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[club] E. Dorlin – L’instrumentalisation du débat féministe

Comme l’indique Elsa Dorlin, les démonstrations menées par les philosophes féministes du 17e s pour démonter la thèse de l’inégalité sexuelle et faire éclater, par la logique, l’évidence de l’égalité des sexes, se heurte à un problème de taille. En effet, si la démonstration est logique et rationnelle, elle ne peut pas convaincre ceux qui ont intérêt à celle qu’elle reste méconnue.

Ainsi, Elsa Dorlin indique que « l’inégalité sexuelle » a été utilisée comme un « instrument d’organisation sociale » (p. 88) : les hommes sont juges et partis dans la Querelle des femmes car ils sont les « maîtres » des femmes (le terme est de Gabrielle Suchon, p. 93). Ils n’ont pas intérêt à reconnaître les femmes comme leurs égales ; ce serait, pour eux, perdre de leur pouvoir. Elsa Dorlin ajoute : « Se donnant pour fin la domination, la rationalité renonce à établir ou, du moins, à rechercher la vérité au profit du vraisemblable » (p. 95).

Ce qui compte, ce n’est donc pas ce qui est vrai, mais ce qu’il nous arrange de prendre pour vrai. La raison, ce serait, ici, la logique au service de l’intérêt.

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[club] E. Dorlin – Logique de l’éducation féminine au 17e s

Elsa Dorlin pointe un des problèmes de l’éducation féminine au XVIIe siècle (pour les classes favorisées, bien sûr ; les autres n’avaient pas accès à l’éducation) : l’éducation féminine a alors pour but d' »empêcher l’autonomie » de la femme (p. 53). Il ne s’agit pas de lui faire développer ses capacités mais d’en entraver le développement, pour en faire une « éternelle mineure ». Par là, la « culture » créé de toute pièce l’état féminin que la misogynie proclame comme naturelle, et qui n’est que fabriquée.

Je  relève le même genre de processus lorsqu’Elsa Dorlin évoque le silence qui a accompagné les oeuvres des 4 philosophes qu’elle étudie, Gabrielle Suchon, Marie de Gournay, François Poullain de la Barre et Ana Maria Van Schurman (p. 146-148) : en ne donnant pas de publicité à ses ouvrages, en faisant comme s’ils n’existaient pas, les philosophes et savants du 17e ont, en quelque sorte, réduit ces ouvrages à néant. Là encore, les misogynes parviennent à nier une réalité et à imposer la seule qu’ils tolèrent : il n’y a pas de philosophie féministe parce qu’il ne doit pas y en avoir.

Dans le premier cas, nous sommes en présence d’une mutilation de l’identité d’individus ; dans le second, d’une falsification de l’histoire. Et, comme on le voit grâce à cet ouvrage, les procédés qui arrivent à ces résultats ne sont pas directs, frontaux, mais pervers et insidieux, presque invisibles – et, pour cette raison, d’autant plus violents.

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[club] E. Dorlin – Intertextualité.

Je trouve que Little women et ses suites illustrent bien les propos d’Elsa Dorlin sur l’impasse du discours des précieuses. Les filles du docteur March ont des vertus tout à fait exemplaires, mais ces vertus sont présentées comme féminines du coup elles se trouvent condamnées à occuper une certaine place dans la société. Certes elles ont droit au respect, mais elles vivent dans un univers divisé entre le monde des hommes et le monde des femmes.

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[club] E. Dorlin – Censure et scandale

Je pense que cet ouvrage met en évidence l’existence d’une forte censure à l’égard des idées féministes, et en particulier celles visant à donner aux femmes plus de pouvoir. Le féminisme logique est « oublié » ; les précieuses sont ridiculisées ; Marie de Gournay et Gabrielle Suchon doivent recourir à des stratégies comme s’appuyer sur Aristote pour ne pas être censurée. On ne retient des idées féministes que celles qui ne sont pas dangereuses pour la suprématie masculine, ou celles qui au contraire la conforte.  Je pense que cette censure est toujours d’actualité. Ainsi le travail des femmes n’est plus interdit, il est même parfois encouragé mais seulement dans certains secteurs ou en sous-qualifiés. Ainsi le plafond de verre est une réalité par exemple. Ou la double journée. Autre chose des idées, des femmes continuent d’être ignorées, oubliées (Olympe de Gouges aussi a fait l’objet d’indifférence ou a été ridiculisée….).

Pourquoi ? La première réponse qui me vient à l’esprit est : l’égalité des sexes est une idée scandaleuse, que les femmes puissent avoir  le pouvoir est scandaleux…

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[club] Pierre Bourdieu – La domination masculine : Définition négative de la féminité

[photopress:bourdieu_1_2.jpg,thumb,pp_image]A plusieurs reprises, P. Bourdieu définit la féminité en référence à la « masculinité » ou « virilité » et en la posant comme son négatif : la féminité est ce qui flatte l’ego masculin, complaît les attentes masculines (voir ce « bar japonais » où les hommes viennent chercher…des flatteries, p. 85) mais c’est aussi, selon lui, un évitement. Ainsi être une femme, c’est éviter tout signe de virilité (p. 136) : être une femme, c’est ne pas être un homme. Il ne s’agit pas tant de définir la femme par l’homme et l’homme par la femme, comme deux termes relatifs, mais bien de définir la femme comme quelque chose d’exclusivement négatif : si être un homme, c’est ne pas être une femme (au risque, sinon d’être pointé du doigt et ridiculisé par les camarades hommes), la virilité rencontre également une définition en soi. En revanche, être une femme, c’est ne pas être un homme, et plaire aux hommes – voilà toute la définition qu’en donne Bourdieu. Que fait-il de la capacité de procréer, qui définit principalement la femme dans sa différence sexuelle?

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[club] Pierre Bourdieu – La domination masculine : Bourdieu et les féministes

[photopress:panneau.jpg,thumb,pp_image]J’ai noté en passant un leitmotiv bourdieusien qui fait écho au Deuxième sexe de Beauvoir : être femme, c’est être perçue (p. 94 par ex.). La femme est donc définie en tant qu’objet (de regard) et non comme sujet (regardant) : on rejoint là l’analyse de Beauvoir. Mais, quand Beauvoir prônait la nécessité, pour les femmes, de se faire devenir sujets, Bourdieu en reste au simple constat : pour lui, cela relève de structures solidement ancrées et de pouvoirs symboliques, vouées à se reproduire. C’est, à mon sens, une vision trop figée, trop peu militante des choses – c’est faire de l’être un devoir-être et faire preuve d’un certain « fatalisme », ou d’un certain « désengagement » face à un état des choses dont l’auteur décrit précisément toute l’injustice et l’arbitraire.

Même chose lorsque Bourdieu critique les Gender Studies (p. 141) : pour lui, l’ordre des choses est trop enraciné pour pouvoir être changé, et les Gender Studies se leurreraient en attribuant la différence sexuelle à une simple opération de langage. Il est vrai que les comportements, les habitudes prennent leur source dans des structures de pensées qu’elles confortent en retour ; mais est-ce à dire que ces structures de pensées ne puissent pas être changées? Une telle modification implique des bouleversements dans les actes, évidemment : mais la parole est un acte, et cesser de respecter la règle du « masculin l’emporte » en grammaire n’est pas un acte anodin, mais un acte militant. Si le langage n’est pas le seul ciment de la différence des genres, il peut être un instrument qui la nuance voire l’abolit. La pensée n’est pas tout : si on peut agir sur elle en la renforçant, on peut aussi la défaire.

Voilà ce que l’auteur dit de cette soumission à l’ordre des choses : « j’ai toujours vu dans la domination masculine, et dans la manière dont elle est imposée et subie, l’exemple par excellence de cette soumission paradoxale, effet de ce que j’appelle la violence symbolique, violence douce, insensible, invisible pour ses victimes mêmes « . Bourdieu dit s’étonner de cette soumission – ignore-t-il tout des luttes féministes de ces dernières décennies ? Peut-on considérer qu’il s’agit de soumission? L’ignorer, c’est faire preuve d’un certain mépris des faits que Bourdieu semble vouloir, préciser, conjurer.

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[club] Pierre Bourdieu – La domination masculine : Actualité du propos

[photopress:femmes1ereguerremondiale.jpg,thumb,pp_image]J’ai parfois été étonnée de relever des « descriptions de faits » me paraissant refléter une société d’après-guerre… Or cet ouvrage a été publié pour la première fois en 1998 !! Je citerai notamment le passage concernant le choix d’orientation professionnelle des jeunes lycéennes (p. 130), où les choix sont biaisés par le discours encourageant ou décourageant des professeurs et des parents. Cette situation existe sans doute encore : mais n’a-t-on pas, malgré tout, progressé sur ce terrain depuis les années 50 ?

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[club] C. Gilligan, In a different voice – L’éthique du « care »

[photopress:In_a_different_voice.jpg,thumb,pp_image]En préambule, je relève la définition de l’éthique du « care » donnée par C. Gilligan : This relationnal ethic transcends the age-old opposition between selfishness and selflessness, which have been the staples of moral discourse. (…) Relationship requires a kind of courage and emotional stamina which has long been a strength of women, insufficiently noted and valued (p. XIX).

L’ouvrage de Carol Gilligan exhibe, à travers une série d’entretiens psychologiques, de quelles différentes manières hommes et femmes abordent et traitent les mêmes problèmes moraux. Elle met en avant la préoccupation féminine de « ne pas heurter » autrui, de ne pas faire de mal, quand les hommes auraient tendance à envisager les conflits moraux de manière plus rationnelle, plus logique, plus abstraite (je pense ici aux réponses des deux enfants au dilemme de Heinz : un homme dont la femme va mourir si elle ne reçoit pas un médicament pour lequel ils n’ont pas assez d’argent doit-il voler ce médicament au pharmacien?). L’éthique du care « rests on the premise of non violence – that no one should be hurt ». C’est de la compréhension de cette éthique particulière, de cette voix différente, propre aux femmes, que pourrait émerger une psychologie plus adaptée car plus attentive aux singularités de chaque genre. C’est aussi de cette compréhension que dépendrait une meilleure entente entre les sexes.

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[club] C. Gilligan, In a different voice – Attachement et séparation

[photopress:balance.jpg,thumb,pp_image]Selon C. Gilligan, l’esprit masculin raisonnerait selon une éthique de la justice, l’esprit féminin selon une éthique du soin ; l’homme aurait comme point de départ la séparation (de soi vis-à-vis de l’autre, du groupe) et aurait un effort à faire pour accepter de s’attacher à autrui ; pour la femme, ce serait l’inverse : la relation d’attachement serait prévalente, la séparation étant vécue comme une menace ou une épreuve, en tout cas comme une anomalie.

On peut ici faire un lien avec ce que décrivait Beauvoir : être une femme, c’est apprendre à être un objet ; dès lors, on ne se définit plus que par rapport à l’autre, et se définir par soi devient quelque chose d’inquiétant, qui ne va pas de soi. Il s’agit, au fond, d’éducation à la dépendance ou à l’indépendance, d’incitation à occuper la place de l’esclave ou du maître. Que la notion d’attachement  puisse être liée à cette attitude de soumission, de dépendance est, me semble-t-il, assez intéressant: elle montre que la « servitude volontaire » n’est pas le fait d’une lâcheté ou d’une faiblesse mais d’une vision des choses instillée dès le plus jeune âge, et que c’est par une prise de conscience progressive qu’un autre type de relations est possible que l’émancipation peut avoir lieu.

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[club] C. Gilligan, In a different voice – Egoïsme et gestion du conflit

[photopress:doisneau_cavanna__les_doigts_pleins_dencre__02_250_01.jpg,thumb,pp_image]A propos des jeux des enfants, C. Gilligan se fait l’écho d’une étude qui montre que les jeux des garçons durent plus longtemps que ceux des filles parce que, lorsqu’un conflit éclate, ceux-ci l’affrontent et le résolvent, quand les filles le fuient et l’associent à la nécessité d’arrêter le jeu. Il s’agirait, dans le cas des filles, d’éviter de mettre en danger la relation qui lie les joueuses en évitant tout conflit – comme si le conflit signait nécessairement la fin de la relation. Cette différence se ressentirait également en ce que les filles auraient tendance à éviter les situations de concurrence, étant males à l’aise avec l’esprit de compétition.

Tel n’est pas, bien entendu, le cas de toutes les filles ni celui de tous les garçons. Mais le rapport entretenu vis-à-vis de la capacité à  affronter l’adversité, à s’y mesurer, à estimer avoir des chances de l’emporter, me semble une clé dans la compréhension de « l’asservissement des femmes ». En étant encouragées à développer une morale de l’effacement, de la soumission, de l’évitement du conflit, du pacifisme et du refus de la concurrence, les femmes ont été mises en position de ne pas pouvoir se révolter ni se libérer. En posant cet « angélisme » comme une vertu morale, la logique de la domination masculine valorise la soumission et se donne les moyens de se perpétuer. – Cela semble évident, et pourtant cela a des répercussions dans bien d’autres domaines que celui des rapports entre les sexes : nombreuses sont les situations où, pour défendre ses intérêts, une femme, comme un homme, a besoin d’affronter et de vaincre l’adversité. Or, si les femmes acceptent de le faire « pour » autrui, elles rechignent à l’assumer pour elle-même, comme si elles étaient, dès lors, égoïstes (le refus de l’égoïsme par les femmes est pointé du doigt par C. Gilligan).

On comprend mieux, dès lors, pourquoi il subsiste encore aujourd’hui une telle disparité de salaires entre hommes et femmes : à qualification et poste égal, les femmes osent moins négocier leur salaire que les hommes, parce qu’elles ont été habituées à ne pas (trop) défendre leur intérêt.