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[club] Christine de Pizan – Sur le viol

Les femmes n’aiment pas être violées (2ème partie, XLIV) comme l’illustre le cas de Lucrèce.

Christine aborde ici un sujet tout à fait d’actualité (Cf. dernièrement les propos d’hommes politiques américains et espagnols. Jose Manuel Castelao Bragaña ; Todd Akin etc. ).

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[club] Christine de Pizan – Féministe ?

Le féminisme de Christine de Pizan fait débat, et ceci pour deux raisons.

D’abord, si on s’arrête au programme de la Cité des Dames, il semble qu’on puisse qualifier son auteur de féministe. Elle défend les femmes contre le discours misogyne en réfutant les arguments selon lesquels les femmes seraient inférieures aux hommes en terme d’intelligence, de courage, de force. En cela, elle cherche à défendre l’idée d’une égalité homme-femme.

Pourtant, elle use souvent du leitmotiv de la faiblesse féminine au moment de commenter sa propre entreprise d’écriture : « comment trouverais-je en ce faible corps de femme la force d’entreprendre une si haute tâche? » (p. 47). Pour résoudre ce problème, elle adopte la posture de la servante : « Commandez, j’obéirai » (ibid). Cela signifie-t-il que Christine se dévalorise en tant que femme ?

En fait, ce leitmotiv correspond à une rhétorique bien identifiée au Moyen Âge, celle de l’humilité de l’écrivain. A cette époque, celui qui rédige ne se dit pas auteur car il ne peut prétendre faire autorité. Les autorités, ce sont les Anciens et le texte sacré. Dès lors, écrire, c’est se placer dans une posture dangereuse, orgueilleuse, qu’il est nécessaire d’adoucir par une attitude humble. On se réclame donc d’autorités reconnues (ici, Boccace) ou on se dit seulement traducteur d’une autre oeuvre, ou inspiré par plus grand que soi (ici, les 3 vertus). Christine de Pizan s’inscrirait dans cette tradition et ne se dévaloriserait en tant que « faible femme » que pour mieux se plier aux règles qui autorisent à écrire.

On peut d’ailleurs remarquer que si elle se réclame de l’autorité de Boccace, elle conteste celle d’Aristote ou d’autres en déclarant, à travers la voix de l’allégorie de la Raison, leurs discours antiphrastiques ou motivés par la frustration, la jalousie… L’humilité de l’écrivian a ses limites !

Entre déférence envers les autorités et rébellion contre elle, la position de Christine est donc subtile et périlleuse.

Le deuxième point qui interroge, concernant le féminisme de Christine, c’est son discours sur l’image de la femme. Souvent, elle insiste sur certaines vertus que sont censées développer les femmes : « la nature même de la femme la porte à être simple, sage et honnête » (p. 49-50) ; « si les femmes font preuve de dévotion, la charité leur fait encore moins défaut, car qui rend visite aux malades ? les réconforte ? qui secourt les pauvres ? qui va aux hôpitaux ? qui ensevelit les morts ? C’est là, me semble-t-il, l’oeuvre des femmes » (p. 57). Elle défend même la spécificité féminine de la « quenouille » (p. 61). On s’approche là du discours qui était développé dans l’éthique du care, qui attribue aux femmes une plus grande inclination à soigner et à se soucier d’autrui – avec tous les problèmes que ce type de discours pose quand il s’agit d’affirmer l’égalité entre hommes et femmes.

La question qui se pose à propos de ce deuxième point est la suivante : en proposant une image de la femme comme étant au service des autres et développant les qualités nécessaires à un tel office, Christine s’inscrit dans son époque. Comment concilier cette vision de la femme avec celle des femmes fortes et ingénieuses qui constituent les pierres de la Cité des dames ? Ces femmes-là sont-elles des exceptions qui confirment la règle d’une soumission féminine ?

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[club] Christine de Pizan – Exemples

Dans la Cité des Dames, Christine de Pizan entreprend de recenser les exemples de femmes ingénieuses, courageuses ou fortes qui contredisent le discours misogyne selon lequel les femmes seraient stupides, peureuses et faibles.

En cela, elle reprend une veine initiée par Boccace dans Le livre des femmes illustres et qui se poursuivra après elle avec des ouvrages comme celui de Gilles Ménage au XVIIe siècle.

Ce qui est intéressant, c’est que les exemples qu’elle prend sont, d’une part, souvent empruntés à Boccace, de l’autorité duquel elle se réclame, et, d’autre part, tirés de la mythologie mais présentés comme véridiques. L’argument de Christine, qu’elle reprend à Boccace, est à chaque fois que des personnages comme Cérès ou Isis ont d’abord été des reines ou des femmes remarquables avant de devenir l’objet d’un culte par leurs contemporains et de passer pour des divinités ensuite. C’est une hypothèse intrigante mais intéressante, qui peuple l’Antiquité de figures féminines marquantes…

…et qui pourrait constituer un programme de lecture pour ce bookclub ! Dans la Cité des Dames, Christine de Pizan se livre en effet au même travail que nous : mettre en lumière le talent, le génie, le travail de femmes le plus souvent oubliées ou peu connues du grand public. Mais nos buts divergent sans doute, puisque là où elle cherche à prouver l’intelligence et la force féminines afin de les défendre (sa « cité » est pensée comme une « forteresse » et elle-même se veut le « champion » qui défend les femmes contre leurs accusateurs (p. 42)), nous avons à coeur de réfléchir, à chaque fois, sur le type de discours féministe produit par ces femmes ou que l’on peut induire de leurs oeuvres et de leur vie.

Enfin, il me semble amusant de relever que le premier exemple que Christine donne afin de contrer l’argument de l’incapacité féminine, c’est le sien propre ! Elle indique en effet qu’elle a des « inclinations » qui, si elle en croyait le discours misogyne, l’assimilerait à un homme… et en vient à désespérer d’être née femme. Mais elle prouve aussi, par là même, que les qualités que les misogynes dénient aux femmes, elle-même les possède, ce qui constitue une objection de poids.

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[club] Christine de Pizan – Vie d’une femme de lettres au Moyen Âge

La premier chapitre de la Cité des Dames nous donne des indications sur le mode de vie de Christine de Pizan, qui n’est pas sans faire écho à nos précédentes lectures dans ce bookclub.

En effet, Christine indique qu’elle a reçu la visite des 3 vertus alors qu’elle était « assise dans (s)on étude, tout entourée de livres traitant des sujets les plus divers ». Elle précise qu’elle s’y adonne à « l’étude inlassable des arts libéraux », soit la rhétorique, la grammaire, la dialectique pour le trivium et l’arithmétique, la géométrie, la musique et l’astronomie pour le quadrivium, selon son « habitude » et une « discipline qui règle le cours de (s)a vie ». Enfin, elle indique à la fin du premier paragraphe qu’elle interrompt une lecture lorsque sa mère vient l' »appeler à table ».

On trouve là une des conditions évoquées par Virginia Woolf pour que les femmes puissent écrire : disposer d’une « chambre à soi ». Ici, la chambre est même une « étude » chargée de livres…

Cela signale par là même le niveau de vie plutôt confortable de Christine, au vu du coût des manuscrits à l’époque : il fallait abattre un troupeau de bêtes afin d’avoir assez de parchemin pour constituer un manuscrit, ce à quoi s’ajoutait le prix des encres et le travail, généralement long de plusieurs mois, du copiste – même si Christine copiait elle-même et économisait sur ce poste budgétaire, il n’en reste pas moins que la détention d’une bibliothèque personnelle était un luxe réservé aux couvents et aux princes. On retrouve là une autre condition énoncée par Virginia Woolf  pour avoir un poids civique et social : avoir de l’argent à soi (cf Trois guinées).

Enfin, le fait que ce soit la mère de Christine qui administre la vie du ménage et non Christine elle-même signale une troisième condition : le loisir. Bien que veuve et mère de trois enfants, Christine réussit à avoir le temps pour faire vivre toute sa famille de sa plume. Est-ce parce que ses enfants étaient en nourrice puis placés, pour la fille au couvent, pour un de ses fils auprès de protecteurs d’influence? Est-ce grâce à une gestion intelligente de l’intendance domestique ? En tout cas, Christine n’est pas l' »Ange du foyer » que décrit Virginia Woolf comme le stéréotype de la femme sous l’ère victorienne ; elle se rapproche plutôt d’une figure masculine, ce qu’elle dit elle-même en stipulant que du jour où elle entreprit de gagner sa vie avec sa plume, elle devint « mâle ».

Comment penser dès lors la vie de Christine de Pizan : comment celle d’une femme ou comme celle d’un homme ?

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[club] Christine de Pizan – Références littéraires

La Cité des Dames, écrit en 1405, précède  le Trésor des 3 vertus. Dans la Cité des Dames, Christine voit apparaître 3 figures allégoriques. Ces 3 figures correspondent à 3 vertus : Droiture, Justice et Raison. Ce sont ces 3 vertus que l’on retrouve dans le Trésor des 3 vertus.

En s’adonnant à un dialogue avec des figures allégoriques, Christine s’inscrit dans une tradition littéraire bien établie. Dans la Consolation de la philosophie, Boèce voit en effet apparaître, dans sa geôle et avant son exécution, des figures allégoriques féminines comme Fortune ou Philosophie. Or la Consolation de la Philosophie de Boèce est une des grandes références de l’époque, pour tous les lettrés.

On trouve aussi de telles allégories dans le Roman de la Rose, et c’est cela qui nous intéresse davantage. Cet ouvrage se compose de deux parties dont l’une, qui s’inscrit dans la tradition courtoise, a été écrite par Guillaume de Lorris et la seconde, satirique et qui s’en prend fréquemment aux femmes, a été rédigée par Jean de Meung. Et c’est contre le discours misogyne de ce texte connu dans toute l’Europe occidentale que s’élèvera Christine, initiant ainsi un grand débat autour de la question de la femme.

En écrivant la Cité des Dames, Christine de Pizan rédige donc le pendant du Roman de la Rose, un pendant féministe s’opposant au discours misogyne de son temps.

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[club] Marie de France – Sexualité

La sexualité est très présente, de manière naturelle et saine.  Il n’y a pas de glorification de l’abstinence, l’amour est clairement associé au plaisir procuré par la sexualité.  L’impuissance est ainsi présentée comme un malheur (Le malheureux) qui empêche la réalisation de l’amour. Dans Guigemar, je trouve le thème de la ceinture érotique moderne (ou c’est moi qui plaque dessus ma symbolique moderne ?). D’autre part notons que l’homosexualité n’est pas non plus taboue (Lanval p.93)

Le mariage est un risque de malheur, d’enfermement. Cependant les lais nous disent aussi que les femmes peuvent trouver l’amour, le plaisir. Ils ne finissent pas tous mal.

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[club] Marie de France – Rang et amour courtois

Dans « Equitan », le roi tombe amoureux de la femme de son sénéchal ; elle lui dit que « l’amour n’a de valeur qu’entre égaux » car « le puissant, bien persuadé / que personne ne lui enlèvera son amie, / il entend la dominer de son amour ».

Ce à quoi le roi répond que ceux qui « recherchent des femmes inférieures » ne sont pas « de vrais amants courtois » et qu’une femme « sage, courtoise, de noble coeur » mérite « n’eût-elle que son manteau » qu’un roi l’aime « loyalement ».

On retrouve le même motif dans Erec et Enide de Chrétien de Troyes, Erec étant un chevalier de la cour arthurienne et Enide la fille d’un homme sans noblesse, vêtue pauvrement.

Le roi se présente alors à la femme comme son « vassal » et lui demande de ne plus le considérer comme le roi.

Par cet amour courtois, on voit ici que la différence de condition sociale n’est pas seulement abolie : elle est renversée. Le roi devient vassal, le sujet du roi devient sa maîtresse (domina en latin, racine étymologique du mot français « dame »). De plus, l’homme n’est plus le maître mais le vassal, et la femme est celle que l’on sert.

Ce passage d' »Equitan », parce qu’il insiste sur l’incongruité de ce double renversement, peut être  lu, me semble-t-il, comme le négatif du fonctionnement habituel de la société médiévale : une société où l’homme domine la femme comme le roi son sujet.

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[club] Marie de France – Des sujets féminins ?

Dans certains lais, des sujets m’ont étonnée car ils m’ont semblé concerner de près la condition féminine.

Dans « Le malheureux », par exemple, la Dame est courtisée – et entretient des relations amoureuses – avec 4 chevaliers. Je ne connais pas d’autres textes médiévaux abordant le thème de la polyandrie… En revanche, la polygamie est abordée dans « Eliduc ».

Dans « Yonec », la Dame est mal mariée, comme dans le « Rossignol », et vit sous la surveillance de son mari. Les malheurs du mariage forcé sont ici traités sans ambiguïté.

Dans « Le Frêne », l’amie est délaissée lorsque l’ami doit se marier avec une personne de son rang. Son attitude résignée passe pour un modèle de vertu… A moins qu’il ne dessine le portrait de l’épouse idéale pour l’époque – de même que Guildeluec, femme légitime d’Eliduc dans le lai « Eliduc », se retire au couvent pour permettre à son mari d’épouser une autre femme.

Dans les « Deux Amants », une jeune fille est gardée jalousement par son père – motif qui rappelle un conte tel que « Peau d’âne ».

Dans ces derniers cas, on voit un personnage féminin en proie aux décisions souveraines d’une figure masculine, père, ami ou époux, sur elle.

Enfin, dans « Milon », la naissance de l’enfant est suivie de la mention prosaïque des soins à apporter au nouveau-né : « sept fois par jour, / ils s’arrêtent dans les villes qu’ils traversent / pour faire allaiter l’enfant, / changer ses couches et le baigner. » La naissance et l’enfantement sont aussi au coeur du lai « Le Frêne », puisque c’est la naissance de jumeaux puis de jumelles qui enclenche l’intrigue. A chaque fois, l’auteur précise que l’accouchement s’est fait « al terme »…

Autant de précisions qui pourraient aller dans le sens d’un auteur à la sensibilité féminine.

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[club] Marie de France – Authenticité, encore…

L’auteur des Lais se présente comme se nommant « Marie » ; elle serait la même que la traductrice de fables d’Esope et d’un texte sur le Purgatoire de Saint-Patrick.

Se demander s’il s’agit bien de la même personne ne choque personne : cela relève de la prudence éditoriale.

Mais se demander si l’auteur qui se présente comme s’appelant « Marie » est bien une femme… C’est la question que pose un critique dans un article paru en 1981 (J.-C. Huchet dans Poétique) ainsi que le rapporte l’édition Livre de Poche des Lais.

Je n’ai pas pu consulter cet article mais je ne peux manquer de m’interroger à mon tour : si l’auteur avait dit s’appeler Benoît, Adam ou Pierre, aurait-on aussi remis en question l’authenticité des textes ?

De même pour Héloïse : dès qu’une femme semble avoir pris la plume, la question de l’authenticité devient cruciale. Cela ne veut pas dire qu’elle ne se pose pas pour les auteurs masculins – seulement, l’enjeu n’est pas le même. Ici, il s’agit de savoir si une femme peut, au Moyen Age, avoir écrit et diffusé ses écrits… Le parcours de notre bookclub tend à prouver que oui.

Marie de France serait après tout le premier auteur médiéval à écrire en français : l’enjeu est de taille pour l’histoire de la littérature française !

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[club] Héloïse – … et Abélard

Il me semble intéressant de relever l’estime qu’Abélard portent aux femmes en général.
Il rédige des règles à l’attention d’un ordre féminin, d’abord, à la tête duquel il place Héloïse. Il agit en cela comme Robret d’Arbrissel avant lui, qui avait fondé l’ordre de Fontevraud. Fonder un ordre relevait d’une mission spirituelle de la plus haute importance ; que celui qu’Abélard fonde soit un ordre féminin est particulièrement intéressant. On peut rappeler qu’il indique préférer conduire spirituellement les soeurs du Paraclet que les frères dont il a la charge à Saint-Gildas-de-Rhuys…. Ce qui indique bien son absence totale de misogynie.
De plus, il lui arrive de mettre en avant la sagesse de femmes illustres, comme la Sybille : ainsi dans son premier traité de théologie. La Sybille est mise au même rang que Platon.
Enfin, ses oeuvres musicales sont encore destinées à des voix de femmes.
Abélard est donc, pour moi, aussi important pour l’image positive de la femme au Moyen Âge qu’Héloïse.