inconfort dans les mots entraîne un inconfort social. » Inconfort social dont les locutrices font précisément l’expérience lorsqu’elles sont dites au masculin sans que les académiciens s’en émeuvent, au moins jusqu’à ce qu’ils comptent dans leurs rangs des femmes qui entreprennent de leur déboucher les oreilles.
1984-1986 : la féminisation des titres et noms de métiers
1984-1986 Yvette Roudy, alors ministre des droits de la femme (sic), charge Benoîte Groult de présider une commission de terminologie afin de féminiser les titres, les noms de métiers et de fonctions pour que les femmes se sentent légitiment à exercer tous les emplois. A ses côtés, Anne-Marie Houdebine, chargée de la direction linguiste de cette commission, dont les travaux conduiront à la circulaire du 11 mars 1986 relative à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre.
Dans un entretien de juin 1984, Yvette Roudy rappelle qu’elle s’est elle-même employée, dès sa nomination, à ce que le féminin cesse d’être jugé inapte à dire les plus hautes fonctions : « Mon propre décret d’attribution m’appelait “madame le ministre”. Quand j’ai lu – parlant de moi – “il pourra… ”, j’ai dit non. Il existe des limites à ne pas dépasser. Je n’ai tout de même pas changé de sexe en accédant à un poste prévu pour les hommes ! Je suis obligée de corriger régulièrement le compte rendu de mes interventions au Parlement pour qu’on y utilise le pronom “elle ” […] Comment expliquez-vous que seules les professions d’exécution puissent être féminisées ? Lorsqu’on a ouvert aux hommes l’emploi de sage-femme, on leur a donné du “maïeuticien”. En revanche, on continue sans sourciller à appeler les femmes des “prud’hommes”.».
Les linguistes québécoises ont été pionnières en matière de démasculinisation du français. Le 8 mars 1983, à Beaubourg, Anne-Marie Houdebine évoque leurs recommandations lors d’une conférence à laquelle Yvette Roudy assiste. Elle souligne l’intérêt du recours aux noms de métiers et aux titres au féminin pour faire apparaître les femmes comme actrices sociales. Or Yvette Roudy tient tout particulièrement à ce que sa loi du 13 juillet 1983 sur l’égalité professionnelle soit suivie d’effets : il faut lever les obstacles symboliques à la parité économique ; les offres d’emploi doivent donc comporter les deux genres, féminin tout autant que masculin. La ministre des Droits de la femme vient de trouver la linguiste qui va lui permettre d’œuvrer en ce sens.
Extrait de l’entretien réalisé en 2016 avec A.-M. Houdebine à ce sujet : « À cause de la loi “dite Roudy” sur l’égalité professionnelle, la ministre nous a dit qu’elle était “accablée” de demandes des divers ministères la questionnant à propos des noms de métiers à proposer aux annonceurs (une majorité d’hommes généralement) qui les questionnaient. Ils ne trouvaient pas les mots. Preuve s’il en est que les Français·es sont insécurisé·es dans leur langue : elles/ils ne la savent pas. Elles/ils la croient existant seulement dans LE dictionnaire. Comme s’il n’en existait qu’un qui dise la langue, quand ce sont ses sujets parlants qui la font exister ! Mais, apparemment, ni les employés des ministères (des hommes pour la plupart dans les années 1980), ni les annonceurs, ni les publicitaires, qui pourtant n’hésitent pas à créer des néologismes, ne connaissent réellement la langue. À moins qu’il ne faille évoquer une causalité, plus politique, plus idéologique : la nomination des femmes est le cadet de leurs préoccupations. Et même, le fait qu’elles ne soient pas nommées comme actrice(s) sociale(s) ne les gêne aucunement. Comme disait Lacan, “la femme n’existe pas”, ce qui fait entendre ce sexisme : d’une femme, ce que la socialité attend, voire chacun, c’est la mère, l’épouse et la mère, mais une femme… de plus actrice sociale, c’est une tout autre affaire ! »
Telle est bien en effet la fin que poursuivirent sous les augustes voûtes de l’Institut de France, quai Conti, les hommes qui déblatèrent en habit vert contre le féminin, ce genre « marqué » dont la « spécificité » serait contraire à l’universel des fonctions sociales : masquer sous un masculin de façade l’importance croissante des contributions féminines. Ainsi, observe malicieusement Benoîte Groult, les recommandations de l’Académie française en juin 1984 sont-elles de « continuer à dire un écrivain-femme, une femme-avocat, une femme-juge, un peu comme on dit un apprenti sorcier pour expliquer qu’il ne s’agit pas tout à fait d’un sorcier. Contentons-nous d’avoir obtenu de mettre secrétaire au féminin, (au XIXe siècle) toutes les fois qu’il s’agit de servir un patron, mais au masculin quand c’est la France qu’on prétend servir. Ne nous reste-t-il pas lingère, blanchisseuse, manucure, hôtesse de l’air (non, pas pilote, voyons ! pan sur les doigts…), concierge, infirmière, cuisinière et tant d’autres beaux métiers féminins ! »
Cachez ce féminin que les académiciens ne sauraient voir !
Il convient de souligner que la commission, bien que mixte et très légalement constituée, fut aussitôt l’objet d’attaques qui méritent de rester dans les annales du sexisme débridé. Elle comportait pourtant des linguistes renommé·es et fondait ses propositions sur des enquêtes menées conformément à la méthodologie scientifique. Près de quarante ans ont passé sous le pont Neuf et le pont des Arts, et l’Académie a tellement honte du sexisme et de la misogynie évidentes de sa déclaration de 1984 qu’elle l’a supprimée de son site. « Ce ne sont plus le positions de l’Académie », m’a répondu, en substance et en guise d’explication, la personne chargée de la communication de la « vieille dame du quai Conti ».
À partir de 1984 et vingt années durant, la Compagnie fera obstacle à la féminisation des noms de métiers et des titres. Il faudra attendre 1998 et 2005 pour que, respectivement, Le Monde et Le Figaro adoptent le féminin pour les titres politiques.
Les académiciens affirment que le genre grammatical et le sexe n’ont rien à voir ; ils tiennent pour une question subsidiaire que les noms désignant des êtres sexués, en particulier les êtres humains et les animaux qui leur importe, soient grammaticalement genrés conformément à leur sexe (apparent, social ou biologique). Ils omettent l’évidence : dans les noms de métiers, le masculin renvoie aux hommes (boulanger), et le féminin aux femmes (boulangère) ; leurs tribunes, publiées pour la plupart dans Le Figaro, regorgent de sous-entendus ou d’allusions sexuelles, attestant de leur inaptitude à considérer les femmes autrement que comme des objets sexuels – on comprend, dans ces conditions, qu’Hélène Carrère d’Encausse tienne à se mettre à l’abri du masculin pour exercer ses fonctions de « secrétaire perpétuel » de l’Académie française… L’entretien dans lequel le très distingué Georges Dumézil feint de croire qu’il faudra dire « la recteuse » ou « la rectoresse », parce que « la rectrice » désignerait de toute éternité la femme du recteur, et où il finit par louer les mérites de « l’admirable substantif “conne” », juste après avoir évoqué Benoîte Groult, est à cet égard des plus révélateurs de l’effet de panique que produisent sur les clercs des femmes qui prennent la liberté de féminiser leurs titres, s’autodésignent et se visibilisent en tant que citoyennes actives, portant ainsi un nouveau coup à l’hégémonie masculine. Exit Adam et son pouvoir exclusif de nomination ! tel est en effet ce que signifie la démasculinisation de la langue française.
C’est cette panique académique, les sophismes qu’elle inspire que nous avons analysées dans L’Académie contre la langue française. Ouvrage très sérieux et pourtant franchement comique, tant ces académiciens qui ne sauraient voir de féminins se transforment en Trissotins, tenaillés qu’ils sont par un inconscient misogyne et de quasi-délires érotico-grammaticaux.
Nous avons enregistré le 12 juin une interview de Sylvia Duverger, journaliste, autrice et secrétaire de rédaction. Sylvia Duverger s’intéresse aux questions de féminisme depuis des années ; elle a ainsi récemment rédigé un article sur l’universalisme et le différentialisme pour la nouvelle édition du dictionnaire des féministes en France et elle tient un blog dans le Club Mediapart qui aborde régulièrement des questions liées au féminisme, comme dernièrement le procès de Bobigny. De formation philosophique, elle s’est très tôt intéressée aux questions de genre ; cela l’a notament conduit à étudier le parcours et la figure de Simone Iff, résistante et féministe. Sylvia Duverger est actuellement secrétaire de rédaction de revues médicales et se trouve en première ligne pour ce qui est de l’adoption de l’écriture inclusive dans l’édition.
Pour approfondir ces questions, Sylvia Duverger nous a livré un premier texte sur la masculanisation du français :
Masculinisation du français par Sylvia Duverger
Il a été amplement montré qu’en matière de genre (féminin et masculin), l’évolution du français est politique. Des grammairiens ont œuvré à ce que le français reflète l’organisation patriarcale de la société. Comme l’observe la linguiste Maria Candea dans un entretien que nous avons fait en 2014, ces grammairiens ont fait en sorte que les filles apprennent très vite, dès leur accès au langage, qu’elles étaient en toutes circonstances subordonnées aux hommes.
L’exclusion des femmes du symbolique, de la langue et de la culture, exprime et conforte celle du politique et de l’économique.Affirmer que le masculin prend une valeur neutre ou générique lorsqu’il « l’emporte » sur le féminin dans une phrase où il cohabite avec lui (par exemple, un présentateur du journal télévisé qui se dit innocent et les nombreuses femmes qui l’accusent de violences sexuelles sont présents – accord au masculin – dans l’actualité) relève non de la grammaire en tant que telle et de ce qui et nécessaire pour que nous puissions échanger, mais de l’idéologie phallocrate qui perdure en dépit de ses multiples réfutations.Dire que les titres correspondant à des fonctions prestigieuses (présidence, direction, professorat…) ont vocation à demeurer au masculin même lorsque des femmes les exercent, c’est signifier qu’il est légitime que ces fonctions soient remplies par des hommes, et que les femmes qui y accèdent sont des intruses dont il s’agit de rendre inaudible la présence. Cela est amplement démontré par le fait, patent et indéniable, que les opposants à la (re)féminisation des titres entreprise en France à partir de 1984 ne s’émeuvent que lorsqu’il est question de rôles socio-politiques de première importance– par exemple, en 1998, « l’Académie veut laisser les ministres au masculin » – et non pas quand il s’agit de boulangère, de couturière, d’infirmière ou de secrétaire… Par ailleurs, l’équipe de recherche dirigée par Anne-Marie Houdebine, la linguiste en cheffe de la Commission de terminologie de 1984-1986 « relative au vocabulaire concernant les activités des femmes », puis Edwige Khaznadar (entre autres) ont montré que le masculin dit générique, dont il est prétendu qu’il est apte à désigner le genre humain, conduisait à se représenter des hommes en fait d’êtres humains.
La conclusion qu’Edwige Khaznadar donnait en 2004 à son étude de l’emploi du terme « homme », à valeur censément générique et non pas seulement spécifique (homme versus femme), me semble toujours pertinente :
« Il n’y a que quelques dizaines d’années que les femmes ont dans le monde commencé à voir reconnue leur égalité avec les hommes : la puissance symbolique et structurante du langage, caractère propre de l’humanité et ciment des communautés linguistiques, est un apport de poids dans cette évolution. Maintenir la femme dans la virtualité du non-dit, c’est maintenir le mythe du prototype humain masculin. La langue française ne me permet pas de dire : « Je suis un homme » : de quoi, par quoi et par qui exactement suis-je ainsi exclue ? Par la langue ? ou par ceux et celles qui nomment ainsi l’humanité ? »
Au commencement étaient les féminins
Quelques exemples
Sous l’ancien régime, les titres nobiliaires étaient sexués : duchesse, baronesse, emper(r)esse, emperière…
Le titre d’ambassadrice existait et il était attribué à des femmes remplissant des fonctions diplomatiques.
On rencontre au moins une inventeure, une procurateure et une conducteure dans un écrit du XVe siècle ; ceux de phisicienne, cyrurgienne (qui avait le sens d’infirmière), de miresse (la médecin), médecine ou médecineuse…
Dans le domaine religieux, les femmes avaient de multiples responsabilités et leurs titres étaient au féminin : elles étaient abesse (sic), papesse, moynesse, clergeresse (ou clergesse c’est-à-dire religieuse), prieuresse…
Les écrits mentionnent aussi des défenderesses, demanderesses, des jugesses… et mêmes des prud’femmes.
Rappelons également qu’il y avait des doctoresses (c’est-à-dire des femmes lettrées, des femmes savantes ; au XIXe le terme désigne les premières médecins, ou médecines). Et bien sûr des autrices (ou auctrix, auctrice, authrice), comme l’a montré Aurore Evain. Autoresse, authoresse, auteuresse ont également existé. Professeuses, amatrices, inventrices et capitainesses également, parmi tant d’autres…
« De nombreuses études ont montré que, jusqu’au XVIe siècle, la langue avait des formes féminines correspondant à des formes masculines pour pratiquement tous les termes servant à désigner des métiers, titres, grades et fonctions, car du haut en bas de l’échelle sociale, les femmes étaient présentes et leurs activités énoncées par des termes qui rendaient compte de leur sexe. […]. Le XVIIe siècle centralisateur et dominé par l’image éminemment virile du “Roi soleil” ignorera superbement les termes féminisés, ou lorsqu’il les emploiera, ce sera avec condescendance ou ironie (c’est le cas pour “peintresse”). » En Europe, jusqu’au développement des États, les femmes pouvaient accéder, dans une moindre mesure que les hommes, à des fonctions dotés d’un pouvoir politique, judiciaire ou militaire. Les clercs, les hommes diplômés dans leur ensemble, menèrent une offensive contre elles, afin de conserver leur mainmise sur les charges, les emplois que leur passage par l’université leur ouvraient. En premier lieu, ils ont privé d’instruction (a fortiori d’université) celles qui sinon auraient pu rivaliser avec eux ; et discrédité autant qu’ils le pouvaient les obstinées, malgré eux devenues savantes et compétentes. Ils firent tant et si bien que, par exemple, l’ambassadrice épouse de l’ambassadeur eut raison de l’ambassadrice en mission diplomatique, et que l’on oublia l’autrice pour ne plus songer qu’à la muse …
Un masculin qui s’auto-anoblit
À la Renaissance, dans les écrits, le français supplante progressivement le latin ; or, en latin il y a un neutre, pas en français. Les grammairiens se contorsionnent pour faire valoir que les adjectifs féminins sont dérivés des masculins (comme Ève est tirée de la côte d’Adam). Au XVIe siècle, « le dogme du masculin géniteur de féminin est bien implanté ». Au XIXe, Bescherelle laisse à penser que le substantif dénommant les personnes est masculin par nature. Dont on dérive « son » féminin.
Puis il s’agit de faire triompher le masculin du féminin quand ils se rencontrent dans une phrase. Vaugelas, ordonnateur du bel usage à la cour de Louis XIV et l’un des premiers Académiciens, fait feu : « Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut tout seul contre deux féminins ».
Dans ses Doutes sur la langue française, le jésuite Dominique Bouhours, affirme : « Quand les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte », et le plus noble, c’est le masculin, évidemment.
AuXVIIIe, le grammairien et encyclopédiste, Du Marsais confirme :« [le] masculin, [le] plus noble des deux genres compris dans l’espèce ».
Créée en 1635 par Richelieu, l’Académie française, a porté la cause du masculin-qui-l’emporte-sur-le-féminin jusqu’à aujourd’hui. Il est vrai qu’elle n’a compté que des hommes jusqu’à l’élection de Marguerite Yourcenar en 1980 (une femme sur quarante membres). Elle n’a admis en son sein, en tout et pour tout, que dix femmes, qui toutes n’ont pas siégé en même temps: Marguerite Yourcenar (1980), Jacqueline de Romilly (élue en 1988), Hélène Carrère d’Encausse (en 1990), Florence Delay (en 2000), Assia Djebar (en 2005), Simone Veil (en 2008), Danièle Sallenave (en 2011), Dominique Bona (en 2013), Barbara Cassin (en 2018), Chantal Thomas (en 2021)…
Les grammairiens misogynes et phallocrates – on a vu que Vaugelas était académicien – ont œuvré à la prééminence du masculin à partir du XVIIe. L’usage, cependant, résiste jusqu’à ce que l’école républicaine, née au XIXe, impose la règle du masculin qui l’emporte sur le féminin. Oubliée la règle de proximité, selon laquelle l’adjectif et le participe passé s’accordent avec le genre (et le nombre) du substantif le plus proche ; par exemple, « le cœur et la bouche ouverte à vos louanges » .
Notons que l’on accordait également le participe présent : « une couturière demeurante rue Saint-Sauveur ». Et que les pronoms n’avaient pas encore perdu une partie de leurs féminins : « J’étais née, moi encore, pour être sage et je la suis devenue » (Le Mariage de Figaro).
La guerre menée par le sexe masculin contre le sexe féminin a comporté plusieurs fronts ; quand Molière œuvre à ridiculiser les Précieuses et les femmes savantes, il y apporte une contribution tout particulièrement efficace. Comme Rousseau dans Émile ou de l’éducation, il plaide en faveur de l’ignorance et de l’hétéronomie des femmes. Mais Émile n’est pas aussi souvent étudié au collège, ni même au lycée, que ne le sont l’une ou l’autre des pièces misogynes du dramaturge préféré du Roi-Soleil. Et le rire assure une très bonne police du genre. Pour ma part, j’ai pris une assez claire conscience que j’étais féministe en classe de troisième, et plus Armande qu’Henriette, donc désapprouvée par Molière et non conforme aux normes de genre encore en cours, puisque ma professeure de français semblait épouser le point de vue du dramaturge. Mais combien d’adolescentes Molière est-il parvenu à éloigner de l’étude et du savoir ? Il n’est bien sûr pas le seul à avoir œuvré en ce sens, ainsi que nous le verrons bientôt.
À partir du XVIIe siècle, l’on constate une disparition progressive des féminins dès lors qu’il s’agit de professions dotées d’un certain prestige. Comme le dit fort bien Aurore Evain, « ce vide lexicographique était la marque d’une censure et la fabrique d’une exclusion ».
Exclusion des femmes du politique et de l’écriture
En 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen… n’inclut pas les femmes ; celle de 1948 si… mais en anglais, pas en français !
En 1792, la requête des dames déposée à l’Assemblée nationale souligne la dimension politique de la subalternisation symbolique du féminin : « Le genre masculin ne sera plus regardé, même dans la grammaire, comme le genre le plus noble, attendu que tous les genres, tous les sexes et tous les êtres doivent être et sont également nobles » (on trouve cette requête sur Gallica).
1801 Sylvain Maréchal républicain révolutionnaire, journaliste et écrivain, est l’auteur d’un Projet de loi portant défense d’apprendre à lire aux femmes. Son article 4 précise que « la raison ne veut pas plus que la langue française qu’une femme soit auteur. Ce titre, sous toutes ses acceptions, est le propre de l’homme seul. » « La raison veut que chaque sexe soit à sa place et s’y tienne »… et la place d’une femme est à la maison : « Une femme qui remplit fidèlement ses devoirs d’épouse et de mère est une véritable divinité, et l’accomplissement de ses devoirs ne peut être compatible avec le goût des sciences et des lettres. »
Cet écrit de Sylvain Maréchal, qui a tenté de se faire passer pour une plaisanterie, a tout de même été réédité deux fois après sa mort et augmenté de citations d’autres auteurs, observe Geneviève Fraisse.
Au XIXe siècle, une guerre est menée contre les bas-bleus. À la fin de ce siècle, de nouveau des femmes menacent le pré carré des clercs : elles franchissent les obstacles disposés le long de leur chemin, (re)deviennent doctoresse, chirurgienne, avocate, ingénieure, professeure (ou professeuse)… d’abord sans pouvoir se désigner comme telles.
En 1891, la romancière féministe, fouriériste, socialiste, pacifiste Marie-Louise Gagneur adresse à l’Académie française une pétition réclamant la féminisation des noms de métiers, titres et fonctions qui devenaient « coutumiers à la femme ». Lue en séance le 23 juillet, sa requête reçoit un accueil défavorable de la part des Immortels. S’ensuivent des échanges d’arguments par voie de presse. L’académicien Charles de Mazade lui répond que « la carrière d’écrivain n’est pas celle de la femme », donc qu’il n’est pas besoin du mot écrivaine. Autrement dit, il admet que le genre du mot légitime l’exercice d’une fonction par les uns à l’exclusion des autres, ce que nieront les académiciens du XXe siècle.
1898 Hubertine Auclert, journaliste, écrivaine, féministe (suffragiste en particulier) voudrait qu’une académie féministe ait autant ses mots à dire (et à mettre au féminin dans le dictionnaire) que l’Académie française : « L’omission du féminin dans le dictionnaire contribue, plus qu’on le croit, à l’omission du féminin dans le code (côté des droits). L’émancipation par le langage ne doit pas être dédaignée. […] La féminisation de la langue est urgente, puisque, pour exprimer la qualité que quelques droits conquis donnent à la femme, il n’y a pas de mots. Ainsi, dans cette dernière législature, la femme a été admise à être témoin au civil, électeur, pour la nomination des tribunaux de commerce, elle va pouvoir être avocat. Eh bien ! on ne sait pas si l’on doit dire : une témoin ? une électeure ou une électrice ? une avocat ou une avocate ?
L’Académie féministe trancherait ces difficultés. Dans ses séances très suivies et où l’on ne s’ennuierait pas, des normaliens […] pourraient, en féminisant des mots, devenir féministes. En mettant au point la langue, on rectifierait les usages, dans le sens de l’égalité des deux sexes. »
Quand « les verts voient rouge »
Dans ses discours, De Gaulle s’adressait aux Françaises et aux Français, ce qui était admettre que les uns ne représentent pas les autres. Certains académiciens sont un peu plus qu’agacés par ces adresses paritaires , tel Jean Dutourd. On notera que le slogan de Macron, lors des dernières élections présidentielles, c’était en revanche « Nous tous »… soufflé par Jean-Michel Blanquer, son alors encore ministre de l’Éducation nationale et fervent adorateur du « masculin générique » ?
Sage-femme et maïeuticien ne sont pas dans le même bateau
1982 La profession de sage-femme s’ouvre aux hommes conformément à une directive européenne.
Trente ans plus tard, Yvette Roudy se souvient : « Quand on a ouvert le métier de sage-femme aux hommes, ils ont voulu une nouvelle appellation : maïeuticien. Pour les hommes, il fallait un terme compliqué et scientifique. »
En 1982, trois hommes deviennent sages-femmes et au moins l’un d’entre eux se réjouit d’être qualifié de tel . Le terme de sage-femme est épicène puisqu’il désigne la ou le sage qui met son savoir et ses compétences (sage) au service de la femme qui accouche ; la ou le sage-femme est donc en quelque sorte une ou un aide-parturiente.
Pourtant l’Académie se trouve chargée de forger une dénomination conforme au genre de ces nouveaux praticiens. Par Pierre Mauroy, selon l’homme politique, écrivain et académicien Alain Peyrefitte.
Donner du masculin à une femme, serait-ce donc la hausser au rang de l’humain par excellence, tandis qu’un homme féminisé devrait se sentir humilié ? Médecin et académicien, le Pr Jean Bernard propose « maïeuticien ». Bien que ce terme ait été forgé par le philosophe Socrate pour se désigner lui-même comme un accoucheur, non pas de corps féminins, mais d’esprits masculins, fonction bien plus proche du vrai, du beau et du bien que celle d’une simple sage-femme, comme l’était sa mère… En juin 1984,estimant que l’emploi du terme de « sage-femme » pour désigner un homme serait « ridicule », Alain Peyrefitte relaie dans les colonnes du Figaro la trouvaille de son illustre confrère.
Anecdote savoureuse : dans le cadre d’enquêtes linguistiques, Anne-Marie Houdebine a observé que le terme « maïeuticien » n’était pas compris par les locutrices et locuteurs interrogé·es; qu’il était quelquefois rattaché à l’emmaillotage et qu’à la place de « maïeuticien », certain.es entendaient « mailloticien » (construit sur le maillot dont autrefois on entourait le corps des marmots).
« Maïeuticien » fait son entrée dans les dictionnaires, mais il prend si peu que lors de la séance du 11 février 2009, le médecin et sénateur de gauche François Autain s’indigne : « Il serait […] temps de songer au remplacement du terme “sage-femme” par une appellation qui tienne compte du fait que cette profession est exercée par de plus en plus d’hommes. Le terme de maïeuticien, reconnu par l’Académie française, me semblerait particulièrement bien adapté. » Dès lors que des hommes exercent un métier, faudrait-il donc ne plus le dire qu’au masculin ? Même si les femmes y demeurent très largement majoritaires (1 à 2 % d’hommes sages-femmes…) ?
Il semble que cette préconisation ait fini par être suivie de quelque effet, et l’on trouve désormais dans des textes plus ou moins institutionnels cet étrange couple : « maïeuticien ou sage-femme » , sage-femme ou maïeuticien , le pire étant : « maïeuticien (sage-femme) ».
Il y a cependant des sages-femmes heureux de l’être. Dont l’un des trois premiers promus en France. Le constat est fait que le terme de « maïeuticien », dans les faits, n’est ni utilisé ni compris . L’un de ces heureux accoucheurs dit en outre que « maïeuticien » ne rend pas justice à l’amplitude de ses responsabilités, contrairement à « sage-femme »… Voilà des sages-femmes bien plus éclairés que les Immortels !
En effet, comme l’observe Claudie Baudino : « Vent debout contre les femmes qui réclameront en 1984 la féminisation des usages, l’Institution s’est réunie pour débattre de la désignation d’un seul homme. […] Au mépris des usagers, l’Académie a fait le choix de la distinction, sociale et masculine. »
Raphaël Haddad, docteur en communication, qui est à l’origine du Manuel d’écriture inclusive publié en 2016 (voir plus loin) analyse cet épisode dans une note de blog : « “Sage-femme” constitue […] un bel exemple si l’on veut démontrer combien l’inconfort dans les mots entraîne un inconfort social. » Inconfort social dont les locutrices font précisément l’expérience lorsqu’elles sont dites au masculin sans que les académiciens s’en émeuvent, au moins jusqu’à ce qu’ils comptent dans leurs rangs des femmes qui entreprennent de leur déboucher les oreilles.
1984-1986 Yvette Roudy, alors ministre des droits de la femme (sic), charge Benoîte Groult de présider une commission de terminologie afin de féminiser les titres, les noms de métiers et de fonctions pour que les femmes se sentent légitiment à exercer tous les emplois. Anne-Marie Houdebine était la linguiste en cheffe de cette commission, dont le travail conduira à la circulaire du 11 mars 1986 relative à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre.
Les linguistes québécoises ont été parmi les pionnières en la matière, et c’est l’évocation de leurs travaux que fait Anne-Marie Houdebine lors d’une conférence à laquelle Yvette Roudy a assisté qui a mené à cette entreprise. A.-M. Houdebine souligne l’intérêt du recours aux noms de métiers au féminin pour faire apparaître les femmes comme actrices sociales. Yvette Roudy tient en effet tout particulièrement à ce que sa loi du 13 juillet 1983 sur l’égalité professionnelle soit suivie d’effets : il faut lever les obstacles symboliques à la parité économique, les offres d’emploi doivent donc comporter les deux genres, féminin tout autant que masculin.
Extrait de l’entretien que j’ai réalisé en 2016 avec A.-M. Houdebine sur ce sujet : « À cause de la loi “dite Roudy” sur l’égalité professionnelle, la ministre nous a dit qu’elle était “accablée” de demandes des divers ministères la questionnant à propos des noms de métiers à proposer aux annonceurs (une majorité d’hommes généralement) qui les questionnaient. Ils ne trouvaient pas les mots. Preuve s’il en est que les Français·es sont insécurisé.es dans leur langue : elles/ils ne la savent pas. Elles/ils la croient existant seulement dans LE dictionnaire. Comme s’il n’en existait qu’un qui dise la langue, quand ce sont ses sujets parlants qui la font exister ! Mais, apparemment, ni les employés des ministères (des hommes pour la plupart dans les années 1980), ni les annonceurs, ni les publicitaires, qui pourtant n’hésitent pas à créer des néologismes, ne connaissent réellement la langue. À moins qu’il ne faille évoquer une causalité, plus politique, plus idéologique : la nomination des femmes est le cadet de leurs préoccupations. Et même, le fait qu’elles ne soient pas nommées comme actrice(s) sociale(s) ne les gêne aucunement. Comme disait Lacan, “la femme n’existe pas”, ce qui fait entendre ce sexisme : d’une femme, ce que la socialité attend, voire chacun, c’est la mère, l’épouse et la mère, mais une femme… de plus actrice sociale, c’est une tout autre affaire ! »
La commission, bien que mixte et très légalement constituée, fut aussitôt l’objet d’attaques qui méritent de rester dans les annales du sexisme débridé. Elle comportait pourtant des linguistes renommé·es et fondait ses propositions sur des enquêtes menées conformément à la méthodologie scientifique.
Les académiciens affirment que le genre grammatical et le sexe n’ont rien à voir ; ils oublient que les noms désignant des êtres sexués, en particulier les êtres humains et les animaux qui ont de la valeur pour nous, sont grammaticalement genrés conformément au genre de ces êtres. Ils omettent l’évidence : dans les noms de métiers, le masculin renvoie aux hommes (boulanger), et le féminin aux femmes (boulangère) ; leurs tribunes, publiées pour la plupart dans Le Figaro, regorgent de sous-entendus ou d’allusions sexuelles (accord de proximité), attestant de leur inaptitude à considérer les femmes autrement que que comme des objets sexuels – on comprend, soit dit en passant qu’Hélène Carrère d’Encausse, « secrétaire perpétuel » de l’Académie française, tienne à se désigner au masculin… L’entretien dans lequel le très distingué Georges Dumézil feint de croire qu’il faudra dire « la recteuse » ou « la rectoresse » parce que « la rectrice » désignerait de toute éternité la femme du recteur et finit par louer les mérites de « l’admirable substantif “conne” » après avoir évoqué Benoîte Groult est à cet égard des plus révélateurs de l’effet de panique que produisent sur les clercs des femmes qui s’autodésignent, se visibilisent en tant que citoyennes actives et œuvrent à la possible fin de l’hégémonie masculine.
C’est cette panique académique et les sophismes qu’elle inspire que nous avons analysés dans L’Académie contre la langue française (iXe, 2015). Ouvrage tout aussi comique que sérieux tant ces académiciens qui ne sauraient voir de féminins sont de précieux ridicules !
Parce que les contes de fées aussi sont parfois mal lus, voire mal compris : Karine Mazel, psychologue et conteuse, nous propose une exploration de notre conscience et de notre inconscient par le détour des contes. Dans son spectacle « Tu parles, Charles! », elle nous dévoile tout « ce qu’on ne vous dit pas sur les contes de fées » en interrogeant leur modernité et en répondant à la grande question qui agite notre société : comment lire aujourd’hui ?
Et pour approfondir la question, quelques articles de Karine Mazel en ligne :
Un épisode à écouter sur toutes les plateformes de podcast :