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[club] Vigée-Lebrun – Une femme peintre

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Il y a peu de femmes peintres dans l’histoire de la peinture et Elisabeth Vigée-Lebrun est un cas particulier : fille de peintre, elle devient peintre de la cour grâce à Marie-Antoinette. Spécialisée dans les portraits, elle se distingue par sa sensibilité.

Or le portrait n’est pas un genre noble en peinture au XVIIIe siècle, au contraire des tableaux historiques ou religieux : une femme a-t-elle pu avoir du succès en peinture justement parce qu’elle traitait d’un genre mineur ? S’ajoute à cela que sa qualité, la sensibilité, est alors associée à la féminité : est-ce, là encore, en raison de stéréotypes que Vigée-Lebrun a pu être reconnue comme peintre ?

Je nuancerai ce dernier point en rappelant que l’éloge de la sensibilité était faite par Rousseau et qu’il ne la présentait pas comme l’apanage des femmes. Le XVIIIe siècle est le siècle des Lumières mais aussi celui des pastorales et du Trianon. En ce sens, Vigée-Lebrun est une peintre qui représente à merveille son temps.

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[club] Woolf/Colette – Des écritures féminines ?

claudineJe tenais à relever la grande différence de style entre Woolf et Colette, qui n’ont pourtant que 10 ans de différence. Woolf a une écriture très réfléchie, introspective, impressionniste. On n’y trouve pas d’accent mis sur l’intrigue ; et je trouve que ce n’est pas vraiment le propos chez Colette non plus. En revanche, le style de Colette est vif, coloré, parfois même un peu trop ; il y a de l’humour, de la légèreté et une grande capacité à adopter différents styles, correspondant chacun à un personnage différent, dans les passages en discours direct, qu’il s’agisse de dialogues ou de lettres (Annie, Claudine, Alain…).

Dans les deux cas nous avons accès à une certaine classe sociale, mais elle n’est pas décrite de la même manière. Chez Woolf, ce monde est décrit de l’intérieur, avec une certaine adhésion à ses valeurs ; chez Colette, il est décrit depuis un point de vue marginal, avec une réticence à adopter ses valeurs. Et finalement c’est la marge qui l’emporte. En cela Claudine s’en va m’a semblé très proche de Thérèse Desqueyroux.

 

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[club] Woolf/Colette – La maison, attribut féminin ?

woolfOn trouve dans To the Lighthouse une description d’anthologie de la maison en l’absence de ses habitants, qui fait écho à la disparition de la mère. Curieusement, on retrouve une description similaire dans un autre tome des Claudine, La maison de Claudine, qui s’ouvre sur la maison familiale présentée comme un décor de théâtre où se trouvent dissimulés les enfants que la mère, entrant sur la scène de la mémoire, appelle et cherche. Dans les deux cas, l’accent est mis sur le poids de l’habitude et sa révélation lorsque l’habitude est brisée : quelque chose est perdu, cette chose c’est la famille et son centre fondateur, la mère.

De là à voir dans la maison le symbole de la mère, par quasi-métonymie, il n’y a qu’un pas ; et ceci d’autant plus que nous avons déjà rencontré l’idée de la femme « ange du foyer » dans nos lectures victoriennes.

Pourtant ce n’est pas avec La maison de Claudine mais avec Claudine s’en va que nous avons voulu nouer un dialogue des deux côtés de la Manche. Dans cet autre volet des Claudine, on trouve la mention d’une maison familiale au début, trop tôt quittée par la jeune mariée Annie. La maison dans laquelle elle s’installe avec son mari n’a rien du symbole familial de To the Lighthouse ou de La maison de Claudine, et pour cause : aucune famille n’est vouée à s’y installer, le couple que forment Annie et son mari n’étant pas viable. En fait d’enfant, Annie pourrait tenir le rôle, tant son mari l’infantilise. Dès lors c’est en fuyant cette maison qui n’est pas la sienne qu’Annie s’émancipe du rôle de femme-enfant que son mariage entendait lui faire jouer. – En ce sens, la métaphore de la femme-maison peut fonctionner dans les deux romans, mais pas de la même manière.

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[club] Levin/Jourgeaud – Adaptations cinématographiques

Nos romans au programme de ce mois ont connu un certain succès cinématographique ; Levin écrivait d’ailleurs la plupart de ses romans en ayant une adaptation ciné en tête.

The Stepford Wives a ainsi été adapté deux fois au cinéma, la première en 1975 et la deuxième en 2004 (attention la bande-annonce du film de 2004 spoile toute l’intrigue ; et on peut s’interroger sur la pertinence du choix de l’actrice principale) :

https://www.youtube.com/watch?v=P7wEi3qJGDc


Quant au roman Une héroïne américaine, il ne sera pas à proprement parler adapté au cinéma, mais l’histoire de Brownie Wise, qui y est développée, a été mise en texte au États-Unis et sera l’objet d’un film prochainement.

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[club] Levin/Jourgeaud – Qu’est-ce qu’une héroïne ?

CVT_Une-heroine-americaine_1491 the-stepford-wivesDans Stepford wives comme dans Une héroïne américaine, les protagonistes principales se singularisent par leur opposition au groupe. Elles ne s’inscrivent pas dans une attitude grégaire mais se démarquent par leur liberté d’esprit, leur indépendance, qui peuvent être perçus comme des marques d’inadaptation (Joanna n’est pas une ménagère parfaite et cela est perçu comme un défaut ; Brownie est décrite comme ayant la folie des grandeurs, mais ce n’est qu’un prétexte pour la licencier ; les travaux d’Amelia sont taxés de vulgarité).

Cette écriture de l’héroïsme à travers la figure de l’individu singulier et résistant à la pression du groupe n’est pas isolée : on la retrouve par exemple dans Rhinocéros de Ionesco. Elle traverse également toutes les adaptations ciné et télé retraçant les procès de l’Inquisition (Galilée, Jan Hus…). On trouve presque là la figure du juste persécuté, seul contre tous, dont un des prototypes est Jésus Christ. Cette dimension des deux romans est d’autant plus intéressante, je trouve, qu’elle permet de faire un lien avec la réflexion sur la mythologie sous-jacente à Une héroïne américaine : et si le XXe siècle n’avait fait que réécrire les mythes anciens, sans parvenir à en écrire de nouveau ? A moins que le seul mythe original du XXe siècle soit celui de du héros au féminin : de l’héroïne…

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[club] Bettelheim & Mead – Répercussions

psychanalyse-des-contes-de-fees-359361Le nom de Bettelheim est connu surtout pour sa Psychanalyse des contes de fées et pas pour cet article sur le « Devenir femme » ; pourtant, il me semble qu’on peut faire un lien entre les deux écrits, puisque le premier ouvrage traite de nombreuses héroïnes féminines et que les contes de fées mettent justement en scène et en question le devenir-femme : le petit chaperon rouge et les risques de la séduction, par exemple. La réflexion sur la féminité dans l’Amérique de l’après-guerre n’est sans doute pas pour rien dans l’analyse psychanalytique des contes de fées.

Quant au nom de Margaret Mead, il était connu dans les années 70 au point d’être cité dans un film de Luis Bunuel, Les fantômes de la liberté, lors d’une scène où un policier instructeur recommande à ses recrues la lecture de L’un et l’autre sexe (Male and female) pour mieux comprendre le rapport des sexes… Son oeuvre était par ailleurs connue par les communautés gay, lesbienne, trans et bisexuelles comme asseyant l’idée (lancée par le premier Freud) d’une bisexualité innée de l’être humain. Plus en amont, son étude sur la sexualité dans le Pacifique rentre dans le sillage du Supplément au Voyage de Bougainville de Diderot.

 

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[club] Bettelheim & Mead – Préjugés misogynes ?

bbOn relève, dans nos deux ouvrages, des préjugés de toutes sortes qui ne manquent pas d’interroger.

D’abord, sur la « normalité féminine », on lit dans « Devenir femme » de Bettelheim : « la femme qui a besoin d’un homme, et qui en veut un, – et toutes les femmes normales en sont là ». Et, à propos des rapports de sexe en Occident avant l’ère industrielle (soit avant le XIXes.), on peut lire chez Bettelheim : « La vie était encore accaparée par les exigences fondamentales de la nourriture, de l’habillement et du toit. (…) Pour autant que l’on sache, il semble que la bonne entente qui régnait entre les sexes leur permettait de résoudre leurs difficultés affectives, surtout si le sexe, en tant que tel, était satisfaisant ». Les hommes et femmes nés avant 1800 étaient-ils donc des animaux ?? Et comment, alors, comprendre toutes les oeuvres du Moyen Âge, de la Renaissance, des XVIIe et XVIIIe s. traitant des rapports des sexes et que nous avons lus dans ce bookclub ??

Chez Mead, les définitions de la féminité et de la virilité sont étroitement attachées aux différences physiques et à l’expérience propre à chaque genre de son corps. Mead se présente en cela comme une matérialiste au sens philosophique du terme. Mais on peut se demander si ce choix idéologique et méthodologique est le meilleur ; cette question, l’auteur ne la pose pas : cette hypothèse n’est pas démontré mais est posée en introduction comme un préalable à accepter, que seule la dimension de « tabou » nous conduirait à rejeter (p. 10-11). Il me semble en conséquence qu’il s’agit d’un préjugé plutôt que d’un préalable à proprement parler.

 

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[club] Bettelheim & Mead – Féminités

mmet son mari

L’article de Bettelheim, « Devenir femme », met le doigt sur la polysémie du terme « féminité » : il y a la féminité telle que la prescrit la société et par rapport à laquelle de nombreuses femmes cherchent à entrer en conformité, et la « féminité adulte », qui est tout autre chose et qui passe par la prise de conscience de ses aspirations.

Bettelheim relève une rupture dans la vie de la femme entre ce à quoi l’encourage la société pendant son enfance et son adolescence (rivaliser avec les garçons, faire de brillantes études) et ce à quoi elle la destine adulte (éléver des enfants, rester à la maison). Surqualifiée pour la place qu’on lui réserve, une frustration sourde la gagne et la ronge de l’intérieur.

Par ailleurs, l’ouvrage de Margaret Mead, Male and female, présente lui aussi plusieurs définitions de la féminité : dans son deuxième chapitre, elle présente 7 peuples du Pacifique et leur conception de la féminité, saisie par son rapport au corps. Mais, et c’est aussi ce qui est intéressant chez M. Mead, à chaque conception de la féminité correspond une conception de la virilité corollaire : on ne naît pas plus femme qu’homme, et chaque culture invente sa féminité et sa virilité.

Ce deuxième ouvrage traite également de la frustration féminine : « Chaque civilisation a mis au point, à sa manière, des institutions qui permettent aux hommes de trouver la certitude de leur virilité. Il est encore peu de civilisations qui aient trouvé le moyen de donner aux femmes l’inquiétude divine dont parle le poète et qui exige d’autres satisfactions que celles de la maternité » (p. 149).

Ce phénomène de frustration, nous l’avons vu à l’oeuvre dans plusieurs oeuvres littéraires, même s’il n’était pas toujours mis en relation avec un idéal d’excellence durant l’adolescence, au contraire (voir Thérèse Raquin, Thérèse Desqueyroux, Betty). Cette frustration est-elle un donné universel des destinées féminines ?

Non selon M. Mead, qui y voit un effet de la culture : « Le problème permanent de la civilisation est de définir le rôle de l’homme de façon satisfaisante (…) afin qu’il puisse, au cours de sa vie, parvenir au sentiment stable d’un accomplissement irréversible (…). Pour que les femmes atteignent à ce sentiment d’un accomplissement irréversible, il suffit que la société leur permette d’accomplir leur tâche biologique. Si elles sont inquiètes, si elles cherchent autre chose, lorsqu’elles sont mères, c’est l’effet de l’éducation. » (p. 148-149).

Selon Bettelheim, il faut élever les enfants dans l’idée que « les femmes ont beaucoup plus de choses en commun avec les hommes que notre société veut bien l’admettre », ceci dans le but suivant : « nos filles pourront accepter le mariage et la maternité comme une part importante de leur avenir, une part qui ne gâchera pas – par le désespoir, la résignation ou l’ennui – ce que leur vie et leurs potentialités ont de meilleur » (p. 298).

Dans les deux cas, la frustration est lue comme un donné anormal, inculqué par la civilisation (pacifique ou occidentale) : est-ce à dire que la vérité résiderait dans la maternité comme seul épanouissement, selon Mead comme Bettelheim ?

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[club] Simenon – Maternités

Betty_Claude_ChabrolElse n’a pas d’enfant dans La nuit du carrefour ; Betty, en revanche, en a deux. La manière dont elle décrit son absence d’amour maternel est intéressante au regard de nos lectures de L’amour en plus d’E. Badinter : « Vous croyez à l’amour maternel ? (…) J’oubliais que vous n’avez pas d’enfant. Vous ne pouvez donc pas savoir. Je parle de l’amour maternel comme dans les livres, comme en parle à l’école, comme dans les chansons. Quand je me suis mariée, je pensais bien qu’nu jour j’aurais des enfants et cette idée m’était agréable. Cela faisait partie d’un tout : la famille, le foyer, les vacances au bord de la mer. Puis lorsqu’on m’a annoncé que j’étais enceinte, j’ai été déroutée que cela vienne si vite, alors que j’avais à peine cessé d’être une petite fille. (…) Je ne me cherche pas d’excuses. J’essaie de comprendre. (…) Je suis peut-être un monstre. Dans ce cas, je jurerais que c’est le cas de milliers et de milliers de femmes. »

Son récit de sa grossesse et de son accouchement, puis de la manière dont la bonne lui prend son enfant en s’en occupant d’autorité à sa place, peuvent tendre à montrer que l’amour maternel est quelque chose qui se construit et n’a rien d’inné.

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[club] Simenon – La recluse

LA-NUIT-DU-CARREFOUR-1932Betty et La nuit du carrefour nous proposent deux figures de la recluse : dans le premier cas, Elizabeth est enfermée dans une vie conjugale et familial dans laquelle elle étouffe, dans le second cas Else semble être enfermée par son frère parce qu’il serait fou, et est en effet enfermée par son mari parce qu’elle est « dangereuse ». Les deux femmes cherchent à s’évader de leur cadre de vie étriqué, l’une par l’alcool et l’adultère, l’autre par de petits trafic via une association de malfaiteurs (ses voisins). Dans les deux cas, les maris sont de bonne foi mais aveugles quant aux souffrances qu’ils infligent à leur épouse, à l’inadéquation entre ces femmes et le type de vie qu’ils leur proposent de mener.

Le regard du narrateur n’est pas le même d’un roman à l’autre : dans Betty, le narrateur semble plutôt complaisant envers les comportements « déviants » du personnage principal. Elle attire la compassion du lecteur (elle est recueillie par Laure, qui dit d’elle « c’est une malheureuse »), et même son absence d’amour maternel est traité avec psychologie, à l’inverse de ce qui se passe dans Mme Bovary. Dans La nuit du carrefour, Else est désignée comme la criminelle, qui trompe son monde, sur laquelle on ne peut se fier. Pourtant, dans les deux cas, ces femmes profitent de leur mari et de leur pouvoir de séduction en général pour s’en tirer (voir la fin de Betty : « Elle avait gagné »).

Elles présentent donc toutes les deux des figures, plutôt proches, de la recluse, au sens propre ou figuré, ce en quoi elles rappellent à la fois Emma Bovary ou Thérèse Desqueyroux.