Héloïse est passé à la postérité pour avoir écrit, notamment, qu’elle préférait être la « putain » d’Abélard que sa femme… parce qu’ainsi elle était sûre de conserver son amour. Position facile à comprendre à l’époque, ce XIIe siècle où éclôt l’amour courtois qui indique que la « fin’amor » ne peut être trouvé qu’en dehors des liens du mariage, en marge de la société ; plus difficile peut-être à comprendre aujourd’hui, où le mariage est conçu comme l’aboutissement du lien amoureux. Au XIIe siècle, le mariage est avant tout une institution sociale qui engage deux familles ; la notion de « consentement mutuel » comme nécessaire à ce qu’un mariage soit contracté n’est pas encore apparue.
Abélard est lui aussi contre le mariage, mais pour d’autres raisons : parce que cela compromet sa positon de clerc, d’abord ; en effet, la réforme grégorienne imposant le célibat aux clercs s’établissait de plus en plus, et pour gravir les échelons du monde universitaire et ecclésiastique, mieux valait être dans les bonnes grâces des autorités compétentes… Abélard est contre le mariage parce que cela contrevient à une vie de philosophe, dédié à l’enseignement et à l’étude, ensuite. Pour lui, le modèle de l’intellectuel, c’est l’ermite, comme Saint Jérôme, qu’il cite beaucoup et a beaucoup lu. Mais développe-t-il cette position après sa castration et son obligation de rentrer dans les ordres, ou bien l’a-t-il toujours tenue ? Difficile de faire la part des choses.
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[club] Héloïse – Un témoignage
Sans rentrer dans la polémique de l’authenticité des lettres, il me semble que l’histoire d’Héloïse (séduite, engrossée, mariée, mise au couvent) témoigne de la condition féminine. Les femmes n’avaient pas de choix. Héloïse n’a pas d’autre choix que de fuir, puis d’épouser Abélard et enfin d’entrer dans les autres. Même si elle ne veut pas épouser Abélard, même si elle ne veut pas abandonner son enfant, elle est contrainte de le faire. L’histoire d’Abélard et Héloïse met en évidence la foule de contraintes qui s’imposent aux gens : Héloïse enceinte doit être mariée, mais Abélard ne peut pas l’être…. Même en étant marié, ils ne peuvent pas se voir…C’est ce qui rend leur histoire si tragique, l’absence de choix.
Image : Héloïse et Abélard représentés sur un chapiteau de la Conciergerie, sur l’Ile de la Cité
George Duby met en cause l’authenticité des Lettres de deux manières :
Premièrement c’est une œuvre construite. A cette époque la correspondance n’était pas un exercice spontané et informel, les épistoliers avaient un projet. Ce ne sont pas des confidences, comme on a parfois voulu le faire croire. Ensuite, et c’est à mon avis le plus intéressant, il doute qu’Héloïse soit l’auteure des lettres qui lui soient attribuées. Héloise, comme d’autres figures féminine du Moyen-Age, lui semble instrument de l’Eglise et des hommes pour vanter le mariage et le célibat, les moyens de maîtriser les femmes, dangereuses créatures qui vivent le désir (p 125 dans l’édition Folio de Dames du XIIème). En effet, les lettres présentent la femme comme timide et indocile et font l’éloge du mariage, même si au départ Héloïse semble se rebeller. Dans la littérature postérieure, c’est cet aspect qui a été retenu. Héloïse est la « championne du libre-amour » (p.86) qui refuse le mariage, la rebelle. « La précoce héroïne d’une libération de la femme ».
Ce roman publié en décembre 2011 est un « sequel », une suite de Pride and Prejudice. Tous les fans d’Austen doivent le lire. En effet, cet ouvrage me semble être avant tout le roman d’une fan à destination de d’autres fans. Death comes to Pemberley vaut d’abord pour le plaisir de retrouver Elizabeth, Darcy, Jane, Lydia et tous les autres! L’intrigue policière, avouons-le, n’est pas la meilleure de P.D James, mais le roman n’en est pas moins savoureux en raison des clins d’oeil. A Pride and Prejudice, mais aussi à deux autres romans d’Austen Persuasion et Emma. Le roman ne manque pas non plus d’interroger le genre du policier. Ainsi un magistrat demande à un médecin “ your clever scientific colleagues have not yet found a way of distinguishing one man’s blood from another?”. P.D James a une lecture féministe d’Austen et elle prête à ses personnages des propos sur la majorité et la liberté de choix qu’Austen sûrement, à son époque, n’aurait pas osé. Cependant, il faut remarquer que les personnages les plus réussis sont Darcy et Wickham, qu’Austen avaient moins développés que les personnages féminins.
Régine Pernoud nous apprend que l’image de l’homme pris dans un cercle, connue sous la forme que lui a donné Léonard de Vinci au 15e siècle, apparaît pour la première fois en miniature dans un manuscrit contenant les visions d’Hildegarde. « Autant Léoonard de Vinci a été étudié, exploré, prôné et répandu aux temps classiques et modernes, autant l’oeuvre d’Hildegarde et son époque en général ont été oubliées et méconnues » (p. 88).
L’auteur répare cet oubli et cette méconnaissance en indiquant le nom d’une autre femme ayant innové au XIIe siècle : Herrade de Landsberg, qui composa la première encyclopédie de l’histoire de la littérature, le Jardin des délices : « C’est de cet ouvrage que les historiens des techniques médiévales ont tiré la plus grande partie de leur savoir ».
Quant à Hildegarde, sa Physica a inspiré de nombreuses techniques de soin, du Moyen Age à nos jours.
Je tenais à reproduire un passage de la quatrième vision d’Hildegarde, qui me semble particulièrement intéressante pour notre bookclub ; elle concerne la création du monde et d’Adam et Eve :
» Homme et femme se joignent (…) pour accomplir mutuellement leur oeuvre, car l’homme sans la femme ne serait pas reconnu comme tel, et réciproquement. La femme est l’oeuvre de l’homme, l’homme l’instrument de la consolation féminine, et les deux ne peuvent vivre séparés. »
Hildegarde de Bingen avait un confesseur, un secrétaire (Volmar) et dirigeait, en tant qu’abbesse, des religieuses. Mais elle fut également consultée par des hommes, et pas des moindres, en tant que personne inspirée par Dieu. Ces hommes étaient des papes, des évêques, des dirigeants politiques, des seigneurs, des abbés.
Régine Pernoud nous indique ainsi l’existence d’une correspondance entre Hildegarde et l’Empereur Conrad III, puis son successeur Frédéric Barberousse, qui invite Hildegarde à venir le voir dans son palais. « La réponse d’Hildegarde ne la montre pas autrement intimidée par son correspondant. » précise l’auteur (p. 72), même si elle se désigne elle-même comme « la petite plume que le vent soutient » et qu’elle s’étonne que « toi qui es roi, tu tiennes cette personne (càd elle-même) comme nécessaire ».
Hildegarde a aussi correspondu avec le comte de Flandre et avec Bernard de Clairvaux. Elle écrit, dans une de ses lettres à ce dernier, qu’elle est « timide et sans audace », et aussi : « Simplement je sais lire dans la simplicité, non dans la précision du texte, car je suis ignorante, n’ayant eu aucune instruction de façon extérieure, mais c’est à l’intérieur, dans mon âme, que je suis instruite. »
Quant aux papes, ce sont Anastase IV puis Adrien IV et Alexandre III qui sollicitèrent une recommandation de sa part et lui adressent des éloges. Dans les deux cas, elle répond avec parfois des accents prophétiques, mettant en garde Adrien IV contre des dangers à venir. Ces papes cherchaient toutes auprès de l’abbesse une recommandation divine et reconnaissaient en elle la sainte qu’elle n’est devenue qu’il y a quelques semaines.
Je trouve très intéressant de remarquer que Hildegarde accorde de l’importance au corps, et s’oppose au dualisme, en particulier contre les cathares. Elle n’a pas de sujet tabou : elle parle de stérilité masculine, de règles.
Elle casse donc complètement le mythe d’un Moyen-Age obscur.
Elle casse également l’image de la contemplative, pur esprit. Elle est la preuve que l’on peut être intellectuelle et tenir compte du corps.
Hildegarde a forgé le concept de Viridité ou puissance de vie, et je pense qu’elle a compris que la vie chez l’être humain passe par un équilibre corps/esprit. Je pense en effet qu’on ne peut pas s’intéresser à la vie, sans intéresser au corps, et à tout ce qu’il comprend. L’œuvre d’Hildegarde illustre bien cela.
Hildegarde vient d’être canonisée et sera nommée docteure de l’Eglise en octobre 2012. On peut y voir une reconnaissance, une preuve que les femmes ont une place dans l’Eglise. Cependant, je ne pense pas qu’il faille se montrer trop enthousiasme. Je pense tout d’abord qu’Hildegarde appartenant à un passé lointain, il est facile d’en faire un peu ce qu’on veut. De plus, lorsque je lis que Benoit XVI souligne qu’Hildegarde s’en prend à ceux qui veulent modifier les structures de l’Eglise, je repense à la façon dont Georges Duby explique l’apparition du culte de Marie et de nombreuses saintes au Moyen-âge. » Prendre pour porte- parole de l’idéologie ecclésiastique des figures féminines présentait un double avantage. C’était rallier cette moitié du peuple fidèle dont l’Eglise ne s’était pas souciée et dont on mesurait mieux maintenant le poids ». C’était surtout mettre en scène des personnages naturellement passifs sur quoi pouvaient être imprimés fortement les principes d’une soumission que l’on attendait de tous les laïcs » (p. 72 Mâle Moyen-Age)
Hildegarde comme Thérèse nous amène à nous interroger sur la création littéraire.
Hildegarde semble refuser la maternité de son œuvre. Tout se passe comme si elle n’était l’auteure de rien. Tout vient de la « lumière sereine », elle n’est qu’un « misérable vase d’argile » (p.84). Elle n’est que la bouche et la main de Dieu. On retrouve la même modestie que chez Thérèse d’Avila.
Certaines féministes aujourd’hui y voient une stratégie pour obtenir de l’autorité. En tant qu’elle-même, elle n’aurait pas été écoutée. Cela me rappelle ces auteures de la Renaissance qui appelaient l’autorité de Platon, de Montaigne
Je pense qu’il faut nuancer l’argument de la stratégie, car Hildegarde est croyante. Elle croit donc sincèrement écrire ce que Dieu veut, tout comme Thérèse. Il y a une place, je crois, pour une réflexion sur l’inspiration. Hildegarde est inspirée par sa foi.
Il y a cependant une œuvre plus discrète où elle est auteure : elle ne fait pas qu’y retransmettre ses visions. Ses traités de médecine sont également plus personnels…