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Interview – Blanche Leridon, Le château de mes soeurs et Johanna Cincinatis Abramowicz, Elles vécurent heureuses

Deux parutions ont récemment mis en lumière la montée en puissance des solidarités féminines. Celles-ci s’incarnent dans la relation entre soeurs (au sens propre ou au figuré) comme dans la ré-invention d’un vivre-ensemble au féminin : ainsi Blanche Leridon signe-t-elle Le château de mes soeurs : Des Brontë aux Kardashian, enquête sur les fratries féminines aux éditions les Pérégrines en cette rentrée littéraire 2024 (en sélection du Renaudot Essais)et Johanna Cincinatis Abramowicz a fait paraître Elles vécurent heureuses : L’amitié entre femmes comme idéal de vie chez Stock en avril dernier.

Nous avons proposé à ces autrices de répondre à nos questions sur la solidarité féminine.

L’amitié féminine, un idéal de vivre-ensemble

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Johanna Cincinatis Abramowicz vous a laissé un vocal, à écouter ici :

La sororité pour renouveler la solidarité

Blanche Leridon nous livre quant à elle ses réponses ci-dessous :

1)  Ton ouvrage propose une exploration riche de la représentation des relations entre soeurs. Vois-tu une évolution de ces représentations ? Les valorise-t-on plus qu’avant ?

La question des représentations est fondamentale car elle façonne nos imaginaires, nous propose des modèles, en particulier dans l’enfance et à l’adolescence. Au départ, les représentations de soeurs sont très stéréotypées : je pense aux petites filles modèles de la comtesse de Ségur, modèles de sagesse et de discrétion, très éloignées de la réalité. Les relations entre soeurs subissent les mêmes stéréotypes. On les a souvent limités aux chamailleries et à la jalousie de l’enfance, qu’il s’agisse de Cendrillon et de ses deux sœurs mégères, Javotte et Anastasie, ou des trois filles du roi Lear qui se battent pour l’amour de leur père. Au-delà de la fiction, on observe des réflexes similaires lorsqu’il s’agit de commenter les relations entre des sœurs bien réelles : Pippa et Kate Middleton sont forcément rivales, idem pour Venus et Serena Williams ou Catherine Deneuve et Françoise Dorléac.

On a trop longtemps enfermé leurs relations dans cette compétition puérile, cette chamaillerie qui est avant tout une manière de les discréditer. Aujourd’hui les choses évoluent, mais doucement. On montre des relations plus complexes, celle de Fleabag et sa sœur dans la série éponyme de Phoebe Waller-Bridge en est une. Lorsque Disney invente un personnage – celui de la Reine des Neiges – dont le destin est lié non plus à un Prince Charmant mais à l’amour de sa sœur – on peut aussi s’en réjouir. Il faut que ces nouvelles visions essaiment, que des générations de petites filles soient confrontées à ces nouveaux modèles. 

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2) En quoi la relation de soeurs diffère-t-elle, dans la représentation qui en est donnée, de la relation entre frères ?

Les relations entre frères ne sont pas épargnées par les disputes et la rivalité, mais elles ne se manifestent pas du tout de la même façon. Là où les filles sont associées aux chamailleries superficielles de l’enfance, les frères sont projetés dans un univers beaucoup plus glorieux et spirituel. Abel et Caïn, Jacob et Ésaü ou les frères Karamazof racontent des histoires de rivalité, certes, mais qui projettent leurs protagonistes dans des univers mystiques et mythologiques, où il est question de bien et de mal et d’avenir de l’humanité, très loin de nos soeurs qui se disputent pour un homme (car c’est souvent à ça qu’on les cantonne). Pour résumer : la rivalité fraternelle est noble et spirituelle, la rivalité entre soeurs est mesquine et superficielle. 

3) Comment expliquer que les femmes se reconnaissent dans la phrase « Nous sommes tous frères » suivant l’idéal de fraternité mais que les hommes rechignent à se désigner comme des « soeurs » ?  

C’est la résultante de la tyrannie du masculin-neutre, qui règne sur notre langue et notre culture. Mais je ne suis pas certaine que les femmes se reconnaissent toutes dans cette maxime, et c’est pourquoi il a fallu créer de nouvelles façon de faire « nous » au féminin, comme nous y enjoignait Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe. Toute l’histoire du féminisme contemporain, depuis les années 70 jusqu’à aujourd’hui, repose sur cette quête du « nous », qui est notamment passée par l’appropriation de cette notion de soeurs, d’abord chez les féministes américaines qui en ont fait leur slogan « sisterhood is powerful », avant d’être adopté par le MLF. C’est ce long combat qui a permis de faire renaître la sororité. Ma conviction est que les relations entre soeurs ont beaucoup à nous apprendre de ce point de vue là. 

Merci à Blanche et à Johanna pour leurs réponses !

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