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[bio] Claire Démar

demarClaire Démar (1799-1833) est une saint-simonienne française, figure de proue du courant féministe du saint-simonisme.
Une vie inconnue. De sa vie, on ne sait rien ou pas grand chose. Son ralliement au saint-simonisme est connu, mais rien de son enfance, de son origine sociale, de sa condition au quotidien. Si l’Histoire ne l’a pas oubliée, c’est parce que Claire Démar nous a légué deux textes, Appel d’une femme au peuple sur l’affranchissement des femmes, rédigé de 1831 et 1833, et Ma loi d’avenir, écrit en 1833 et édité de manière posthume en 1834 par Suzanne Voilquin, autre saint-simonienne.
Un engagement utopiste. Ce que l’on sait de Claire Démar, c’est donc son choix de suivre le saint-simonisme, en une période où ce n’était déjà plus son fondateur, le comte de Saint-Simon, mais Prosper Enfantin qui, après des luttes de pouvoir effrenées avec les deux autres successeurs de Saint-Simon, s’est imposé comme chef spirituel de cette nouvelle école de pensée. Ce que le saint-simonisme offre alors, c’est une vision de la société égalitaire et libre, juste et solidaire. Du vivant de Saint-Simon, c’est un projet politique ; après sa mort, en 1825 et l’échec politique des Trois glorieuses de 1830, le courant prend la voie d’une école spirituelle et s’inspire des premières communautés chrétiennes (plus précisément des sectes gnostiques). Claire Démar s’engage auprès du saint-simonisme peu avant la Révolution de Juillet, attirée par ses trois préceptes énumérés ci-dessous et par le discours pro-femme véhiculé par Enfantin :

« Toute institution sociale doit avoir pour but l’amélioration intellectuelle, morale et physique de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre.
Abolition de tous les privilèges de naissance sans exception (y compris l’héritage)
A chacun selon ses capacités, à chaque capacité selon ses oeuvres. »
L’appel d’une femme au peuple sur l’affranchissement des femmes
Contexte de rédaction. Encouragée par la profession de foi du « Père Enfantin », avec lequel Claire Démar correspond beaucoup, selon laquelle une Femme-Messie est appelée à s’asseoir à côté du Père pour fonder la nouvelle société, Claire Démar se lance dans la rédaction de son Appel d’une femme au peuple. Elle suit en cela les dernières paroles de Saint-Simon : « L’homme et la femme, voilà l’individu social » et la conception d’Enfantin d’un amour libre, dans lequel est exclu toute idée de propriété, de possessivité, d’exclusivité et de contrainte.
Réception et féminisme du texte. Mais le texte n’est pas accueilli comme Claire Démar l’imaginait, et Prosper Enfantin est condamné par le Gouvernement à l’issue d’un procès pour « atteintes aux bonnes moeurs ». La morale en cours, contre laquelle se bat Claire Démar et dans laquelle elle voit la racine de l’exploitation des femmes, a le dessus : fragilisée, attaquée, abandonnée par les saint-simoniens, Claire Démar perd foi en son combat. Elle se donne la mort avec son amant, Perret Dessessarts, en 1833. Elle a 34 ans et lègue à la postérité un deuxième texte, Ma loi d’avenir, dans lequel elle expose son projet féministe.
Influences. Lue par Walter Benjamin, lecture dont il rend compte dans le Livre des passages, l’oeuvre de Claire Démar resta longtemps indisponible au public et eut peu de répercussions immédiates. Sans doute est-ce là l’effet de ses thèses extrêmes, qui appellent à l’abolition de la maternité et de la paternité et à une totale liberté amoureuse – liberté qui choqua, à l’époque, les saint-simoniennes elles-mêmes, et provoqua ce désaveu dont Claire Démar ne se releva pas.
Bibliographie
Claire Démar, Appel d’une femme au peuple sur l’affranchissement des femmes, suvi de Ma loi d’avenir et de la correspondance de C. Démar, éd. par Valentin Pelosse, Albin michel, 2001 (épuisé).
Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle : Le livre des passages, Le Cerf, 1989
Astrid Beuder-Mankousky, « Révolte anti-généalogique et reproduction » dansTopographies du souvenir : Le livre des passages de Benjamin, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2007
« Le siècle des saint-simoniens », exposition à la Bibliothèque de l’Arsenal, 28/11/2006 – 25/02/2007
« Les saint-simoniennes » dans M. Albistur & D. Armogathe, Histoire du féminisme français, éditions des femmes, 1977

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[club] Balzac, Les Chouans – La révolutionnaire en Mata-Hari

[photopress:sans_culotte.jpg,thumb,pp_image]De quelle manière une femme peut-elle, selon le Balzac des Chouans, participer à une révolution ? « Les femmes font rarement la guerre, mais vous pourrez, quelque vieux que vous soyez, apprendre à mon école de bons stratagèmes » : voilà ce que déclare Marie à Corentin lorsqu’elle décide de livrer l’homme qu’elle aime mais dont elle veut se venger. Engagée dès le départ par les Républicains pour séduire et livrer Le Gars, Marie rejoint la figure de la combattante cristallisée par Mata-Hari : c’est avec sa beauté et son pouvoir de séduction qu’elle lutte. Le ressort de ce combat est l’ascendant psychologique et affectif obtenu via l’éveil et la frustration du désir de l’autre. La trahison finale n’est pas un moyen mais une fin, et doit être lue comme la victoire finale d’une guerre dont le perdant n’aura même pas compris qu’elle était engagée. La qualité principalement requise est donc la capacité à se dissimuler (d’où : un certain talent pour le mensonge et la comédie), l’assurance, l’aptitude à manipuler (ce qui implique une certaine finesse psychologique) et l’absence d’empathie pour l’autre.  Tout cela dresse un portrait de la femme révolutionnaire en soldat rusé, stratège, et en combattant solitaire (il s’agit d’un duel : un contre un). Si ces qualités ne sont pas physiques et ne s’inscrivent pas dans le déroulement d’un combat « normal », elles n’en restent pas moins des ressources dont toutes les guerres ont usé.

Peut-être serons-nous amenées à retrouver cette figure de la révolutionnaire en Mata-Hari ? …

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[club] Balzac, Les Chouans – Marie et Olympe

[photopress:Fran__ois_Boucher_019.jpg,thumb,pp_image]J’ai cru relever, dans la biographie de Marie de Verneuil, quelques similitudes avec celle d’Olympe de Gouges : toutes les deux sont filles naturelles et s’installent à Paris où elle est initié à l’esprit des salons et/ou des Lumières. Elles sont également dans le parti des Républicains et soumises au joug des protections masculines. Cela ne fait pas de Marie de Verneuil une Olympe de Gouges de fiction mais dessinent le portrait des femmes révolutionnaires : le premier élément en est l’indépendance due à une absence de rattachement à un milieu social ou familial déterminée. Cette indépendance,  s’accompagne d’une liberté d’esprit, renforcée par la fréquentation des salon, qui se trouve contrariée par la nécessité d’être sous la protection financière et morale d’un homme. Les revendications de liberté et l’envie de mettre à bas l’ordre social en place peuvent alors naître. – Cela ne fait pas de Marie une féministe : mais, sous une autre plume que celle de Balzac, le personnage tel qu’il était défini aurait pu le devenir !

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[club] Balzac, Les Chouans – Courage féminin et circonstances

[photopress:marianne_europeenne.jpg,thumb,pp_image] »Ce n’était pas un des moindres phénomènes de l’époque que cette jeune dame noble jetée par de violentes passions dans la lutte des monarchies contre l’esprit du siècle, et poussée par la vivacité de ses sentiments à des actions dont pour ainsi dire elle n’était pas complice ; semblable en cela à tant d’autres qui furent entraînées par une exaltation souvent fertile en grandes choses. Comme elle, beaucoup de femmes jouèrent des rôles ou héroïques ou blâmables dans cette tourmente » (Gallimard, « Folio », p. 79).

Dans ce passage, Balzac décrit Melle de Verneuil comme « poussée » à l’héroïsme comme malgré elle. Ce qui évoque le mot de Hegel : « Rien de grand ne se fait sans passion » – à ceci près qu’ici, Balzac semble réserver cette particularité de l’action héroïque, mue seulement par l’exaltation, aux femmes. Le courage féminin aurait-il, selon lui, cette spécificité de ne pouvoir être réfléchi et d’être ainsi l’antithèse du sang-froid ? L’attitude qu’adoptera Melle de Verneuil à la fin du roman conforte dans cette lecture. Ce qui est raconté ici, c’est la folie d’une âme romantique et amoureuse, non pas un véritable courage guerrier ou révolutionnaire.- Si Melle de Verneuil a croisé assez longuement la route de Danton, c’est là encore, à l’en croire, malgré elle, parce que les choses se sont passées ainsi, sans qu’elle en ait rien voulu.

Ainsi, selon Balzac, les femmes ne pourraient-elles être révolutionnaires que malgré elles ?