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[club] Bettelheim & Mead – Préjugés misogynes ?

bbOn relève, dans nos deux ouvrages, des préjugés de toutes sortes qui ne manquent pas d’interroger.

D’abord, sur la « normalité féminine », on lit dans « Devenir femme » de Bettelheim : « la femme qui a besoin d’un homme, et qui en veut un, – et toutes les femmes normales en sont là ». Et, à propos des rapports de sexe en Occident avant l’ère industrielle (soit avant le XIXes.), on peut lire chez Bettelheim : « La vie était encore accaparée par les exigences fondamentales de la nourriture, de l’habillement et du toit. (…) Pour autant que l’on sache, il semble que la bonne entente qui régnait entre les sexes leur permettait de résoudre leurs difficultés affectives, surtout si le sexe, en tant que tel, était satisfaisant ». Les hommes et femmes nés avant 1800 étaient-ils donc des animaux ?? Et comment, alors, comprendre toutes les oeuvres du Moyen Âge, de la Renaissance, des XVIIe et XVIIIe s. traitant des rapports des sexes et que nous avons lus dans ce bookclub ??

Chez Mead, les définitions de la féminité et de la virilité sont étroitement attachées aux différences physiques et à l’expérience propre à chaque genre de son corps. Mead se présente en cela comme une matérialiste au sens philosophique du terme. Mais on peut se demander si ce choix idéologique et méthodologique est le meilleur ; cette question, l’auteur ne la pose pas : cette hypothèse n’est pas démontré mais est posée en introduction comme un préalable à accepter, que seule la dimension de « tabou » nous conduirait à rejeter (p. 10-11). Il me semble en conséquence qu’il s’agit d’un préjugé plutôt que d’un préalable à proprement parler.

 

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[club] Bettelheim & Mead – Féminités

mmet son mari

L’article de Bettelheim, « Devenir femme », met le doigt sur la polysémie du terme « féminité » : il y a la féminité telle que la prescrit la société et par rapport à laquelle de nombreuses femmes cherchent à entrer en conformité, et la « féminité adulte », qui est tout autre chose et qui passe par la prise de conscience de ses aspirations.

Bettelheim relève une rupture dans la vie de la femme entre ce à quoi l’encourage la société pendant son enfance et son adolescence (rivaliser avec les garçons, faire de brillantes études) et ce à quoi elle la destine adulte (éléver des enfants, rester à la maison). Surqualifiée pour la place qu’on lui réserve, une frustration sourde la gagne et la ronge de l’intérieur.

Par ailleurs, l’ouvrage de Margaret Mead, Male and female, présente lui aussi plusieurs définitions de la féminité : dans son deuxième chapitre, elle présente 7 peuples du Pacifique et leur conception de la féminité, saisie par son rapport au corps. Mais, et c’est aussi ce qui est intéressant chez M. Mead, à chaque conception de la féminité correspond une conception de la virilité corollaire : on ne naît pas plus femme qu’homme, et chaque culture invente sa féminité et sa virilité.

Ce deuxième ouvrage traite également de la frustration féminine : « Chaque civilisation a mis au point, à sa manière, des institutions qui permettent aux hommes de trouver la certitude de leur virilité. Il est encore peu de civilisations qui aient trouvé le moyen de donner aux femmes l’inquiétude divine dont parle le poète et qui exige d’autres satisfactions que celles de la maternité » (p. 149).

Ce phénomène de frustration, nous l’avons vu à l’oeuvre dans plusieurs oeuvres littéraires, même s’il n’était pas toujours mis en relation avec un idéal d’excellence durant l’adolescence, au contraire (voir Thérèse Raquin, Thérèse Desqueyroux, Betty). Cette frustration est-elle un donné universel des destinées féminines ?

Non selon M. Mead, qui y voit un effet de la culture : « Le problème permanent de la civilisation est de définir le rôle de l’homme de façon satisfaisante (…) afin qu’il puisse, au cours de sa vie, parvenir au sentiment stable d’un accomplissement irréversible (…). Pour que les femmes atteignent à ce sentiment d’un accomplissement irréversible, il suffit que la société leur permette d’accomplir leur tâche biologique. Si elles sont inquiètes, si elles cherchent autre chose, lorsqu’elles sont mères, c’est l’effet de l’éducation. » (p. 148-149).

Selon Bettelheim, il faut élever les enfants dans l’idée que « les femmes ont beaucoup plus de choses en commun avec les hommes que notre société veut bien l’admettre », ceci dans le but suivant : « nos filles pourront accepter le mariage et la maternité comme une part importante de leur avenir, une part qui ne gâchera pas – par le désespoir, la résignation ou l’ennui – ce que leur vie et leurs potentialités ont de meilleur » (p. 298).

Dans les deux cas, la frustration est lue comme un donné anormal, inculqué par la civilisation (pacifique ou occidentale) : est-ce à dire que la vérité résiderait dans la maternité comme seul épanouissement, selon Mead comme Bettelheim ?

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[club] Simenon – Maternités

Betty_Claude_ChabrolElse n’a pas d’enfant dans La nuit du carrefour ; Betty, en revanche, en a deux. La manière dont elle décrit son absence d’amour maternel est intéressante au regard de nos lectures de L’amour en plus d’E. Badinter : « Vous croyez à l’amour maternel ? (…) J’oubliais que vous n’avez pas d’enfant. Vous ne pouvez donc pas savoir. Je parle de l’amour maternel comme dans les livres, comme en parle à l’école, comme dans les chansons. Quand je me suis mariée, je pensais bien qu’nu jour j’aurais des enfants et cette idée m’était agréable. Cela faisait partie d’un tout : la famille, le foyer, les vacances au bord de la mer. Puis lorsqu’on m’a annoncé que j’étais enceinte, j’ai été déroutée que cela vienne si vite, alors que j’avais à peine cessé d’être une petite fille. (…) Je ne me cherche pas d’excuses. J’essaie de comprendre. (…) Je suis peut-être un monstre. Dans ce cas, je jurerais que c’est le cas de milliers et de milliers de femmes. »

Son récit de sa grossesse et de son accouchement, puis de la manière dont la bonne lui prend son enfant en s’en occupant d’autorité à sa place, peuvent tendre à montrer que l’amour maternel est quelque chose qui se construit et n’a rien d’inné.

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[club] Simenon – La recluse

LA-NUIT-DU-CARREFOUR-1932Betty et La nuit du carrefour nous proposent deux figures de la recluse : dans le premier cas, Elizabeth est enfermée dans une vie conjugale et familial dans laquelle elle étouffe, dans le second cas Else semble être enfermée par son frère parce qu’il serait fou, et est en effet enfermée par son mari parce qu’elle est « dangereuse ». Les deux femmes cherchent à s’évader de leur cadre de vie étriqué, l’une par l’alcool et l’adultère, l’autre par de petits trafic via une association de malfaiteurs (ses voisins). Dans les deux cas, les maris sont de bonne foi mais aveugles quant aux souffrances qu’ils infligent à leur épouse, à l’inadéquation entre ces femmes et le type de vie qu’ils leur proposent de mener.

Le regard du narrateur n’est pas le même d’un roman à l’autre : dans Betty, le narrateur semble plutôt complaisant envers les comportements « déviants » du personnage principal. Elle attire la compassion du lecteur (elle est recueillie par Laure, qui dit d’elle « c’est une malheureuse »), et même son absence d’amour maternel est traité avec psychologie, à l’inverse de ce qui se passe dans Mme Bovary. Dans La nuit du carrefour, Else est désignée comme la criminelle, qui trompe son monde, sur laquelle on ne peut se fier. Pourtant, dans les deux cas, ces femmes profitent de leur mari et de leur pouvoir de séduction en général pour s’en tirer (voir la fin de Betty : « Elle avait gagné »).

Elles présentent donc toutes les deux des figures, plutôt proches, de la recluse, au sens propre ou figuré, ce en quoi elles rappellent à la fois Emma Bovary ou Thérèse Desqueyroux.

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[club] Zola-Mauriac – La bête humaine

carneLes deux Thérèse sont présentées par leur auteur comme des créatures étranges, bestiale dans le cas de Thérèse Raquin, monstrueuse dans celui de Thérèse Desqueyroux. Mais dans les deux cas, elles emportent l’empathie du narrateur, et du lecteur :

Thérèse Raquin, ch. VII : « Tu ne saurais croire, reprenait-elle, combien ils m’ont rendue mauvaise. Ils ont fait de moi une hypocrite et une menteuse… Ils m’ont étouffée dans leur douceur bourgeoise, et je ne m’explique pas comment il y a encore du sang dans mes veines… J’ai baissé les yeux, j’ai eu comme eux un visage morne et imbécile, j’ai mené leur vie morte. Quand tu m’as vue, n’est-ce pas ? j’avais l’air d’une bête. J’étais grave, écrasée, abrutie. Je n’espérais plus en rien, je songeais à me jeter un jour dans la Seine… Mais avant cet affaissement, que de nuits de colère ! Là-bas, à Vernon, dans ma chambre froide, je mordais mon oreiller pour étouffer mes cris, je me battais, je me traitais de lâche. Mon sang me brûlait et je me serais déchirée le corps. A deux reprises, j’ai voulu fuir, aller devant moi, au soleil; le courage m’a manqué, ils avaient fait de moi une brute docile avec leur bienveillance molle et leur tendresse écoeurante. Je suis restée là toute douce, toute silencieuse, rêvant de frapper et de mordre. »
La situation dans laquelle Thérèse Raquin a été contrainte à vivre l’a changée en bête ; son crime l’abêtit encore davantage. Laurent, d’ailleurs, motive en partie son crime par son désir de vivre « en brute », de paresse et dans la satisfaction de ses désirs.

La préface de Thérèse Desqueyroux présente elle aussi l’héroïne comme un monstre, une Locuste, empoisonneuse antique célèbre. Le personnage cherche à s’expliquer à ses propres yeux pendant toute la première partie – à ses propres yeux plus qu’au mari auquel cette confession est pourtant destinée, mais qui ne voudra pas l’écouter. Dans La fin de la nuit, c’est en revenant à Argelouse que Thérèse comprend qu’elle ne pouvait pas agir autrement qu’elle l’avait fait, que sa situation était insupportable. Comme si la question de sa monstruosité avait continué à se poser à elle pendant toutes ces années de liberté surveillée.

Mais voir dans nos héroïnes des bêtes ou des montres est avant tout le point de vue d’une certain lectorat, dénoncé comme bourgeois et bien-pensant par Mauriac dans sa préface et par l’héroïne de Zola dans la diatribe reproduite plus haut. Les deux héroïnes ont enfin en commun cet enfermement dans des valeurs qui ne sont pas les leurs : la connivence avec Mme Raquin devenue paralytique, dont seule Thérèse parvient à déchiffrer les regards, met en parallèle leurs situations d’emmurée vivante : « Elle communiquait assez aisément avec cette intelligence murée, vivante encore et enterrée au fond d’une chair morte » (ch. XXVI) ; Thérèse Desqueyroux sera elle aussi enfermée, emmurée vivante, changée en morte vivante. Et là où elle trouve une libération grâce à la générosité finale et inattendue de Bernard, Thérèse Raquin, elle ne trouve d’échappatoire que dans la mort.

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[club] Zola-Mauriac – Mariage forcé

td 1Nos deux Thérèse présentent la particularité de n’avoir pas fait un mariage d’amour.

Le cas de Thérèse Raquin est plus frappant à ce titre que celui de Thérèse Desqueyroux. Elle est une parente de son futur époux Camille Raquin, elle est élevée avec lui, elle dort dans le même lit que lui depuis toute petite. Sa vie de femme mariée s’annonce comme la continuité de sa vie de petite fille. Mme Raquin lui propose ce mariage, les circonstances le lui imposent : elle ne connaît personne en dehors de la famille Raquin. Le mariage contracté avec Camille prend des allures d’inceste ; Mme Raquin pense d’ailleurs au moment du remariage de Thérèse avec Laurent « que, comme on dit, cela ne sortait pas de la famille » (ch. XIX).

Thérèse Desqueyroux semble faire un mariage d’amour : c’est après tout elle qui choisit d’épouser Bernard. Mais il apparaît que ce mariage convient tout à fait aux deux familles, pour des raisons patrimoniales (les pinèdes qu’ils possèdent les uns et les autres), et que le choix de Thérèse est davantage guidé par son affection pour la soeur de Bernard, Anne, que pour Bernard lui-même.

Ainsi, si le mariage de Thérèse Desqueyroux n’est pas arrangé au même titre que celui de Thérèse Raquin, il reste un mariage d’intérêt, non pas pécuniaire comme finissent par le penser la famille de Bernard et Bernard lui-même, mais affectif : en épousant Bernard, Thérèse reste proche d’Anne. C’est d’ailleurs cette dernière qui élèvera la petite Marie, comme on l’apprend dans la suite de Thérèse Desqueyroux, La fin de la nuit.

Aussi les données de notre question sont-elles légèrement changées par rapport aux programmes de lecture précédent : il s’agit toujours de désespoir conjugal, de la détresse de femmes enfermées dans le mariage et la vie domestique, mais ce désespoir et cette détresse sont d’une toute autre teneur que celles des femmes américaines du milieu du XXe s. ou des mères, au foyer ou active, de notre Europe de début de XXIe s.

Y aurait-il donc toujours eu un désespoir de la femme mariée ? Aurait-il seulement changé de cause, d’où de sens ? Ou bien les mariages des deux Thérèse sont-ils particuliers même pour leur époque, et expliquent à ce titre (selon une certaine lecture de ces romans) leur crime ?

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[club] Zola-Mauriac – Vie domestique indigne d’intérêt

tr 1Thérèse Desqueyroux se désintéresse des tâches domestiques attribuées, dans son milieu, aux femmes (le soin des enfants vient au premier rang, mais aussi le soin du mari) quand sa belle-soeur Anne y excelle. La vie qu’elle mènera à Paris sera d’ailleurs une vie de célibataire, quasi-recluse, marginale.

De même on trouve, chez Thérèse Raquin, ce mépris pour la vie ordinaire : lorsque Suzanne vient accompagner Thérèse dans la mercerie après l’attaque de paralysie de Mme Raquin, il est dit de Thérèse qu’elle « écoutait avec des efforts d’intérêt les bavardages lents de Suzanne qui parlait de son ménage, des banalités de sa vie monotone. Cela la tirait d’elle-même. Elle se surprenait parfois à s’intéresser à des sottises, ce qui la faisait ensuite sourire amèrement » (ch. XXX).

Emma Bovary partage avec nos deux Thérèse l’absence de tout sentiment maternel. Est-ce un moyen pour Flaubert, Zola et Mauriac de présenter leur personnage comme des femmes dénaturées, et d’expliquer ainsi leur crime ?
Cette hypothèse peut être accréditée par l’apparition de l’image de la femme Ange du Foyer et bonne mère au XIXe telle que l’analyse E. Badinter dans L’amour en plus.

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[club] Weiner-Cusk-Guéritault – Littérature et condition féminine

arlinton park 1L’écriture et la lecture sont très présentes dans ces deux romans. Est-ce là un trait de la condition de la femme insatisfaite et/ou déçue : se réfugier dans l’écriture et/ou dans la lecture ?

Kate Klein a été rédactrice et investigatrice pour un magazine de potins. Elle dit d’elle-même à un moment : « I used to be a good writer ». Sa voisine assassinée rédigeait elle aussi des articles, mais d’une autre portée, car moralisateurs et politiques, et en tant que nègre ; elle préparait un livre. Kate relève leurs ressemblances. – Mais c’en est tout pour les références littéraires, les citations qui émaillent le livre étant celles de chansons de jazz ou de variété. Et finalement c’est vers l’investigation que Kate orientera son énergie débordante mais perdue dans ses soucis domestiques, faisant en cela figure de Miss Marple de la banlieue new yorkaise.

Juliet, une des personnages d’Arlington Park, est prof de littérature. Elle organise un club littéraire pour les terminales. Ne s’y rendent que des filles, le lycée où elle exerce étant un lycée non mixte. Les livres choisis rappellent ceux que nous avons nous-mêmes lus :
« Au club littéraire, Juliet essayait de conjurer ce sort, quelques limités que soient ses moyens. Elle tentait de leur faire connaître la nature de la bête. Elles étaient censées choisir le livre du mois en comité, mais, sans remords, Juliet les aiguillait vers des oeuvres qui disaient la vérité, telle qu’elle la voyait, sur la vie des femmes. Elle s’appliquait à être aussi contemporaine que possible, et à donner la priorité aux femmes dans ses choix, mais comme résister à Madame Bovary ? Comment ne pas les orienter vers Anna Karénine (…)? » (p. 173)
Les soeurs Brontë sont également citées ; ce sont d’ailleurs Les Hauts de Hurlevent qui sont en débat le jour club qui nous est raconté. Enfin, l’ouvrage tout entier est conçu comme une ré-écriture de Mrs Dalloway de V. Woolf.
Tous les ouvrages abordés dans ce club littéraire sont comme des miroirs de la réalité féminine et des instrument d’instruction pour ces jeunes filles ; bien entendu, ces deux portées leur échappent. Et c’est finalement pour Juliet que ce club fait le plus sens et à elle qu’il fait le plus plaisir.

Là où l’écriture est tendue entre engagement politique et sociétale (Kitty Cavanaugh) et divertissement (Kate Klein) dans Goodnight Nobody, la lecture est vue comme le révélateur d’une réalité transhistorique, potentiellement catalyseur d’une prise de conscience existentielle et individuelle (Juliet) dans Arlington Park. Nous ne sommes donc pas face à un rapport à la littérature comme refuge ou comme fuite en avant, ni comme moyen de diffusion d’un idéal dangereux (c’est plutôt la télévision, les magazines et les chansons qui occupent cette fonction dans Goodnight nobody, l’urbanisme et l’organisation de la vie marchande dans Arlington Park). Si l’importance de la lecture et de l’écriture est présente dans ces deux romans, je n’arrive pas à établir en quoi elle éclaire la question de la condition de mère au foyer : as-tu une idée?

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[club] Weiner-Cusk-Guéritault – Humour et désespoir

weiner 1Les deux romans à notre programme ce mois-ci ont en commun leur thème – la « vie domestique » des femmes au foyer, pour reprendre la traduction d’Arlington Park ; on peut leur trouver un autre point commun : l’emploi de l’humour. Bien entendu, l’humour est beaucoup moins présent dans l’essai de V. Guéritault, qui s’attache à observer de manière neutre la situation psychologique et physique décrite dans nos deux romans.

Si dans le cas de Jennifer Weiner, l’humour est mis en avant comme un argument de vente (cf la couverture de l’édition Pocket Books et la quatrième de couverture, qui qualifie l’ouvrage de « laugh-out-loud funny »), ce n’est a priori pas le trait stylistique le plus frappant d’Arlington Park.

Weiner utilise un humour très explicite, basé sur l’autodérision et la comparaison systématique de son héroïne aux canons véhiculés par les médias (et par ses voisines) sur la mère parfaite (à Upchurch) et la femme parfaite (à New York), au désavantage de celle-ci. Cela rapproche Kate Klein de Bridget Jones – laquelle n’a jamais été croquée dans sa vie de mère, Helen Fielding ayant choisi de passer directement des premières années de mariage aux premières années de veuvage.

Cusk, quant à elle, fait parfois preuve d’une ironie mordante, dont on ne sait s’il faut en rire ou en pleurer. Par exemple dans le chapitre consacré à Solly :
« Vraiment, Martin était merveilleux. Il était ce qu’on appelait un père présent. Le problème est qu’il n’était jamais là. » (p.149).
Ou encore, dans le chapitre sur le parc :
« Richard n’arrête pas d’aller à ces conférences où personne n’a l’air de savoir ce dont il est question. Je lui dis, tu sais, mais qu’est-ce que tu fais exactement ? Qu’est-ce que tu accomplis en réalité ? Je crois qu’ils vont se bourrer au bar de l’hôtel. – Eh bien, pourquoi pas, après tout. – Oui. C’est quand même un peu fou. Même Richard reconnaît que c’est un peu fou. » (p.166).
Ou enfin, dans le chapitre sur le club littéraire, lorsqu’une participante demande à Juliet pourquoi elle a coupé ses cheveux :
« C’est ce qui arrive quand on a mon âge. On en a soudain assez. (….) – Et alors on commence à faire des choses à ses cheveux, dit Sara avec tant de mépris qu’elle semblait, en fait, bien connaître le phénomène. Ou on se fait faire de la chirurgie esthétique. Et on commence à être obsédé par son intérieur, on interdit tout à tout le monde pour ne rien déranger. On est, genre, vous savez, pourquoi manger ? ça fait désordre. Pourquoi sont-ils obligés de changer de vêtements ? Pourquoi est-ce qu’ils ne portent pas juste une sorte de costume en plastique ? Pourquoi est-ce qu’il faut qu’ils rentrent à la maison ? Pourquoi est-ce qu’ils ne vont pas à l’hôtel? » (p. 186).

A l’inverse, l’humour de Goodnight Nobody est parfois un peu forcé, comme lorsque Kate chante « If you happy and you know it clap your hand » pendant l’hommage rendue à sa voisine assassinée : Kate se ridiculise, cela est censé nous faire nous sentir plus proches d’elle que des canons qui nous sont imposés et qui sont inatteignables. La manière dont Jennifer Weiner s’adresse ici à ses lectrices me fait penser à cette camelot rencontrée par les femmes d’Arlington Park dans le supermarché qui force la complicité avec son public en répétant « vous voyez bien ce que je veux dire » à propos de ses hanches trop fortes, alors qu’elles ne le sont pas réellement.

Si la lecture de Goodbye Nobody m’a été plutôt agréable, je n’ai pas pu m’empêcher de me sentir un peu prise au piège d’une connivence malsaine : l’auteur ne cherche pas à critiquer réellement les faux modèles occidentaux de la « Good mother », mais à dédramatiser le fait de ne pas réussir à les suivre. L’entreprise de démystification, notamment pas l’humour, me semble plus réussie dans Arlington Park, car s’y ajoutent des descriptions de la vie suburbaine contemporaine sidérantes d’ironie, alors même qu’elles sont implacablement factuelles (cf la description du supermarché et celle du parc).

 

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[club] Friedan-Perrot – Soumises, insoumises, du texte à l’écran

best of everythingCe que j’ai apprécié dans le livre de Friedan, c’est qu’elle fait à la fois le portrait de femmes engluées dans la mystique féminine et de femmes ayant cherché à s’en extraire (je pense aux itinéraires de féministes britannique et américaines). Chez Perrot aussi, même si plus discrètement car ce n’est pas l’objet de l’article, la prise de parole féminine lors d’un congrès est mise en lumière comme développant un discours d’émancipation.

J’ai souvent pensé, en lisant le livre de Friedan, au Sourire de Mona Lisa : le contexte universitaire, la difficulté à faire un choix de vie, l’alternative mariage/études… Quant à l’article de M. Perrot, il m’a fait penser à The Best of everything : « Ce n’est pas l’Usine mais le Bureau qui mangera la ménagère… ».