Je trouve le personnage de Nelly Dean très intéressant. Elle est un témoin féminin et sain. Mais je le trouve ambigü ?? Pourquoi reste-t-elle au service des Earnshaw, d’Heathcliff qui l’a séquestrée ?? Certes elle est la sœur de lait d’Hindley mais tout de même… Mr Lockwood est poussé à fuir après son récit… Alors comment se fait-il qu’elle reste ??
Autre ambiguité au départ c’est à Heathcliff que va sa préférence, elle n’aime pas le caractère et les manières de Catherine… Pourquoi change-t-elle d’avis ? Illusions du confort à Thrushcross Grange… Et puis elle change facilement de côté un coup avec Catherine, un coup avec Edgar… Quel est donc son parti ??
Le sien sûrement, elle ne veut pas perdre sa place. Mais pourquoi est-ce si important ? Elle pourrait en trouver une autre… Je ne sais pas si Emily Brontë traduit ici une obsession réelle chez les domestiques de ne pas perdre leur place ou bien une peur toute humaine du changement. Nelly ne veut pas aller ailleurs car elle ne connait que cette famille, même maudite. Ou bien cela rajoute du mystère.
Enfin notons que Nelly est quelque peu machiavélique car elle s’ouvre à Mr Lockwood dans l’espoir de le voir épouser Cathy. Elle lui avoue finalement qu’heureusement il ne l’a pas fait car le mariage avec hareton est une meilleure affaire !!
Auteur/autrice : admin
Emily Brontë a construit tout un mystère autour du personnage d’Heathcliff. On ne sait pas d’où il vient, qui était ses parents… On ne sait pas ce qu’il a fait pendant les trois ans où il a disparu… On ne sait pas d’où vient sa fortune… Il est le seul étranger dans la région, la seule part d’inconnu (on connaît tout sur les autres personnages) comme une ombre sur un tableau idyllique. Ce personnage serait inspiré de celui d’Alexander dans La mort de Mary Percy de Branwell (Jeanne Champion dans la Hurlevent P. 109-110)
Je pense que Heathcliff est d’abord une victime. Victime des préjugés sur sa couleur et ses origines, victime de la jalousie de Hindley ou Edgar, victime des conventions sociales (le malheur d’Heathcliff c’est qu’un gars comme lui ne peut pas épouser une demoiselle), victime de Catherine qui est vaniteuse, orgueilleuse. Catherine est coléreuse et capricieuse (voir son comportement avec Nelly p. 72 ou encore p. 68 Nelly décrit sa duplicité chez les Linton elle est polie et discrète à la maison elle redevient sauvage « at home she had small inclination (…) to restrain an unruly nature when il would bring her neither credit nor praise ». Catherine se trompe en affirmant qu’elle ne sera jamais séparée d’Heathcliff même en épousant Edgar (p. 81), c’est de l’orgueil. Elle pense pouvoir jouer avec ses sentiments, gagner sur tous les tableaux. Et finalement en « se suicidant », elle prend la solution de facilité et abandonne encore Heathcliff (P. 241, chap. 29 Heathcliff dit d’ailleurs que c’est hanté par Cathy qu’il a fait tout ce qu’il a fait)…Enfin et surtout Heathcliff est victime d’une société qui ne lui a pas donné d’éducation, qui ne lui a appris ni à aimer ni à réfléchir ses sentiments.
Emily aurait voulu être Heathcliff. Jeanne Champion dans la Hurlevent, p. 110, p. 223 penche vers la thèse selon laquelle Emily aurait voulu être un homme, ne se sent pas une. Cette thèse n’est pas seulement le fruit d’une recherche biographique, mais d’abord d’une analyse littéraire. Elle décrit l’œuvre d’Emily comme hantée par le thème de la solitude et de l’Autre, l’autre que l’on voudrait être et qui nous poursuit. « I am Heathcliff » aurait donc ce sens. J’avoue que je ne sais pas. Charlotte dans ses œuvres de jeunesses se mettait aussi à la place d’un homme, dans The professor son premier roman, elle parle aussi à la place d’un homme. Je pense que c’est parce qu’à l’époque les hommes avaient une plus grande place, qu’ils paraissaient plus intéressant d’avoir leurs activités (même dans un roman) que celles d’une femme.
Je pense qu’il ne faut pas lire si loin la citation « I am Heathcliff ». C’est simplement la marque de l’amour passionnel que Catherine lui porte. « He is more myself than I am » P. 80. « My Love for Heathcliff ressembles the eternal rocks beneath : a source of little visible delight, but necessary. Nelly, I am Heathcliff! He’s alwalys in my mind (…) as my own being”p. 81. C’est la passion qui les tue et les torture tous les deux.
Heathcliff est-il macho?? Ce serait de la caricature!! Heathcliff n’aime ni les hommes, ni les femmes. Et surtout Heathcliff n’a jamais pu s’aimer lui-même.
La manière dont C. Brontë présente le mariage dans Jane Eyre me semble très féministe, mais je me demande, une fois encore, si l’intention de l’auteur n’était pas d’être romanesque et idéaliste plutôt que d’être féministe. En effet, l’idée qu’elle promeut à propos du mariage est qu’il ne peut réussir que si les deux époux s’aiment, et qu’un amour assez sincère et assez grand peut rendre l’union libre moralement acceptable. Le mariage d’argent que fait Edward avec Bertha est voué à l’échec, et c’est peut-être ce que symbolise la folie de Bertha. Le mariage de « devoir » que propose St John à Jane est lui aussi une impasse, car c’est une conception du mariage qui exclut toute affection réelle (St John refuse d’épouser Rosamond parce qu’il l’aime d’un amour sensuel) et qui tient plus du « partenariat professionnel » que du mariage à proprement parler (ce que remarque Jane, qui déclare à St John qu’elle accepterait de le suivre en Inde en tant que sa sœur, son assistante, mais que la proposition qu’il lui fait n’a aucun rapport avec le mariage). Dans les deux cas, le mariage est conçu comme l’association de la vie, des biens et des volontés de deux êtres dans leur intérêt respectif : chacun est envisagé comme le moyen pour la fin qu’est l’autre, alors que la vision du mariage que porte Jane est celui de la réunion de deux êtres pour chacun desquels l’autre soit une fin en soi. Le modèle d’affection qu’elle témoigne à Edward est d’ailleurs celui du dévouement, dévouement qui se garde d’aller jusqu’au sacrifice : si Jane prend Edward comme une fin, elle ne va pas jusqu’à se considérer elle comme un simple moyen pour la fin que serait Edward. C’est cette pureté d’intention qui permet d’envisager une union sans mariage : lorsque Edward propose à Jane Eyre de l’épouser, à la fin du roman, elle répond : «I don’t care about being married ». En cela elle va contre les convenances sociales, mais s’en moque (elle s’en affranchit dès le début, lorsqu’elle oppose sa franchise à l’hypocrisie de bon ton qui est exigée chez les Reed). Et dans cette conception de l’amour comme allant au-delà des convenances, il me semble que C. Brontë est plus idéaliste et romantique que féministe.
Là où il me semble qu’il est davantage question de féminisme, c’est au travers des conversations de Jane et d’Edward, qui s’opposent à celles de St John avec Jane. St John ne se soucie pas vraiment de Jane ; il veut seulement qu’elle rejoigne sa cause et le serve lui à travers cette dernière. En revanche, Edward, malgré ses vingt ans de plus que Jane, sa position sociale élevée, et le fait qu’il soit l’employeur et le « maître » de la jeune gouvernante, la traite en égale (il sollicite son avis, s’inquiète de ses désirs…). Il veut même la traiter à ce point en égale qu’il désire en faire sa femme et la faire voyager en Europe, lui faire partager son train de vie. Mais ç’aurait été créer une égalité de toute pièce, et masquer grossièrement la vraie différence de situation qui oppose Jane et Edward. Ce déséquilibre dans leur relation gêne Jane, qui refuse le voile que lui a acheté Edward pour leur mariage, ne veut pas changer de train de vie etc. Et, finalement, l’épisode de la révélation du mariage d’Edward avec Bertha tombe à point nommé : la fuite de Jane est alors un peu énigmatique. Elle-même ne se l’explique pas vraiment ; elle invoque une force, une nécessité. La seule raison pour fuir est le refus de vivre auprès d’Edward « dans le péché », c’est-à-dire en étant sa compagne sans être son épouse. Mais cette raison contredit le rejet des convenances qui définit le personnage de Jane Eyre, et son refus de la fausse morale, ainsi que sa conception libre et romantique des sentiments amoureux.
A mon sens, la seule raison qui explique pleinement le départ de Jane Eyre, c’est la nécessité, pour réussir à aimer et être aimé de manière vraie et sincère, d’établir une vraie liberté des deux amants à se donner l’un à l’autre. Il faut qu’aucun des deux n’ait plus d’intérêt que l’autre à s’engager, que chacun se livre en toute liberté, sans pouvoir avoir d’arrières-pensées. Jane ne se marie pas pour fuir la solitude et avoir une famille : elle en a retrouvé une. Elle ne se marie pas pour vivre confortablement : elle a hérité et a prouvé qu’elle était capable de subvenir à ses besoins sans cela. Quant à Edward, s’il semblait libre d’aimer Jane, la révélation de son précédent mariage change la donne, parce qu’alors il se révèle prisonnier du tour qu’on lui a joué. Tous deux auront à se libérer de leurs entraves pour pouvoir se rejoindre vraiment, et espérer être heureux ensemble. Le personnage de Bertha symbolise ainsi, peut être, ce qui retient Edward d’être libre, et explique la fuite de Jane qui, en découvrant les entraves dont souffre Edward, comprend mieux celles dont elle a à se libérer elle-même.
Ce qu’il y a de féministe, pour finir, dans cette conception du mariage, c’est que la femme comme l’homme doit être libre de le choix de son époux, c’est-à-dire que ce choix doit suivre celui de son cœur, et pas celui de son ambition, qu’elle soit financière (Miss Ingram) ou existentielle (St John). Mais, là encore, C. Brontë traite de manière égale hommes et femmes : les hommes aussi peuvent se tromper en matière de mariage (voir l’exemple de St John). Il existe différentes façons de ne pas être libre de donner son affection : Edward est prisonnier, lui aussi – de ses erreurs passées. Chacun doit conquérir sa liberté pour espérer pouvoir offrir son affection sans pensée intéressée ; et, pour être aimé en retour et espérer pouvoir être pleinement heureux, il faut que l’autre offre lui aussi son affection librement, sans intention d’asservir l’autre. Ce qui est étonnant du point de vue féministe dans Jane Eyre, c’est que C. Brontë fait du mariage, une fois contracté de manière véritable, un lieu de liberté, celle d’être soi-même face à l’autre ; mais c’est une liberté qu’il faut travailler à conquérir pour espérer faire un vrai mariage. Lieu de liberté, c’est aussi un endroit où l’égalité est de rigueur, car il ne peut y avoir de liberté dans l’engagement si une inégalité financière ou sociale fait en sorte que un seul des deux ait besoin de l’autre. L’égalité entre homme et femme que C. Brontë défend dans Jane Eyre ne serait donc que le moyen, pour elle, de défendre l’idéal d’un amour libre, idéal qui serait plus romantique que féministe à proprement parler.
L’emploi de la première personne est intéressant. Cela donne la parole à une femme. Je pense que cela rajoute au caractère féministe du roman. Ce n’est pas un narrateur asexué omniscient qui raconte une initiation. C’est une femme qui raconte son initiation. Elle en est actrice et juge. Cela rajoute aussi à son indépendance.
Jane est intelligente, courageuse et indépendante (voir autre post). Mais n’a ni la beauté ni le caractère exceptionnel d’Helen Burns. C’est pourquoi sa vie est dure. Elle n’a pas le pouvoir de plaire directement, ni celui de tout supporter. Elle n’est pas une sainte. Je pense qu’elle est extrêmement humaine : elle a des défauts, des doutes, des sentiments. C’est ce qui la rend proche de nous.
ane Eyre est l’histoire de la conquête de l’indépendance d’une femme. Cette conquête consiste en plusieurs étapes. Jane Eyre devient adulte ↔ elle quitte l’école (et déjà avant avec le départ de Miss Temple) car l’école était pour elle une maison et Miss Temple une mère. Elle travaille. Je souhaiterais reparler du travail de gouvernante quand nous verrons Agnes Grey qui traite plus largement de ce thème mais les propos des Ingram au chap. 17 nous montre que c’est un emploi peut enviable. La situation de Jane est exceptionnelle à Thornfield, c’est pourquoi elle devra tout perdre. Chap. 26 : la révélation du mariage de Mr Rochester arrive au milieu du roman. C’est le climax qui ressemble pour Jane à un retour à zéro. Elle se retrouve à nouveau seule et sans chez elle. Elle rencontre alors les Rivers et découvre à la fois une famille et la richesse. C’est alors seulement qu’elle devient indépendante car elle sait d’où elle vient mais surtout car elle devient indépendante financièrement. p. 385 : indepedant → rich. Sinon il faut travailler comme gouvernante ou faire un bon mariage. Jane fait aussi preuve d’indépendance dans sa vie sentimentale. StJohn ne pense qu’à lui en demandant à Jane de l’épouser, mais il prétexte une mission divine. En refusant, Jane montre son indépendance et son respect de l’institution du mariage (elle ne veut pas se marier sans amour). Elle suit ainsi l’exemple de ses parents qui ont fait un mariage d’amour en dépit des oppositions de leurs familles et des soucis financiers. Elle reste aussi fidèle à Mr Rochester. Enfin elle retourne à Thornfield mais cette fois c’est indépendante, adulte qu’elle choisit Mr Rochester. C’est pour cela que l’épreuve infligée au centre du roman était nécessaire. Un véritable roman initiatique ! De plus c’est une revendication féministe que l’on avait déjà chez Austen : les femmes ont droit de choisir leur mari, droit à l’amour véritable, droit au bonheur. Ni les contraintes financières ni les contraintes familiales ne doivent les en priver.
Je pense que c’est un roman résolument féministe dans son propos. Ce n’est pas un hasard si Charlotte Brontë a d’abord publié sous le nom d’un homme : il était à l’époque impensable qu’une femme écrive cela ; Ecrive cela ou écrive comme cela ? C’est à vérifier cela renvoit à notre question : y-a-t-il un style proprement féminin ?
Je pense qu’Aurora Leigh est une oeuvre féministe d’abord parce qu’elle dénonce dès les premiers livres le conformisme, la situation traditionnelle des femmes.
L’auteur porte un regard critique sur les ouvrages pour jeunes filles accomplies. Elle dénonce le conformisme- les femmes devant se conformer à ce que l’on attend d’elles : elle ne vaut pas être un oiseau en cage comme sa tante: « She had lived
A sort of cage-bird life, born in a cage,
Accounting that to leap from perch to perch
Was act and joy enough for any bird.
Dear heaven, how silly are the things that live
In thickets and eat berries!
I, alas,
A wild bird scarcely fledged, was brought to her cage,
And she was there to meet me. »
Elle refuse le rôle dans lequel sa tante veut l’enfermer :
« I read a score of books on womanhood
To prove, if women do not think at all,
They may teach thinking, (to a maiden aunt
Or else the author)-books demonstrating
Their right of comprehending husband’s talk
When not too deep, and even of answering
With pretty ‘may it please you,’ or ‘so it is,’-
She liked a woman to be womanly,
And English women, she thanked God and sighed,
(Some people always sigh in thanking God)
Were models to the universe. »
Elle dénonce la futilité des tâches féminines :
« The works of women are symbolical.
We sew, sew, prick our fingers, dull our sight,
Producing what? A pair of slippers, sir, »
Elle fait un choix individuel, refuse un destin traçé d’avance, refuse les conventions :
« ‘But I am born,’ I said with firmness, ‘I,
To walk another way than his, dear aunt.’
That you, sole offspring of an opulent man,
Are rich and free to choose a way to walk? »
Elle fait preuve d’unevolonté de n’appartenir qu’à elle :
« If I married him,
I would not dare to call my soul my own,
Which so he had bought and paid for: every thought
And every heart-beat down there in the bill,-
Not one found honestly deductible
From any use that pleased him! »
J’ai trouvé une page web qui décrivait cet aspect de l’oeuvre, en décrivant comment la tante était l’opposé d’Aurora : http://www.geocities.com/CollegePark/Hall/1170/barrett.html
Mais je pense que ce qui fait le féminisme d’Aurora c’est qu’il ne se contente pas de cet aspect de la libération de la femme. Il nous dit aussi comme tu l’a remarqué dans ton premier post que la femme doit conquérir sa liberté dans sa vie amoureuse. Il ne suffit pas de reuser l’amour au nom de l’indépendance…
J’ai eu des difficultés à rester intéressée par l’intrigue ; je reconnais qu’il y a beaucoup de beaux moments dans l’ouvrage, qui valent la peine d’aller au bout, mais le style et la forme sont tout de même très contestables, car pompeux. Il me semble qu’ils desservent plutôt le propos qu’ils ne le servent, et qu’Aurora Leigh aurait été beaucoup plus intéressant sans la prouesse technique qui réside à tout écrire en vers… Beaucoup de métaphores classiques et un peu trop guindées auraient peut-être disparues, et ça n’aurait pas été plus mal…
Il me semble que les portraits de femmes dressés dans Aurora Leigh sont assez stéréotypés : il y a la femme victime (Marian Erle), innocente et pure, et justement malmenée par le monde à cause de sa naïveté ; la femme machiavélique, égoïste, vaniteuse et narcissique (Lady Waldemar) qui conçoit l’amour comme une bataille, une prise de possession et l’autre comme un faire-valoir ou un instrument ; enfin, il y a la femme froide, frustrée, bigote et incapable d’aimer (la tante d’Aurora). Les seuls portraits de femme originaux sont ceux d’Aurora et de sa mère (portrait suggéré plus que dessiné) : ce sont des femmes libres, fortes, qui prennent leur vie en main et n’ont pas peur du danger. Mais leur destinée n’en sont pas heureuses pour autant, au contraire. La liberté est difficile à conquérir, et celles qui ont le tempérament pour la revendiquer apparaissent comme une sorte d’élite, de privilégiée : en dehors de ce cercle clos, la femme est toujours réduite à un rôle restreint au sein de la société.
Le féministe d’EBB serait-il donc élitiste ?
Au livre 2, Aurora s’oppose à Romney concernant l’aptitude des femmes à créer. Selon lui, les femmes sont inaptes à comprendre le monde et donc à l’influencer ; Aurora refuse une telle vision des choses. Pour elle, une femme comme un homme est en mesure d’épouser une carrière artistique (littéraire en l’occurrence). Aurora se présente comme une femme éprise de liberté et d’indépendance pour ce qui est de sa carrière – comme l’était sa mère, italienne, à l’égard de la passion amoureuse. La phrase qui la résume sans doute mieux à ce stade du livre est celle-ci : « I choose to walk at all risks ». C’est une jeune femme volontariste, décidée, sûre d’elle et que rien n’effraie. Elle sait ce qu’elle veut et n’admet aucune concession à son idéal.
Aussi, lorsque Romney la demande en mariage à la suite de cette discussion houleuse, Aurora ne reçoit pas cette proposition comme une preuve d’affection mais comme la marque d’un mépris de son cousin à son égard, comme s’il lui demandait de renoncer à ses rêves irréalistes pour accepter la réalité du rôle sociale de la femme, réduit à la fonction d’épouse et de mère : « Women as you are, mere women, personal and passionate, you give us doating mothers, and chaste wives, sublime Madonnas and enduring saints ». Aurora ne peut que refuser une telle « offre ». Elle refuse également de devoir épouser Romney pour pouvoir toucher l’héritage de sa tante : elle choisit l’indépendance financière et de suivre ses idéaux, même si le prix est à payer est la précarité et la solitude.
Pourtant, au livre 7, la position d’Aurora a quelque peu changé, puisqu’elle se plaint justement de son isolement amoureux, et insiste sur le fait que se sentir esseulée est propre aux femmes : « O God ! Thou hast knowledge, only thou, how dreary ‘tis for women to sit still on winter nights by solitary fires, and hear the nations praising them far off, too far ! ay, praising our quick sense of love, our very heart of passionate womanhood, which could not beat so in the verse without being present also in the unkissed lips, and eyes undried because there’s none to ask the reason the grew moist”. Le coeur des femmes serait donc bien fait, comme le pensait Romney, pour aimer, et la création artistique, qui exige un sacrifice total de soi-même, et se tourne en une sorte de sacerdoce, serait donc difficile aux femmes précisément parce que celles-ci auraient besoin d’aimer et d’être aimée.
Mais les hommes sont-ils exempts des tourments de la solitude ? Leur est-il vraiment plus facile de tout sacrifier à l’art ? Selon le discours de Romney, on pourrait penser que les hommes sont plus aptes à l’indépendance que les femmes ; et c’est ce à quoi Aurora croit que son cousin adhère, puisqu’en apprenant son projet de mariage, elle ironise : « ‘Tis clear my cousin Romney wants a wife, – So, good ! – The man’s need of the woman, here, is greater than the woman’s of the man, and easier served ; for where the man discerns a sex, (ah, ah, the man can generalise, said he) we see but one, ideally and really : where we yearn to lose ourselves and melt like white pearls in another’s wine, he seeks a double himself by what he loves, and make his drink more costly by our pearls. At board, at bed, at work, and holiday, it is not good for man to be alone”. Le besoin qu’aurait l’homme d’une femme serait, en réalité, moins noble que le besoin qu’aurait la femme d’un homme, puisque la femme chercherait à servir et l’homme à dominer.
Reste que, quelques pages plus tard (p. 162, éd. Penguin), Aurora refuse une demande en mariage en arguant qu’elle ne peut pas aimer : « Love, you say ? My lord, I cannot love. I only find the rhymes for love, – and that’s not love, my lord. Take back your letter.” Aurora est-elle artiste parce qu’elle ne peut pas aimer, parce que renoncer à l’amour l’arrange? On retrouve le même type d’opposition entre art et vie qu’entre art et amour : créer n’est pas vivre, et si certains sont aptes à renoncer à vivre vraiment, à être réellement heureux, pour créer, peut-être est-ce parce que, dès le départ, ils ne parvenaient pas à vivre ni à aimer. C’est en tout cas une question qu’on peut se poser à partir de la lecture d’Aurora Leigh.
Autre point problématique : après avoir concédé qu’il est difficile à une femme de ne pas remplir son rôle auprès d’un homme (à savoir : le sauver, selon le texte lui-même), Aurora en vient même à déprécier son œuvre et à estimer que l’amour donné a plus de valeur que l’œuvre qu’on écrit, œuvre nécessairement imparfaite. L’amour serait une plus belle création que n’importe quelle création artistique : « Now, if I had been a woman, such as God made women, to save men by love – by just my love I might have saved this man, and made a nobler poem for the world than all I have failed in. (…) ‘tis our woman’s trade to suffer torment for another’s ease. The world’s male chivalry has perished out, but women are knights-errant to the last; and, if Cervantes had been greater still, he had made his Don a Donna.” La grandeur féminine serait dans le dévouement amoureux. – Contrairement aux apparences, EBB est-elle anti-féministe?
Un passage du livre 7 donne peut-être une clé à ce problème, puisque hommes et femmes y sont mis sur le même plan quant à la création artistique : « The end of woman (or of man, I think) is not a book. » Hommes et femmes sont appelés à changer le monde, les hommes par l’action directe, les femmes dans une sphère plus restreinte. Mais qu’en est-il alors de la place de l’art dans la vie et la société ? C’est Romney qui répond à cette question lorsqu’il retrouve Aurora, au livre 8, et avoue avoir lu et aimé son livre : « the book is in my heart, lives in me, wakes in me, and dreams in me ( …) this special book (…) stands above my knowledge, draws me up ; ‘tis high to me. » L’art a bien une valeur, et une femme peut bien être une artiste. Mais comment, dès lors, peut-elle renoncer à sa “fonction”?
C’est qu’en réalité elle n’a pas à y renoncer. L’ouvrage finit sur les retrouvailles de Romney et d’Aurora, couple partageant un vrai souci de l’action sociale et de l’art. La leçon d’Aurora Leigh, c’est peut-être la fin du mythe de l’artiste qui se sacrifie à son art, du créateur solitaire et vivant en ascète. Dès lors, l’art rentrant dans la sphère de la vie, des réalités sociales, quotidiennes et contemporaines, il peut s’accommoder avec une vie amoureuse et une vie familiale. Bannir l’amour de sa vie, c’est ne pas savoir vivre et ne pas pouvoir bien créer : « Passioned to exalt the artist’s instinct in me at the cost of putting down the woman’s – I forgot no perfect artist is developped here from any imperfect woman. (…) Art is much, but love is more.”
Il n’en reste pas moins qu’Aurora ne se contente pas d’accepter le rôle que la société victorienne impose à la femme : elle le dépasse en prenant les rênes de sa vie amoureuse. Elle fait en effet une déclaration en bonne et due forme à Romney, et utilise des mots qu’on s’attendrait plutôt à trouver dans une bouche masculine : « I mistook my own heart, – and that slip was fatal. Romney, – will you leave me here ? So wrong, so proud, so weak, so unconsoled, so mere a woman ! – and I love you so – I love you, Romney.”
La liberté de la femme est donc aussi à conquérir dans le domaine amoureux : telle me semble être la principale leçon d’Aurora Leigh.