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Interview – Gérard Nisslé, Cristal et cendre ou l’itinéraire d’une chanteuse de blues

Gérard Nisslé est écrivain public. Il est aussi romancier et a notamment écrit Cristal et Cendre, un roman qui se passe dans l’Alabama, en 1906 : « Saddie, une jeune fille noire de 15 ans dotée d’une voix magnifique, découvre une nouvelle musique, le blues. Dans le même temps, elle subit une terrible violence. A 16 ans, elle s’enfuit et part pour Chicago, réputée capitale du jazz, dans le but de devenir chanteuse de blues, de gagner sa vie grâce à sa voix. Mais elle a un autre objectif : se venger des quatre personnes qui l’ont meurtrie, qui ont bouleversé sa vie. C’est l’histoire d’un rêve, d’une violence, d’une vengeance. »

Gérard Nisslé a accepté de répondre à nos questions au sujet de cet itinéraire hors norme et des raisons pour lesquelles il a choisi ce sujet. Il nous répond avec précision… et humour !

1) D’où t’est venue l’idée de suivre un personnage de chanteuse de blues dans l’Amérique du début du XXe siècle ? 

Vers mes 12 ans, ma mère qui n’écoutait que de la musique classique m’a offert un disque différent des autres, déjà là : Sydney Bechet. Un choc. Un jazz New Orleans, gai, facile à apprécier, à comprendre, facile à aimer. Puis est venu Louis Armstrong. Plus structuré, plus exigeant. Plus profond. Le goût du jazz est né alors et ne me quittera plus. Puis ce furent les chanteuses de jazz. Puis le blues. Cheminement assez classique. Et là, j’ai plongé. Profondément. Sans comprendre un mot d’anglais ou presque, j’ai compris, j’ai vibré, j’ai ressenti, j’ai pleuré, j’ai partagé. Avec eux, avec elles. Avec leurs peines, leur misère, leurs chagrins, leurs espoirs toujours déçus, leur foi dans un lendemain meilleur. Des dizaines de disques, puis de CD. J’ai délaissé le jazz pur, et surtout ses déclinaisons modernes, pour ne me focaliser que sur le blues. Et j’ai commencé à lire sur le sujet. Des ouvrages savants. Les vies des chanteuses les plus marquantes : Bessie Smith, Elle Fitzgerald, Billie Holiday. Un chanteur et poète noir a dit « être noir et chanteur de blues, c’est être deux fois noir » Pour ces chanteuses, être une femme, de surcroît, c’était donc être trois fois noire. Trois fois maudites par le Destin. Trois fois marquées du sceau de la violence et du malheur. Leurs vies réelles, malgré leur succès, m’ont bouleversé. Surtout celle de Lady Day. Elles étaient victimes de la ségrégation et du mépris, mais surtout des hommes, noirs ou blancs. Elles buvaient et se droguaient pour survivre. Vedettes de spectacles, elles devaient entrer par le porte des fournisseurs, et non par la porte principale réservée aux Blancs. Billie cachait son argent dans un tube qu’elle mettait dans ses parties intimes pour éviter de se faire voler. Elles étaient battues, volées et violées régulièrement. Souvent par leurs maris ou amants. Et leurs chansons, si elles ne décrivent pas leur vie à elles, reflètent ces vies abimées, meurtries. Pour les Noirs chanteurs de blues, les textes s’appuient sur leur vécu et celui de leurs frères de couleur : le manque d’argent, le jeu, l’alcool, le chômage, la misère, la petite amie enfuie, l’épouse matrone et méchante, le Blanc cruel, la menace permanente d’un lynchage, mais aussi la joie d’un job d’un soir ou d’une semaine dans un juke-joint, la satisfaction de pouvoir composer et chanter. La dureté d’une vie noire. Avec aussi des fulgurances de joie et de bonne humeur, d’espoirs, de bonheurs éphémères. En refermant la bio de Billie Holiday, j’ai eu l’idée d’écrire une histoire y ressemblant. Moins triste que sa vraie vie. Maie en développant un trajet, un parcours, avec ses turpitudes, ses écueils, ses joies et ses désespoirs.

2) Ton ouvrage se présente à la fois comme un roman d’apprentissage et un revenge novel. L’esprit de revanche est-il au cœur du blues lui-même ? 

Non, absolument pas. De ce que j’en sais, l’esprit de revanche est absent de ce formidable genre musical. Les Noirs importés pour être esclaves, parlaient des dialectes différents. On séparait les familles, le père ici, la femme ailleurs, les enfants loin. Impossible de communiquer avec d’autres esclaves car ils étaient volontairement mélangés. On brisait ainsi les communications pouvant mener à l’organisation de révoltes. On les a aculturés avec une grande efficacité. Traités moins bien que des animaux, ils ont progressivement mais rapidement assimilé la religion de leurs maîtres, car… 1. C’était la seule activité permise, et 2. le dieu des Blancs devait être bien plus fort que leurs différents dieux locaux africains puisqu’ils en étaient arrivés là, pris, déportés, enchaînés, battus, torturés, mutilés. Et les prêtres se gardaient bien de leur inculquer l’idée de la revanche, bien au contraire. On les frappait sur la joue gauche ? Ils devaient tendre la joue droite. Le maître blanc violait leur femme ? Ils pleuraient en silence. Leurs enfants mouraient sous les coups de fouet ? Ils composaient une chanson d’une infinie tristesse. Leurs frères étaient lynchés pour un regard vers une Blanche, après avoir été émasculé ? Ils étaient obligés d’assister au spectacle et repartaient vers leurs cases, infiniment tristes, infiniment désespérés.  Ils étaient bafoués, maltraités, fouettés au sang, affamés, épuisés, désespérés de cette monstrueuse injustice ? Ils priaient. Et chantaient. Des blues à fendre le cœur, à déchirer l’âme. Des blues qui finalement, ne racontaient rien d’autre que leur vie quotidienne.

Qu’on ne s’y trompe pas : je mélange ici deux périodes distinctes, et c’est voulu. Avant le 18 décembre 1865, c’est-à-dire pendant l’esclavage, et après cette date. Cette date est très importante car elle a changé la structure économique d’un pays, mais du point de vue des Noirs, elle ne l’est peut-être pas tant que ça, car elle n’a RIEN changé dans les rapports sociaux, humains. Un Noir restait, selon un ouvrage publié une vingtaine d’années plus tard un être non-humain. L’ouvrage cité, « Le nègre est une bête dans l’esprit de Dieu » est authentique, hélas. Il n’est pas exclu que cela reste une « vérité » aujourd’hui encore, dans l’esprit de beaucoup de red necks blancs.

Autre chose de très important :  Les Blancs ont convaincus les Noirs, avec une incroyable, une époustouflante, une ahurissante efficacité, qu’être noir était une malédiction. Un péché. Une honte. Une flétrissure. Et ça marchait ! Des générations ont vécu avec cette honte chevillée au corps. S’ils souffraient, c’est parce que leur couleur n’était pas la bonne. S’ils étaient battus, humiliés, c’était une décision de Dieu, mise en œuvre par Ses créature préférées : les Blancs. Ils n’étaient pas humains. A peine plus que des bêtes. Ils étaient inutiles et dangereux. Stupides et paresseux. Sales. Mauvais. C’est ce qu’on leur mettait dans la tête en permanence, et ça fonctionnait très bien. La honte n’était pas du côté de celui qui violait les épouses noires de ses esclaves, de celui qui battait un pauvre nègre à mort pour un regard, de celui qui les affamait, de celui qui les tuait pour jouer, de celui qui lançait ses chiens enragés à leurs trousses et se délectait de les voir se faire dévorer, non. La honte était du côté des victimes de ces atrocités. La honte de la couleur que leur Créateur leur avait donnée. Un cas exemplaire et monstrueux de manipulation mentale à grande échelle. Qui maintenait une population supérieure en nombre, donc potentiellement dangereuse, dans la servilité effrayée. 

Alors, dans tout ça, point de place pour la revanche. On ne se venge pas d’une décision divine qu’on ne comprend pas, même si on en subit les conséquences dans son âme et sa chair chaque heure de chaque jour. On ne se venge pas de ses maitres cruels, puisqu’ils ont le blanc-seing divin de les traiter comme eux, les esclaves noirs le méritent. Et se venger physiquement d’un Blanc représentait un épouvantable danger : tortures et mutilations, mort, massacre possible de sa famille, représailles sur sa communauté. Avec, toujours en arrière-plan mental, la certitude que Dieu était du côté des Blancs. Oui, on peut se venger des avanies perpétrées par SES SEMBLABLES. Par ses frères, ses sœurs de couleur, certainement, car la justice divine est aux abonnés absents, et la justice humaine n’est qu’en faveur des Blancs, systématiquement. Mais c’est la seule vengeance à laquelle un Noir pouvait penser.

Donc, en l’absence d’une volonté, d’une envie, même, de vengeance, il ne restait que deux solutions : l’acceptation servile avec l’espoir bien mince d’échapper au pire, ou la fuite, avec de fortes probabilités d’être repris, tué ou amputé. En attendant, la prière le dimanche, pour tenter de se rapprocher de ce Dieu un peu trop partial. Et le blues les autres jours.

Alors, pourquoi la vengeance ? C’est un thème personnel, qui me fascine. J’ai d’ailleurs fait une petite « causerie publique » sur le sujet. Compte tenu de ce qu’une femme noire pouvait subir à l’époque, il m’a semblé intéressant de lui donner cette volonté de justice privée, et de voir où cela menait. Je suis content d’avoir pu introduire ce thème dans l’histoire de Saddie.

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3) Quelle a été ton influence majeure pour écrire ce roman : la littérature française ou la littérature américaine ? 

Désolé, aucune. Ma connaissance de la littérature française est pleine de trous. Par exemple, je n’ai lu L’étranger et La Peau de chagrin (et je ne m’en vante pas…) qu’il y a deux ans. Des merveilles, soit dit en passant. 

Pour la littérature américaine, on est loin, bien loin : amateur de SF depuis toujours, je suis un inconditionnel d’Asimov et de Dick, et un fan absolu de Ray Bradbury et de sa poétique-fiction. Par ailleurs, j’ai lu tous les romans traduits de Chuck Palahniuk, un auteur déjanté, des thèmes incroyables, une écriture-choc. 

Donc, ici ou là-bas, rien qui ressemble à cette histoire de chanteuse de blues. Aucune influence littéraire à revendiquer. La musique et uniquement la musique. Mon empathie profonde et spontanée avec les épreuves subies par le peuple noir américain et mon admiration pour sa capacité à créer un des plus beaux genres musicaux qui soient.

Une petite anecdote ? Quand j’ai commencé l’écriture, la petite Saddie naissait environ 30 ans plus tard que dans la version définitive, et elle découvrait le blues au moment où il était bien connu et implanté. Apprécié par un large public, Blancs et Noirs confondus. Et au milieu du livre j’ai eu l’idée de la fin, avec le film « Le chanteur de jazz » Mais les dates ne collaient plus. J’ai donc tout reculé d’une trentaine d’années. Un peu de réécriture, bien sûr, mais alors, un énorme problème : pour ce qui concerne les années de début de sa carrière de blueswoman, on n’a que très peu, très très peu, de traces écrites des premiers blues. Dans ma version initiale, j’en avait pléthore, et là, presque plus rien. J’ai donc dû inventer des chansons, avec des premiers couplets de mon cru. Inutile de les chercher sur Spotify ! Je me suis inspiré pour ça des paroles des centaines de blues entendus pendant ma vie, et qui m’ont marqué à jamais.

Une autre ? J’ai eu cette idée, cette envie d’écrire cette histoire il y a plus de trente ans. Je la voulais factuellement juste. Avec des détails authentiques. Or mes lectures ne donnaient jamais les détails de la vie quotidienne. Où les chercher ? Pour quel maigre résultat ? J’ai alors mis l’idée de côté et ai commencé à écrire d’autres histoires, des nouvelle fantastiques pour commencer. Et je n’ai plus repensé à ce récit rêvé. Un jour, il y a trois ans environ, mon cardiologue regarde des résultats d’examen et secoue la tête en faisant « Hmmm… hmmm… » Mauvaise limonade. Il commande des examens complémentaires. Dont les résultats arrivent, et donnent exactement la même réaction. Là, il m’explique qu’il faut passer à la vitesse supérieure car il y a soupçon de quelque chose de grave. Examens plus importants et investigations plus approfondies, qui diront mon espérance de vie. Je rentre chez moi avec la certitude qu’il ne me reste que quelques mois à vivre. Et là, un flash « Mais bon sang, ce que je ne pouvais faire il y a trente ans, est tout à fait faisable aujourd’hui ! Merci Internet ! Google je t’aime ! Je vais certainement trouver tous ces micro-détails indispensables » Et je me suis lancé le soir même. Recherche intensive, récupération de méga-octets de données, de plans, de dates, de noms, de faits. Et écriture d’un chapitre PAR JOUR ! L’urgence. La fébrilité. Aller au bout avant de passer l’arme à gauche. 

Et puis, les examens de niveau supérieur ont eu lieu. Résultat : fausse alerte, tout va bien. En manière de plaisanterie, j’ai alors demandé à mon cardiologue s’il voulait bien m’accorder deux ans de vie en plus, afin d’arriver au bout de mon projet d’écriture. « Accordé ! » Un an et demi plus tard, je mettais Cristal et Cendre en ligne chez Amazon en auto-édition. Ouf ! 

Depuis, à chaque nouveau projet d’écriture, je lui demande un an de plus de vie. Qu’il m’accorde très généreusement.

Et le féminisme, dans tout ça ? Je n’ai pas écrit Cristal et Cendre avec ce prisme. En voulant démontrer quelque chose. En voulant défendre une cause. C’était juste la monstration de ce que peut avoir été une vie noire en Alabama, à ce moment de l’histoire d’un pays violent, raciste et intolérant, lorsqu’on est une femme et que l’on a un rêve. Si cette histoire a dégagé un arrière parfum de féminisme, j’en suis ravi. Elle ne se voulait que le portrait d’une fille qui veut vivre malgré les obstacles, et qui y parvient pendant un temps. En ça, cette femme est peut-être toutes les femmes…

Comme monsieur Jourdain, je suis peut-être féministe sans le savoir, sans le revendiquer. Mes conviction philosophiques sont claires : la femme est un homme comme les autres, comme dit cette plaisanterie qui n’en est pas une, finalement. Égalité des chances. Égalité des traitements. Égalité des possibilités. Égalité des salaires. C’est la base, et elle est indiscutable. Les femmes sont différentes des hommes, ce qui ne signifie pas qu’elles doivent être traitées différemment. Je crois à une complémentarité. Le respect doit être mutuel. Pas de hiérarchie. Une femme sait faire quelque chose que je ne sais pas faire, a plus de talent que moi ? Respect et admiration. Et je ne me sens pas « diminué » pour autant. Ma femme a deux mains gauches pour le bricolage, et elle est une organisatrice hors-pair. Exactement mon opposé. Complémentarité et respect. 

Évidemment, je refuse, comme cela peut se produire aux États-Unis, avec les « Lionnes », ces féministes enragées, d’être traîné au tribunal pour sexisme parce que j’ai tenu la porte à une femme derrière moi afin d’éviter qu’elle ne se la prenne en pleine figure. J’ai tenu la porte à un être humain, c’es tout. De la même manière, je refuse deux idées entendues ici et là (quelquefois de la même bouche…) :

. Les femmes ont toutes été harcelées dans les transports en commun. C’est faux, et de loin. Il suffit d’interroger les femmes qui nous entourent. 

. La France a une culture du viol. Faux également. Le viol est une horreur absolue, qui doit être sévèrement punie, comme la pédophilie. Certains violeurs passent à travers des mailles de la justice. D’autres sont protégés. Oui, les dinosaures n’ont pas tous disparu…  Cela arrive et c’es tragique. Un seul viol par an serait encore un viol de trop. Mais culture ? Une culture, c’est l’ensemble des structures sociales et des manifestations intellectuelles, artistiques, religieuses qui définissent une civilisation, une société par rapport à une autre. Toute une civilisation. La vaste majorité de ses composantes. La France était majoritairement catholique et on pouvait parler de culture catholique. Elle ne l’est plus, les athées étant devenus majoritaires. On ne peut plus alors parler de culture, aujourd’hui. Le viol n’est ni accepté légalement, ni accepté socialement, ni accepté humainement, et ce par la totalité des femmes et une immense majorité des hommes. Quelques hommes, sur 66 millions d’habitants, pensent encore que « c’est pas bien grave… » ou « qu’elles l’ont bien cherché… » La bêtise poisseuse de quelques crétins à deux neurones, clamée haut et fort, ne suffit pas à faire une culture généralisée.

Ces envolées et affirmations absurdes vont à l’encontre du vrai féminisme et sont contre-productives, car elles décrédibilisent le reste du discours de celles qui les profèrent. Ce qui est dommage, car elles peuvent dire par ailleurs des choses très pertinentes…  

Le Larousse de 1905, tout premier du genre, donne à viol la définition suivante : atteinte à la pudeur. En complément à sa Bible, l’abbé Pierre devait avoir le Larousse de 1905 sur sa table de chevet… Il me semble qu’en 120 ans, on a quand même fait quelques progrès. Lents, difficiles, mais indiscutables.

Revenons au féminisme. Si je suis anti-clérical (pour toutes les religions) c’est en partie à cause de la place que les trois religions du Livre ont assigné à la femme : un être inférieur devant être (mal)traité comme tel. Que de vies brisées, que de talents gâchés, que d’injustices et de violences, depuis 3 000 ans ! Que de honte d’être un être humain. Que de bêtise, d’incommensurable bêtise satisfaite !

Hé, les aliens ! vous pouvez venir nous éradiquer, on l’a bien mérité !…

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Interview – Enseigner la poésie avec Claire Tastet

Notre invitée

Claire Tastet, agrégée de Lettres Modernes est professeure de français depuis 28 ans. Elle a commencé dans un collège des Hauts de France avant de rejoindre un lycée de la périphérie urbaine de Tours.

Avec ses élèves, elle a gagné le prix #JeLaLis – Équipe lors de la première édition du concours Je La Lis organisé par l’association le Deuxième Texte en janvier 2021.

Claire est une lectrice et enseignante engagée. Elle est co-organisatrice du Prix Maya qui, chaque année depuis 2019, récompense les œuvres littéraires qui font avancer la cause animale.

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Portrait de Claire Tastet

Hélène Dorion au programme

Claire Tastet nous explique pourquoi elle a été ravie de découvrir Mes forêts d’Hélène Dorion dans les programmes du lycée. Elle avait déjà confié son enthousiasme au Café pédagogique.

Les recommandations de Claire

La Ville Brûle – Je serai le feu

Frénésies – Stéphanie Vovor – Le Castor Astral

La nuit s’ajoute à la nuit (Grand format – Broché 2024), de Ananda Devi | Stock

Les poèmes de Sabine Sicaud

Les poèmes de Joséphine Bacon

Les poèmes de Ceija Stojka

Pour aller plus loin

@vaucenlettres : le compte insta de Claire

Notre interview

Claire Tastet : Une brèche dans les programmes ?

Faire découvrir les problématiques de l’écriture autochtone au Québec : lire Kukum de Michel Jean en classe d’Humanités, littérature et philosophie – Mémoires en jeu

Prix Maya

Prix Maya 2023 – Cause animale : que peut la fiction ? ⋆ Savoir Animal

Programmes et ressources en français – voie GT | éduscol | Ministère de l’Education Nationale| Direction générale de l’enseignement scolaire

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Interview – Blanche Leridon, Le château de mes soeurs et Johanna Cincinatis Abramowicz, Elles vécurent heureuses

Deux parutions ont récemment mis en lumière la montée en puissance des solidarités féminines. Celles-ci s’incarnent dans la relation entre soeurs (au sens propre ou au figuré) comme dans la ré-invention d’un vivre-ensemble au féminin : ainsi Blanche Leridon signe-t-elle Le château de mes soeurs : Des Brontë aux Kardashian, enquête sur les fratries féminines aux éditions les Pérégrines en cette rentrée littéraire 2024 (en sélection du Renaudot Essais)et Johanna Cincinatis Abramowicz a fait paraître Elles vécurent heureuses : L’amitié entre femmes comme idéal de vie chez Stock en avril dernier.

Nous avons proposé à ces autrices de répondre à nos questions sur la solidarité féminine.

L’amitié féminine, un idéal de vivre-ensemble

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Johanna Cincinatis Abramowicz vous a laissé un vocal, à écouter ici :

La sororité pour renouveler la solidarité

Blanche Leridon nous livre quant à elle ses réponses ci-dessous :

1)  Ton ouvrage propose une exploration riche de la représentation des relations entre soeurs. Vois-tu une évolution de ces représentations ? Les valorise-t-on plus qu’avant ?

La question des représentations est fondamentale car elle façonne nos imaginaires, nous propose des modèles, en particulier dans l’enfance et à l’adolescence. Au départ, les représentations de soeurs sont très stéréotypées : je pense aux petites filles modèles de la comtesse de Ségur, modèles de sagesse et de discrétion, très éloignées de la réalité. Les relations entre soeurs subissent les mêmes stéréotypes. On les a souvent limités aux chamailleries et à la jalousie de l’enfance, qu’il s’agisse de Cendrillon et de ses deux sœurs mégères, Javotte et Anastasie, ou des trois filles du roi Lear qui se battent pour l’amour de leur père. Au-delà de la fiction, on observe des réflexes similaires lorsqu’il s’agit de commenter les relations entre des sœurs bien réelles : Pippa et Kate Middleton sont forcément rivales, idem pour Venus et Serena Williams ou Catherine Deneuve et Françoise Dorléac.

On a trop longtemps enfermé leurs relations dans cette compétition puérile, cette chamaillerie qui est avant tout une manière de les discréditer. Aujourd’hui les choses évoluent, mais doucement. On montre des relations plus complexes, celle de Fleabag et sa sœur dans la série éponyme de Phoebe Waller-Bridge en est une. Lorsque Disney invente un personnage – celui de la Reine des Neiges – dont le destin est lié non plus à un Prince Charmant mais à l’amour de sa sœur – on peut aussi s’en réjouir. Il faut que ces nouvelles visions essaiment, que des générations de petites filles soient confrontées à ces nouveaux modèles. 

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2) En quoi la relation de soeurs diffère-t-elle, dans la représentation qui en est donnée, de la relation entre frères ?

Les relations entre frères ne sont pas épargnées par les disputes et la rivalité, mais elles ne se manifestent pas du tout de la même façon. Là où les filles sont associées aux chamailleries superficielles de l’enfance, les frères sont projetés dans un univers beaucoup plus glorieux et spirituel. Abel et Caïn, Jacob et Ésaü ou les frères Karamazof racontent des histoires de rivalité, certes, mais qui projettent leurs protagonistes dans des univers mystiques et mythologiques, où il est question de bien et de mal et d’avenir de l’humanité, très loin de nos soeurs qui se disputent pour un homme (car c’est souvent à ça qu’on les cantonne). Pour résumer : la rivalité fraternelle est noble et spirituelle, la rivalité entre soeurs est mesquine et superficielle. 

3) Comment expliquer que les femmes se reconnaissent dans la phrase « Nous sommes tous frères » suivant l’idéal de fraternité mais que les hommes rechignent à se désigner comme des « soeurs » ?  

C’est la résultante de la tyrannie du masculin-neutre, qui règne sur notre langue et notre culture. Mais je ne suis pas certaine que les femmes se reconnaissent toutes dans cette maxime, et c’est pourquoi il a fallu créer de nouvelles façon de faire « nous » au féminin, comme nous y enjoignait Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe. Toute l’histoire du féminisme contemporain, depuis les années 70 jusqu’à aujourd’hui, repose sur cette quête du « nous », qui est notamment passée par l’appropriation de cette notion de soeurs, d’abord chez les féministes américaines qui en ont fait leur slogan « sisterhood is powerful », avant d’être adopté par le MLF. C’est ce long combat qui a permis de faire renaître la sororité. Ma conviction est que les relations entre soeurs ont beaucoup à nous apprendre de ce point de vue là. 

Merci à Blanche et à Johanna pour leurs réponses !

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Interview – Anne Clotilde Ziégler, Qu’est-ce que l’emprise ?

Anne Clotilde Ziégler est psychothérapeute. Formée à la psychanalyse jungienne mais aussi à la Gestalt-thérapie et à l’analyse transactionnelle, elle consulte depuis 35 ans. Elle a signé plusieurs ouvrages chez Solar sur les relations toxiques notamment Pervers narcissiques : bas les masques en 2015, La jalousie amoureuse : une effroyable opportunité qui nous fait grandir en 2018, Pervers narcissiques : 50 scènes du quotidien pas si anodines pour les démasquer et leur faire face en 2020, sorti depuis en poche et Pourquoi suis-je restée ? en 2023. Son dernier ouvrage, Qu’est-ce que l’emprise ?, vient de paraître.

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Nous la recevons dans cet épisode pour comprendre la différence entre prédateur, pervers narcissique et relation toxique et pour sonder les liens entre patriarcat et perversion. 

Pour aller plus loin : 

Anne Clotilde Ziégler, Pervers narcissiques : bas les masques, Solar, 2015

La jalousie amoureuse : une effroyable opportunité qui nous fait grandir, Solar, 2018

Pervers narcissiques : 50 scènes du quotidien pas si anodines pour les démasquer et leur faire face , Solar, 2020, sorti en poche

Pourquoi suis-je restée ? Solar, 2023

Qu’est-ce que l’emprise ?, Solar, 2024

Marc Joly, La perversion narcissique : étude sociologique, CNRS Editions, 2024

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Anne-Sophie Brasme, Ce qu’on devient

Anne-Sophie Brasme signe en cette rentrée littéraire un roman inspiré de sa première expérience de publication à 17 ans. Dans Ce qu’on devient, la romancière retrace l’itinéraire de deux jeunes filles, Sophie et Anouk, dans une vertigineuse conversation des âges et des destinées.

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1) Votre personnage principal est une femme accomplie qui écrit à la jeune fille qu’elle a été. Elles ont en commun le désir d’écrire. En quoi ce désir est-il trahi ou abîmé par le passage à la publication dans le cas de la jeune fille ?

Dans Ce qu’on devient, je raconte en effet l’histoire de Sophie, jeune lycéenne qui voit son premier roman publié, comme je l’ai été moi-même à dix-sept ans avec Respire. Sophie écrit ce premier texte dans une sorte d’élan, mue par la nécessité de mettre des mots sur le harcèlement dont elle a été victime au collège. Bien sûr, elle rêve d’être publiée, mais elle n’ose imaginer cela possible : son père lui-même, aspirant romancier, a vécu dans le passé un refus cuisant. Le manuscrit de Sophie se retrouve finalement, un peu malgré elle, sur la table d’un éditeur. Et c’est là que tout change. La publication de ce « Premier Roman » la projette sur le devant de la scène, la sort de l’invisibilité et la fait entrer dans un monde qu’elle ne connaissait pas, celui de la bourgeoisie intellectuelle parisienne. Seulement, Sophie n’a pas les codes. Elle répond aux journalistes avec la naïveté de son âge, ce qui lui vaut d’être qualifiée de « petite dinde » par son attachée de presse. Son succès dérange : on attend d’elle qu’elle prouve son mérite. Et c’est ce qui bouleverse totalement son rapport à l’écriture : dorénavant, elle doit se montrer « à la hauteur ». L’écriture du deuxième roman est parasitée par cette injonction. Sophie ne redoute qu’une chose : que son « imposture » finisse par être dévoilée au grand jour. L’échec commercial de ce nouveau livre va conforter cette voix en elle et la faure renoncer à l’écriture pendant des années. Pour moi c’est le sujet fondamental du livre : comment ce sentiment d’incompétence, que de très nombreuses femmes portent en elles (à plus forte raison quand elles sont jeunes, et/ou racisées), s’insinue en nous jusqu’à entraver nos désirs.

2) Vous livrez à travers ce récit une analyse des travers du monde éditorial, qui répond à une logique de rentabilité et non de mécénat et qui s’appuie beaucoup sur les médias pour l’assurer. Selon vous, la jeune fille est-elle traitée comme un produit au même titre que son Premier roman ?

La jeunesse de Sophie est en effet mise en avant par l’éditeur. Elle est vue comme un objet de curiosité par les journalistes qui pendant un temps s’émerveillent de sa précocité. Sophie est présentée comme le petit phénomène de la rentrée littéraire. Je me souviens qu’à la sortie de Respire mes 17 ans étaient aussi un argument de vente. Un jour un journaliste qui était venu m’interviewer chez moi avait cité dans son article ma « chambre remplie de poupées » et mes « rouges à lèvre de lolita ». Le sujet n’était pas tellement mon livre…

Ceci dit, j’ai eu la « chance » de ne pas avoir été sexualisée plus que cela – contrairement à Lolita Pille qui a publié son premier roman Hell peu de temps après moi, et à qui on posait des questions horribles pendant les interviews. C’est d’ailleurs ce qu’elle raconte dans son dernier roman Une Adolescente

3) Qu’a d’urgent et de crucial le besoin ou désir d’écrire pour une jeune fille ou une femme dans notre monde d’aujourd’hui selon vous ? 

Ecrire c’est l’inverse de se taire. C’est mettre des mots sur des réalités qui restaient jusqu’à présent invisibles, innommées. En tant que femmes, nous avons appris à toujours minimiser nos douleurs, à croire que nos histoires ne valaient pas la peine d’être racontées. Mais elles le sont plus jamais. Et à plus forte raison quand il s’agit d’intime. Le monde a besoin de savoir ce que sont nos désirs, nos dégoûts, nos joies, les violences que nous subissons. Nous devons raconter nos histoires, si dérisoires nous paraissent-elles par rapport aux « grands récits », pour nous rendre enfin légitimes. Pour apprendre enfin à nous croire.

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Interview de Catherine Le Magueresse

Notre invitée

Catherine Le Magueresse est juriste, doctoresse en droit et chercheuse. Spécialiste du consentement, elle a publié l’ouvrage de référence Les pièges du consentement. Pour une redéfinition pénale du consentement sexuel, aux éditions iXe et a récemment co-organisé des journées d’étude sur le consentement en droit à l’Ecole Nationale de Magistrature. 

Notre interview de Catherine Le Magueresse

Les pièges du consentement

Catherine Le Magueresse nous explique à quelles conditions le consentement peut aider à faire progresser la justice pour les survivantes de viol ou comment ne pas tomber dans les pièges du consentement. Elle évoque aussi la définition du viol dans le code pénal français et son influence sur la réponse judiciaire.

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Les pièges du consentement,

“La présomption de consentement est une fiction légale et culturelle qui dispense celui qui initie un contact sexuel de s’assurer du consentement effectif – voire du désir – de l’autre.

Catherine Le Magueresse, Les pièges du consentement

Pour aller plus loin

Les pièges du consentement – Éditions iXe

Catherine Le Magueresse | Cairn.info

Séduction et galanterie à l’ère Post #Metoo – IFOP

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Barbie

Souvenirs de l’été 2023

Jusqu’au 23 février 2025, le Design Museum de Londres propose une exposition sur l’histoire de la poupée Barbie.

C’est l’occasion de se souvenir que l’année dernière sortait le film Barbie réalisé par Greta Gerwig avec Margot Robbie et Ryan Gosling.

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On a beaucoup parlé de ce film notamment pour se demander s’il était féministe ou pas.

Nous avons répondu à cette question dans un épisode de notre podcast.

Culture féminine ou féministe ?

Parler de Barbie, la poupée ou le film, c’est l’occasion de revenir sur la phrase par laquelle commence tous nos épisodes : ce podcast met en valeur la culture féminine et féministe.

La culture féminine, c’est tout ce qui concerne les femmes… les livres qu’elles lisent, les films qu’elles regardent, les fictions qu’on crée pour elles… La culture féministe, c’est politique – le point commun à tous les féminismes je pense c’est de vouloir changer la condition des femmes ou au moins de certaines femmes–, c’est la volonté de changer la société…

Alors évidemment les deux sont liés. D’abord, on peut faire une lecture féministe de la culture féminine. C’est ce qu’on fait souvent dans notre podcast. Ensuite, mettre en valeur la culture féminine contribue à valoriser les femmes et à casser des stéréotypes de genre. Par exemple, pourquoi ce serait mieux de jouer avec un ballon que de sauter à la corde ? Pourquoi ce serait mieux de faire un film sur les Transformers que sur Barbie?

Donc Barbie, la poupée comme le film, c’est de la culture féminine sans aucun doute. C’est un jouet conçu pour les filles, que beaucoup de petites filles ont reçus ou aurait aimé recevoir… C’est une référence qui renvoie à la culture féminine que ce soit pour s’en moquer, pour la critiquer ou la valoriser.

Et souvent quand on se moque de la poupée Barbie, on se moque des petites filles qui jouent avec… on les dévalorise… Et c’est pas bien pour l’estime de soi… Etc.

Donc valoriser la culture féminine contribue à changer le point de vue sur les femmes, l’éducation des filles et participe donc d’un féminisme. Mais la culture féminine en soit n’est pas féministe.

Barbie, une féministe ?

La poupée Barbie appartient à la culture féminine mais est-elle féministe? Participe-t-elle à un projet de changer la société??? Pas vraiment. Et pareil pour le film…

Ni la poupée ni le film Barbie ne vont changer le monde.

C’est d’ailleurs un point positif du film, le film ne cherche pas à nous mentir. Au contraire, il fait apparaître l’hypocrisie du discours de Mattel. C’est une femme qui a créé la poupée pour les petites filles mais Mattel est un empire d’hommes qui recherchent à faire un max de profits et qui n’ont aucune intention de changer le monde. Les Barbie peuvent être tout ce qu’elles veulent, recevoir des prix Nobel et diriger des pays, ce n’est absolument pas le cas pour les femmes de notre monde.

Attention le film va faire le grand écart à votre cerveau :

Par exemple, le film dénonce le capitalisme mais est une pub géante pour Mattel. Il prône la diversité mais c’est la Barbie blanche, blonde aux mensurations parfaites qui est la star. Alors ok, elle est appelée stéréotype de la Barbie… Là encore on peut saluer l’honnêteté du film : ce n’est pas parce qu’on a fait toute sorte de Barbies qu’on a changé les représentations sur la beauté…Le film dénonce certains stéréotypes sur l’apparence mais il présente des relations entre les hommes et les femmes très stéréotypées…

C’est un film qui prétend mettre à l’honneur la sororité mais il raconte une quête individuelle, c’est l’histoire de l’émancipation de la Barbie incarnée par Margot Robbie… Et bon si vous avez vu le film, vu le twist final, on ne peut vraiment parler d’émancipation…

Un film à voir quand même

Il y a beaucoup à critiquer mais il y a aussi des points positifs, on l’a déjà dit le film met en valeur la culture féminine et est très honnête sur le féminisme-washing autour de la poupée. Et j’ajoute un troisième point positif : le film appartient à la culture féminine comme Bridget Jones ou Angélique marquise des Anges, mais cette fois, il n’est pas question de romance. Barbie, le film, n’est pas une histoire d’amour, le personnage de Margot Robbie ne recherche pas l’amour… Scoop : Barbie n’est pas amoureuse de Ken.

Alors Barbie n’est pas féministe et ne va pas changer le monde, la réalisatrice Greta Gerwig en revanche est féministe et va peut-être changer l’histoire du cinéma et des films pour les femmes…

Pour aller plus loin

Notre épisode

https://usbeketrica.com/fr/article/comment-barbie-nous-plonge-dans-l-ere-du-meta-moderne

https://theconversation.com/le-film-barbie-est-il-vraiment-feministe-210261

What « Barbie » Gets Right About Male Psychology

Tribune d’Azélie Fayolle dans le Monde

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Jessica Jones et la culture du viol

Notre dernier épisode est en ligne! Il parle de la série Jessica Jones créée par Melissa Rosenberg avec Krysten Ritter dans le rôle titre.

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Krysten Ritter dans Jessica Jones

Et si nous avions des super -pouvoirs?

C’est une histoire de super-héroïne Marvel avec ses questions habituelles sur l’héroïsme, la responsabilité et les progrès scientifiques, son lot de clichés (héroïne orpheline, complot très compliqué…) et aussi ses défauts (manque d’intersectionnalité, fatalisme…).

Toutefois nous souhaitons distinguer cette série car elle allie le fond et la forme pour dénoncer la culture du viol. Attention l’article contient quelques spoilers sur la saison 1!

Un super-pouvoir pour illustrer l’emprise

Kilsgrave, le méchant de la saison 1, a le pouvoir de faire faire aux gens ce qu’il veut. Il remplace la volonté de ses victimes par la sienne…. 

Hope a sorti un pistolet de son sac et tiré à multiples reprises sur ses parents mais c’est Kilsgrave qui les a tués. Il n’était pas là au moment des faits, il n’était pas là quand Hope a mis l’arme chargée dans son sac mais il a planté dans l’esprit de Hope l’envie de les tuer. Hope n’est pas inconsciente au moment des faits, elle est même consciente de vouloir tuer ses parents, elle est capable de planifier, de choisir le moment où elle ne pourra pas les manquer…. Après le crime, Hope est dévastée, elle peut témoigner du pouvoir de Kilsgrave mais elle n’est pas convaincue de son innocence.

Jessica Jones, elle aussi victime de Kilsgrave l’est et se donne la dure mission de prouver que le pouvoir de Kilsgrave de contrôler les esprits existe.

Remarquons que l’emprise mentale ou le contrôle coercitif sont des phénomènes documentés et que l’on a de nombreux témoignages. Cependant les victimes ont du mal à être entendues et respectées. Pourquoi ?

Parce que la culture du viol

Kilsgrave incarne la culture du viol

La culture du viol c’est d’abord la négation du consentement. Et le pouvoir de Kilsgrave symbolise cette négation. Jessica le lui dit clairement dans l’épisode 8 : “Not only did you physically rape me but you violates every cell in my body and every thought in my godamm head

Kilsgrave nie l’accusation en arguant sur le décor : tout s’est passé dans des hôtels et des restaurants de luxes, comment cela pourrait-il être un viol? Cette remarque renvoie au scénario stéréotypé du viol dans une ruelle sombre… Il y a aussi l’idée que toutes les femmes sont à vendre, et qu’il a payé et mériterait donc un peu de reconnaissance… Ces clichés sur le scénario du viol et les femmes nourissent la culture du viol.

Un autre élément de la culture du viol est le retournement de culpabilité : on se met à plaindre l’agresseur et on accuse la victime. Kilsgrave essaye de se rendre sympathique en soulignant ses efforts pour ne pas toujours utiliser son pouvoir, son enfance difficile ou son amour pour Jessica. Tout ce qu’il voulait selon lui c’était l’amour de Jessica ou tout au moins un peu de reconnaissance, un sourire.

D’abord, il prétend cet « amour » réciproque : elle a choisi de rester avec lui, preuve que cela ne devait pas être si déplaisant, non? Dans l’épisode 10, Jessica raconte qu’elle a essayé de partir mais il l’a très vite recontrôlée avec son pouvoir. Il essaye de lui dire que les choses ne se sont pas passées comme elle le dit mais elle a une cicatrice pour prouver que sa version est la plus proche de la vérité.  Dans l’épisode 9, il essaye de diminuer le rôle de son emprise. Jessica a tué une femme selon sa volonté, mais il prétend lui avoir seulement demander de s’en occuper. Il veut ainsi la faire douter de son innocence, la faire culpabiliser. C’est aussi son intention quand il la traite d’ingrate qui n’a jamais apprécié tout ce qu’il a fait pour elle dans l’épisode 10.

Du côté des survivantes

Nier le consentement et blâmer la victime… Jessica Jones n’est pas la seule série à mettre en évidence ces deux caractéristiques de la culture du viol.

Mais Jessica Jones fait mieux… elle décrédibilise voire ridiculise les arguments des agresseurs… Kilsgrave a le profil du héros de romance (riche, britannique et une blessure secrète) mais il est le méchant de l’histoire, et comme c’est une histoire Marvel, il n’y a pas d’ambiguïté. Tous ses efforts pour se poser en victime (Ouin ouin : mes parents m’ont torturé… Ouin ouin : je ne sais jamais si les gens consentent car mon pouvoir est trop fort) sont presque comiques…. Il n’y a pas d’empathie avec Kilsgrave, pas d’himpathy pour reprendre le concept de la philosophe Kate Manne.

C’est d’abord dans sa forme que Jessica Jones s’oppose à la culture du viol. Elle adopte le point de vue des victimes, victimes qui ne correspondent pas aux stéréotypes. Jessica a une force physique surhumaine, elle boit, elle aime faire l’amour. Trish est riche et célèbre… Elles ne sont pas de pauvres femmes attaquées dans un parking. Mais elles sont des victimes qui deviennent des survivantes … C’est leur liberté : choisir de survivre. Jessica Jones le dit dans le dernier épisode : « J’avais le choix, j’ai choisi de survivre ».

De plus notons que les scènes de viol sont hors caméra. On évite ainsi toute esthétisation et on permet aussi aux victimes de ne pas revivre le trauma, de pouvoir réfléchir.

Pour aller plus loin

On Jessica Jones, rape doesn’t need to be seen to be devastating – The Verge

Jessica Jones: shattering exploration of rape, addiction and control

Suárez Tomé, Danila; Rubien, Mariela; Miradas femeninas en pantalla: El caso Jessica Jones; Universidad de Ciencias Empresariales y Sociales; Verba Volant; 7; 2; 9-1-2018; 67-79

Shana MacDonald, “Refusing to Smile for the Patriarchy, Journal of the Fantastic in the Arts, Vol. 30, No. 1 (104) (2019), pp. 68-84 (17 pages).

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Interview – Christophe Furon : Les femmes pendant la Guerre de Cent ans

Nous recevons aujourd’hui Christophe Furon. Christophe Furon est agrégé d’histoire et docteur en histoire médiévale. Spécialiste de la Guerre de cent ans, il a consacré une grande partie de ses recherches aux compagnons d’armes de Jeanne d’Arc, Poton de Xantrailles et La Hire et a récemment publié Les écorcheurs : violence et pillage au Moyen Âge (1435-1445), aux éditions Arkhè.

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Avec lui, nous parlons de la place des femmes dans la Guerre de Cent ans et de l’état de la recherche en Histoire sur ces grandes oubliées que sont les femmes en général.

NB : Jeanne Hachette défend Beauvais contre les Bourguignons, pas les Français !


Pour aller plus loin

Astrid de Belleville« Jeanne de Belleville, la véritable histoire », Centre vendéen des recherches historiques, 2023.

Adrien Dubois, « Femmes dans la guerre (XIVe-XVe siècles) : un rôle caché par les sources ? », Tabularia, Les femmes et les actes, 2004, http://journals.openedition.org/tabularia/1595

Christophe Furon, « « Et libido precipitare consuevit » : viols de guerre à Soissons en 1414 », Questes, 37 | 2018, http://journals.openedition.org/questes/4452

Christophe Furon,  Les écorcheurs : violence et pillage au Moyen Âge (1435-1445), Arkhè, 2022. 

Louise Gay, « Bellatrices Reginae : les reines de France et d’Angleterre entre guerre et diplomatie (XIII e – XIV e siècle) » (thèse en cours de préparation à l’Université Sorbonne Paris Nord)

Monique Sommé, Isabelle de Portugal Duchesse de BourgogneUne femme au pouvoir au XVe siècle, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1998

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En cas de malheur, ne laissez pas Yvette mourir pour rien

You don’t own me/ Don’t say I can’t go with other boys. « You don’t own me », Lesley Gore (1963)

Le scandale du féminicide

En cas de malheur, le récit de Simenon fidèlement adapté à l’écran en 1958 par Claude Autant-Lara est scandaleux. Attendez que je vous explique pourquoi avant de me traiter de prude, de rétrograde ou de moraliste ! Je ne parle pas de scandale en raison des scènes de sexe explicites, de la nudité de Brigitte Bardot ou de l’adultère. Simenon a un scénario original, engagé et stimulant. Un avocat malhonnête, Gobillot, s’éprend d’une cliente prostituée, Yvette ; qui le trompe avec un étudiant idéaliste, Mazetti. Ce synopsis change du scénario classique de l’adultère et pose des questions pertinentes. Qui est le plus jaloux : le jeune idéaliste, le vieux désabusé ou son épouse modèle censée fermer les yeux ? Qui exploite qui ? Qui est responsable : les personnages, leurs parents, la société ? Une bonne critique sociale. Le dénouement néanmoins vient tout gâcher. En cas de malheur est scandaleux car c’est un récit qui tue une femme pour rien. Écoutez notre analyse dans notre podcast ou poursuivez la lecture.

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Brigitte Bardot dans le rôle d’Yvette, 1958.

Une femme de vingt ans qui meurt avant d’avoir vécu sa vie, c’est révoltant. Une femme innocente qui meurt, c’est enrageant. La mort d’Yvette permet de retourner à la situation initiale. Si la morale traditionnelle qui prône la fidélité et réprime la sexualité des femmes a un moment été défiée, elle finit par gagner. Yvette est comme punie pour avoir voulu vivre autrement. Une jeune femme innocente qui meurt pour rien sans que personne ne proteste, c’est scandaleux. À la fin du récit, le vieil amant « [continue] à défendre des crapules »(Simenon, 1989 [1956] : p.513), l’amant assassin n’a aucun remords et son avocat se démène pour lui éviter une lourde peine (Simenon, 1989 [1956] : p. 512-13). Le vieil amant aide d’ailleurs la défense de l’amant assassin…. L’écrivain peut conclure son récit et passer à autre chose. Et Yvette ? On l’enterre à la sauvette. Personne ne la plaint, personne ne la pleure, personne ne crie : « Plus jamais ça ». De même, avant sa mort, personne n’avait essayé de la protéger. La fin du roman n’est ni imprévisible ni inéluctable. La mort d’Yvette aurait pu être évitée car elle était annoncée. En cas de malheur illustre le continuum féminicidaire (Taraud, 2022).

Chronique d’une mort annoncée

Tout d’abord, des indices de la violence du meurtrier, Mazetti, sont données très tôt. Yvette se confie à Lucien Gobillot[1] : elle a peur de rentrer seule (Simenon, 1989 [1956] : p.450). Elle explique que son jeune amant la surveille et lui fait peur : « Dans l’état où il est, il est capable de tout » (Simenon, 1989 [1956] : p. 452). Yvette révèle que l’alcool le rend violent, elle ne termine pas sa phrase mais on comprend qu’il s’en est pris à elle physiquement lorsqu’il était ivre (Simenon, 1989 [1956] : p. 458). Face à ces informations, Gobillot ne s’inquiète pas pour Yvette mais pour lui. Quand Yvette dit « c’est que j’ai peur, surtout pour toi » (Simenon, 1989 [1956] : p. 451), il ne retient que la seconde partie de la phrase. Gobillot a peur que Mazetti l’agresse mais surtout qu’il parvienne à ses fins et le prive d’Yvette. Le jeune homme souhaite en effet qu’elle quitte Gobillot pour l’épouser (Simenon, 1989 [1956] : p. 452). Si Gobillot s’efforce d’isoler la jeune femme, c’est pour la garder pour lui. En effet, il aurait sans doute été plus prudent de l’éloigner de Paris.

Mais Gobillot est tout aussi possessif et jaloux que Mazetti. Il téléphone sans cesse à Yvette, passe ses nuits avec elle pour la surveiller (Simenon, 1989 [1956] : p. 469). Lorsqu’il organise son déménagement, il ne parle pas de sauvetage mais d’enlèvement. Il agit pour enlever Yvette à son rival et c’est pourquoi il lui interdit de sortir, un comportement qui n’est pas sans rappeler le narrateur de La Prisonnière de Proust (Delale, Pinel&Tachet, 2023 : chapitre 4). Gobillot confesse en effet une « passion pour Yvette », passion est à comprendre au sens d’addiction ou d’obsession : « je ne peux me passer d’elle » (Simenon, 1989 [1956] : p. 474). Malgré les indices, Gobillot est incapable de voir qu’Yvette est en danger car il est aveuglé par cette « passion pour Yvette » où celle-ci n’existe pas comme une personne. Lucien est le premier concerné par ce que Duras décrit chez les spectateurs de Bardot, l’interprète du rôle d’Yvette en 1958 : « Elle s’adresse chez l’homme, avant tout, à l’amour narcissique de lui-même. Si une femme comme celle-là m’était livrée, pense l’homme, je la ferais, jusqu’à la folie, à ma façon » (Duras, 2014 [1958] : p. 300). Gobillot ne pense qu’à son Yvette, celle dont il fait ce qu’il veut. Si la disparition d’Yvette compte si peu, c’est parce qu’elle n’est qu’un fantasme aux yeux de Gobillot, de l’écrivain et de beaucoup de spectateur.ices.

Yvette: évitée, abusée et assassinée

Gobillot confie que son attirance pour Yvette est sexuelle, même s’il ne s’explique pas tout à fait pourquoi il est plus attaché à elle qu’à ses précédentes maîtresses (Simenon, 1989 [1956] : p. 433, 472). « Yvette, comme la plupart des filles qui m’ont ému personnifie pour moi la femelle » (Simenon, 1989 [1956] : 473). Lucien ne dit pas qu’Yvette est une femelle mais qu’elle la « personnifie pour lui ». C’est son point de vue. Le récit de Simenon est en effet écrit à la première personne : le lectorat n’a donc accès qu’au point de vue de Gobillot et à l’Yvette qu’il fantasme. Celle-ci est une femelle disponible pour satisfaire « sa sexualité pure » (Simenon, 1989 [1956] : p. 472). Ainsi on retrouve dans le récit les clichés de la pornographie : la femme sans culotte qui écarte les jambes dès la première rencontre (Simenon, 1989 [1956] : p.421), la scène saphique et le plan à trois (Simenon, 1989 [1956] : p. 479). Ni Gobillot ni Simenon ne s’intéresse à la femme derrière le fantasme, Yvette est un personnage évité (Delale, Pinel & Tachet, 2023 : p. 64). On sait qu’elle a organisé un hold-up pour arrêter le trottoir. Fille de fonctionnaires, elle a un jour décider de « tenter [sa] chance à Paris » (Simenon, 1989 [1956] : p. 418-19). Quel était son plan initial ? Et pourquoi insiste-t-elle sur le fait qu’elle ne lit pas de romans mais les journaux ? Toutes les questions sur Yvette restent sans réponse, elle n’est pas le sujet de l’histoire, sujet au sens de thème mais aussi de personnage agissant. Annie Ernaux reconnait en Yvette celle qu’elle était en 1958 : une jeune femme franche dont les hommes abusaient car elle ignorait les règles du jeu de la « séduction » (Ernaux, 2018 [2016] : p.59).

Yvette est une femme abusée. Aucun de ses partenaires sexuels, ni les hommes qui se disent amoureux, ni les femmes qui se disent ses amies ne la protège et cela conduit à sa mort. Pour Simenon, la mort d’Yvette est un moyen de conclure son récit. Remarquons que c’est un moyen habituel de résoudre les passions amoureuses (Bayard, 2007 : p. 140). Yvette aurait pu s’enfuir avec Jeanine à la campagne, trouver un amant à la fois jeune et riche ou rentrer dans sa famille à Lyon. Ainsi, Gobillot aurait aussi été « délivré » de son obsession. Certes, il resterait une possibilité de la retrouver, mais l’écrivain aurait pu décider qu’il ne la chercherait pas. Choisir de tuer Yvette ou de la laisser en vie revient à juger ce qu’elle incarne. On sait peu de chose sur Yvette, mais elle incarne la liberté et le refus du destin traditionnel des femmes de la bourgeoisie. Elle refuse d’être la fille de ou la femme de , elle se bat pour survivre et surtout rester libre. Par exemple, elle organise le hold-up et quand celui-ci échoue, elle va chez un avocat réputé pour innocenter des criminels. Si Yvette sort vivante du récit, sa liberté, son non-conformisme sont saufs également, si elle meurt, elle est punie pour avoir voulu vivre autrement. Simone de Beauvoir remarque que les personnages de Brigitte Bardot remettent en cause le mythe de l’Éternel féminin (Beauvoir, 1959) : cela est vrai pour Yvette seulement si on ignore la fin, sa mort dont personne ne se soucie.

Mais notre indignation n’est-elle pas exagérée ? Aucune femme n’est véritablement tuée, En cas de malheur n’est qu’une fiction. « Quand bien même la fiction n’est pas le réel, la fiction agit directement sur le réel, et en partie au service de la société réelle. » (Delale, Pinel & Tachet, 2023 : 21). A force de voir mourir les femmes sans que personne ne proteste, on s’habitue et on proteste moins dans la vie réelle. A force de voir mourir des femmes qui revendiquent le droit à la liberté et au plaisir, on finit par croire qu’elles l’ont cherché. A force de voir des personnages féminins qui sont des fantasmes masculins, on prive les femmes de leur fantasme ou tout au moins d’exprimer leurs fantasmes (Chollet, 2021 : chapitre IV). Dans le récit de Simenon, la première personne indique au lectorat qu’il s’agit de la version de Gobillot. Dans le film, il n’est pas aussi évident de s’en rendre compte. Lorsque Brigitte Bardot dit qu’elle est une femelle, comment savoir que ce sont en fait les mots que l’écrivain a attribué à l’amant ? Le continuum féminicidaire, ce n’est pas seulement les indices de la violence du féminicide et l’inconscience de l’entourage, c’est aussi la société qui banalise les meurtres de femmes, même fictionnels (Taraud, 2022). Reste qu’on peut toujours lire Simenon aujourd’hui par antiphrase, ce que Christine de Pizan recommandait face aux écrits misogynes qui décrivaient des femmes qui n’existaient pas (Pizan, 2021 [1405]). En cas de malheur nous montre alors comment éviter un féminicide : en prenant au sérieux les menaces et la jalousie. Il nous encourage aussi à nous intéresser aux personnages féminins évités.

Bibliographie

BAYARD Pierre, 2007, Comment parler des livres qu’on n’a pas lus ?, Paris, Minuit.

BEAUVOIR Simone de, 1959, « Brigitte Bardot and the Lolita syndrome », Esquirre, https://classic.esquire.com/article/1959/8/1/brigitte-bardot-and-the-lolita-syndrome (consulté le 21 juin 2024)

CHOLLET Mona, 2021, Réinventer l’amour. Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles, Paris, La Découverte.

DELALE Sarah, PINEL Élodie & Marie-Pierre, 2023, Pour en finir avec la passion. L’abus en littérature, Paris, Amsterdam.

DURAS Marguerite 2014 [1958] , « La reine Bardot » dans Outside, Paris, Gallimard, p. 296-300.

ERNAUX Annie, 2018 [2016], Mémoire de fille, Paris, Gallimard.

PIZAN Christine de, La Cité des dames, 2021 [1405] Paris, Le Livre de poche.

SIMENON Georges, 1989 [1956], « En cas de malheur » dans Tout Simenon, tome 8, Paris, Presses de la cité, p. 407-413.

TARAUD Christelle, 2022, Féminicides. Une histoire mondiale, Paris, La Découverte.


[1] Dans le film, le personnage s’appelle André Gobillot.

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Interview de Nina Menkes

Une réalisatrice engagée

Nina Menkes est une réalisatrice qui est née à Jérusalem et a grandi en Californie. Elle enseigne au California Institute of the Arts à Santa Clarita. Nous avons découvert son travail grâce à son film documentaire Brainwashed: Sex-Camera-Power disponible sur Arte.

Elle nous fait l’honneur de nous parler des femmes sur l’écran et derrière la caméra ainsi que du langage visuel de l’oppression souvent résumé par l’expression male gaze.

Le male gaze

Comment vivent les réalisatrices à Hollywood ? C’est quoi le male gaze ? Vous voulez des exemples précis et enfin comprendre c’est quoi le problème avec le male gaze ? Peut-on filmer des scènes de sexe sans male gaze ? Pour répondre à ces questions, écoutez notre interview de Nina Menkes, la réalisatrice de Brainwashed: Sex-Camera-Power.

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Le documentaire de Nina Menkes est disponible en DVD.

Nina nous a épatées par ses réponses claires et sincères ainsi que ses exemples pertinents. Ses arguments sur le male gaze au cinéma nous ont rappelé les nôtres sur les points de vue confisqués en littérature dans Pour en finir avec la passion.

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nina menkes by ondrea barbe smile love

Pour aller plus loin

https://www.arte.tv/fr/videos/110260-000-A/brainwashed-le-sexisme-au-cinema/

https://www.champselyseesfilmfestival.com/2023/en/avant-premieres/movie-604-brainwashed-sex-camera-power

https://www.berlinale.de/de/2022/programm/202200805.html

Laura MULVEY, « Plaisir visuel et cinéma narratif » dans Au-delà du plaisir visuel, éd. Mimésis 2017 [1975].

Films cités en exemple dans l’interview par Nina Menkes :  Lost in translation de Sofia Coppola (2003), Magdalena Viraga de Nina Menkes (1986), Saint Omer d’Alice Diop (2022), Sans toit ni loi d’Agnès Varda (1985), Titane de Julia Ducourneau (2021)

Transcription et traduction

L’interview est en anglais: la traduction et la transcription sont disponibles ci-dessous. Erratum : Nina Menkes est née à Jérusalem.

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Interview – Manuel Alduy (Francetv) : Cannes et #MeToo

Alors que se tient le festival, la presse française titre beaucoup sur #MeToo, avec un focus particulier sur Judith Godrèche. La projection de son court-métrage Moi aussi a fait événement, comme la montée des marches de son équipe le 15 mai ; le geste symbolique de se couvrir la bouche relayée depuis sur les réseaux sociaux semble symbolique d’une montée impuissante de ce sujet dans le milieu du cinéma.

Au même moment, le monde fait sa une sur le #MeToo français, une polémique naît autour de l’idée d’une feuille de route de lutte contre les VSS de Vincent Lindon, à laquelle s’ajoute la rumeur d’une liste de noms d’agresseurs qui circuleraient on ne sait pas trop.

Bref, de l’extérieur, Me Too semble le sujet cannois…

Or, le festival est surtout un gigantesque salon professionnel permettant les rendez-vous, signatures de contrats et la naissance de nouveaux projets.

Qu’en est-il vraiment ?
Pour y répondre, nous recevons aujourd’hui Manuel Alduy, directeur du cinéma et de la fiction chez France Télévisions et nous l’interviewons à Cannes pour le 77e Festival du film.

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Manuel Alduy, vous êtes au festival depuis son ouverture mardi. Le sujet #MeToo a-t-il été présent dans vos discussions professionnelles avec vos partenaires ? Et est-ce qu’il y a un discours différent sur le sujet selon que vous échangez avec des femmes ou avec des hommes ?

Bonjour, merci pour la quasi triple question. En fait, le festival de Cannes, c’est pour l’industrie du cinéma et tous les partenaires, notamment les diffuseurs comme France Télévisions ou d’autres, le moment le plus important de l’année parce que c’est le festival de cinéma le plus important du monde en termes de couverture médiatique, en termes d’importance économique pour le secteur.

Et donc, en soi, toutes les tensions, tous les sujets que la filière peut traiter le reste de l’année, à Cannes, prennent une ampleur un peu plus exagérée, un peu plus aiguë. #MeToo a quand même été un sujet pour le cinéma français sur les derniers mois écoulés. Il y a eu une secousse avec les révélations de Mediapart sur le cas de Gérard Depardieu il y a un an, en mars 2023. Ensuite, un complément d’enquête sur Depardieu, puis, début février, Judith Godrèche qui a relancé le sujet. Et ensuite, le #MeToo garçon. Donc, en fait, il était inévitable d’avoir #MeToo dans les conversations. Ce n’est pas le seul sujet, mais c’est impossible et ça aurait été désastreux que #MeToo ne soit pas quelque part dans les conversations.

Deuxièmement, je pense que, pour des raisons de manipulation contre #MeToo, des gens anonymes sur les réseaux sociaux, Twitter pour ne pas le nommer, ont voulu laisser penser, 15 jours avant, qu’il y avait une liste, une espèce de traque, à dix noms, par des journaux d’enquête comme Mediapart. Et ça, ça a remis une pièce dans le jukebox des conversations professionnelles. Mais collectivement, on sait que cette liste n’était pas là pour dire #MeToo avance mais que #MeToo était une affaire de corbeau, de délation anonyme, puisque sur ces sujets, vous avez deux façons de voir le sujet. Soit vous le prenez du côté des accusés, soit vous le prenez du côté des victimes. Avoir une liste de victimes qui témoignent : « j’ai été abusé, voilà mon histoire », ça c’est une chose. Dire « on n’a rien à vous donner en terme de preuve, un tel et un tel est coupable », c’est une autre démarche. C’est de la diffamation et ça dessert en fait le sujet. Depuis, ça a été très bien expliqué par des journaux, Mediapart a dit qu’ils ne travaillaient  pas sur une liste – ils travaillent sur des cas, mais ils ne travaillent pas sur une liste. Ce sujet de la liste est arrivé un petit peu avant le festival, avant qu’on n’arrive à Cannes. C’est vrai que dans les 48 premières heures du festival, c’était encore un peu dans les têtes de certains et de certaines. Comment il aurait fallu gérer cette liste ? Est-ce qu’on aurait dû demander aux journaux qui étaient nommés de réagir plus vite ?

Enfin, c’est un autre débat, mais oui, on en a un peu parlé. Comme la parole entraîne la parole, plus de cas d’abus dans le cinéma ont été révélés ces derniers mois, tout le monde est arrivé à Cannes en se disant « et si jamais, pendant Cannes, un film est abimé par la révélation qu’un de ses talents est accusé de violences sexuelles ? ». Après, chacun s’y prépare comme il l’entend. Nous, on a une façon de gérer qui est un peu désynchronisée par rapport à un festival. Chez nous, sur la télévision, on ne censurera jamais les films. On ne va pas diffuser un film dans le chaud de l’affaire, sinon on pourrait dire qu’on est indifférent. Et troisièmement, si les cas d’accusation sont nombreux, et pas forcément tous répréhensibles, on n’aura plus envie de célébrer, en tant que soirée spéciale ou thématique, la personne incriminée. Ça n’a rien à voir avec la question de présomption d’innocence.

Ce n’est pas agréable d’avoir à penser à ça, mais je pense que le cinéma a besoin d’être exemplaire, et donc, il faut aider à ce que la parole soit écoutée. La vraie différence entre  aujourd’hui et il y a longtemps, il y a cinq ans, il y a dix ans, il y a quinze ans, c’est qu’il y a toujours eu des cas choquants. Simplement, aujourd’hui, davantage de personnes pensent qu’elles peuvent dire qu’elles étaient choquées sans risquer des représailles.

France Télé soutient la lutte contre les VSS (renommée récemment VHSS, pour violence et harcèlement sexuel et sexiste), notamment par la diffusion du court-métrage de Judith Godrèche, Moi aussi. Il y aura une diffusion d’abord dans C ce soir, le 23 mai, et ensuite sur Culture Box, le 25 mai. Quelle a été la genèse de votre soutien à ce projet et en quoi est-ce qu’il rejoint le line-up ou les engagements de France Télévisions ?

France Télévisions a eu cette démarche, depuis longtemps grâce à notre présidente Delphine Ernotte en 2015, d’amener davantage de parité dans la fabrique de images, c’est-à-dire les personnes qui réalisent ces fictions. Il y a depuis longtemps un quota de réalisatrices sur les fictions télé. Le nombre d’expertes et d’experts sur les plateaux et les émissions est arrivé à la majorité sur l’ensemble des magazines. On pense que davantage de parité dans le cinéma, devant et derrière l’écran, ça va aider ce sujet, la prévention des violences sexuelles dans la fabrique du cinéma. Donc ça, c’est le cadre général.

Pour le long-métrage, on a suivi le sujet sur les violences conjugales avec Jusqu’à la Garde, diffusé en France Télévisions  Il y a eu aussi Les chatouilles d’Andréa Bescond. Donc on est dans un sujet qui est à la fois un sujet éditorial et politique.

Quand Judith Godrèche est venue nous présenter son envie de faire un film, un court-métrage, avec un dispositif, qui n’est de tourner en une seule journée, avec le plus de victimes dans l’installation, on s’est dit, oui, il faut qu’on en soit. Je me souviens, lors du premier rendez-vous, qui était le jour des Césars, on a confirmé qu’on pré-achèterait ce film. L’objectif était qu’il soit prêt pour le Festival de Cannes, et qu’il serve à poursuivre la prise de conscience générale.

Ce qui est très fort dans le film Judith Godrèche – ce n’est pas la première fois que ça arrive dans le cinéma – c’est que quand on montre les victimes, les vraies personnes, ça a une valeur, je pense, documentaire et émotive énorme. Et c’est ça qui est bien dans ce film.

Par ailleurs, on est partenaire du Festival de Cannes, on cherche toujours à avoir des choses à montrer qui soient en lien avec ce festival parce que nous voulons faire vivre le festival à tous en France à travers nos émissions. En fait, il y avait vraiment des arguments éditoriaux, politiques et stratégiques évidents pour nous pour accompagner ce projet.

Le CNC, de son côté, a organisé une rencontre sur les VHSS, malheureusement, seulement accessible sur invitation. Le même CNC conditionne désormais l’éligibilité de ces aides à la formation des sociétés de production à la lutte contre les VHSS. Cette formation va s’étendre à partir de juillet 2024 à toute l’équipe d’un tournage pour chaque tournage. Que pensez-vous de cette décision et de manière générale la politique du CNC sur les VHSS ?

Le CNC a bien agi. Je me souviens qu’il y a deux ans, quand les premières formations obligatoires sont arrivées, certains producteurs considéraient que c’était un peu gonflé, inutile.

En tant que salarié administratif de France TV, on a tous fait une formation sur la violence et le harcèlement sexuel en entreprise. On se surprend toujours à apprendre des choses.

Donc, je pense que le CNC a bien travaillé dans un secteur qui a un mode de fonctionnement que le grand public commence à comprendre, qui est compliqué. Pourquoi ? Parce qu’on n’est pas dans une industrie qui travaille avec des salariés qui viennent le matin au bureau et qui s’en vont le soit. A un moment, un film, c’est juste un scénariste. Après, il y a le moment de casting, on est forcément plus nombreux. Ensuite, il y a un moment de production, de tournage. Là, il y a beaucoup de monde. Parfois, il y a des gens qui se voient aussi le soir. Le tournage ne se Passe pas dans leur ville. Comment on régule ces moments ? Après, il peut y avoir des soirées de fin de tournage,  des moments post-tournage à gérer.  La prévention des violences sexistes et sexuelles sur un lieu de travail, dans un cadre d’entreprise normal, on voit à peu près comment ça doit se passer. Il y a des représentations personnelles, il y a des process, il y a des formations. C’est déjà en gros un gros sujet. Mais sur la production artistique d’un film qui est un processus technique beaucoup plus diffus, ça pose des vraies questions. 

J’ai entendu des productrices et des producteurs me dire, par exemple, ne pas voir l’intérêt de passer une demi-journée à leur expliquer ce qu’il faut faire et ne pas faire sur ce sujet des VHSS. On s’est quand même tous rendu compte que plus on en parle, mieux on arrive à prévenir les risques. Parce qu’on décourage les agressions potentielles. Mais ce n’est pas forcément simple ; il faut reconnaître que ce n’est pas facile. Il faut des formations supplémentaires.

Pour revenir à votre question, je pense que ce sont des bonnes actions qui prennent du temps. Il ne faut pas sous-estimer la particularité du cinéma, comme tout au sein du spectacle vivant, théâtre, concert, etc.

Dans son discours d’ouverture, Camille Cottin a dit que, je cite, « les rendez-vous professionnels nocturnes dans les chambres d’hôtels des messieurs tout-puissants ne font plus partie des us et quittons du vortex cannois ». Alors, question simple, est-ce vraiment le cas ? J’ajoute une observation pour ceux qui ne connaissent pas Cannes en temps de festival. Le dispositif du festival inclut des suites d’hôtels qui sont louées par des professionnels, diffuseurs, producteurs, pour organiser des rendez-vous, et où une grande partie de l’activité, y compris professionnelle, se fait la nuit, dans une atmosphère pratiquement de discothèque à ciel ouvert. Est-ce que tout cela n’est pas propice aux abus ? Et où en est-on vraiment dans les us et coutumes, pour reprendre le terme du vortex cannois ? 

Alors, en fait, il y a plusieurs Cannes. Par exemple, France Télévisions a créé un espace avec Brut, notre éco-partenaire du Festival, qui est un espace à ciel ouvert dans lequel on fait cet enregistrement. On passe notre journée là. C’est un espace qui nous est prêté par le Festival de Cannes. Vous pouvez témoigner, il n’y a pas de chambre. C’est un espèce d’immense hangar, d’une transparence technique totale. Donc, c’est notre façon de travailler. 

Ensuite, il y a effectivement beaucoup de producteurs, plutôt des distributeurs d’ailleurs, qui n’ont pas envie de louer des espaces de travail dans le palais du Festival, où se passe le marché des film. Ces espaces, ce sont des stands. C’est comme le salon du livre. Donc là aussi, c’est transparent. C’est là que les rendez-vous professionnels se font le plus souvent. 

Les suites sont réservées à des quelques sociétés parce qu’elles sont hors de prix ; il y a  aussi des appartements louées à des Cannois qui s’en vont.

Et cette année, le seul sujet qui peut demeurer, c’est que Cannes, c’est douze jours non-stop. Même la nuit. Les films, les projections sont en fin d’après-midi. Les équipes de films se retrouvent avec leurs partenaires vers 23h ou 22h. Vous ne croisez – la ville n’est pas grande – que des professionnels partout, tout le temps, le matin, le midi, le soir et la nuit. C’est vrai qu’il y a un vortex cannois, un petit côté usine. 

Ce qu’il se passe la nuit, franchement, j’en sais rien. Les yachts, c’est un peu un mythe, parce qu’il y a très peu de gens qui ont les moyens d’avoir un yacht. Soit au yacht est au port, mais franchement, yachts et suites, c’est un peu pour la mythologie. C’est un peu le Cannes d’avant.

Aujourd’hui, la filière est quand même un peu plus fauchée, on fait assez attention. Moi, je ne pense pas qu’on découvrira dans trois ans, cinq ans ou dix ans, des cas qui se seraient déroulés cette année. Par contre, on a besoin de parler de ce qui s’est passé il y a dix ans ou il y a vingt ans, à un autre moment, où Cannes était moins médiatisé, mais un peu moins.

Et le message général, c’est que j’espère que toutes les personnes désinhibées dans leur relation avec les femmes – parce qu’en général, c’est surtout les femmes que ces violences concernent – vont se tenir à carreau.

On l’espère, en tout cas… Quel est votre avis sur la sélection de cette année ? Et quels sont vos espoirs concernant la visibilité des femmes et de la diversité dans le futur palmarès ? Est-ce qu’on avance sur cette question aussi ? 

Alors oui, je pense qu’on avance beaucoup. Plusieurs éléments, par exemple, la cérémonie d’ouverture. La cérémonie d’ouverture était une cérémonie sans homme. Ça s’est très bien passé, personne ne s’est dit que c’était une espèce de militantisme, etc. Vous aviez un hommage d’une chanteuse à Greta Gerwig, une palme d’honneur à Meryl Streep donnée par Juliette Binoche. Pas un seul homme n’a eu besoin d’intervenir sur scène. Ça s’est très bien passé. Et le Festival des Cannes est ravi. Tous les échos qu’on a eu, des professionnels, du grand public, ont été très bonnes et montrent que la formule était gagnante. Donc on peut faire de la parité plus-plus, c’est-à-dire de temps en temps ne pas avoir d’homme du tout : ça va bien se passer, c’est pas grave ! 

Après sur la sélection, il y a des pays qui sont plus en avance. Par exemple, nous, à France Télé, on a 19 films soutenus qui sont dans différentes sélections retenus par le Festival de Cannes. Dedans, il y a la restauration du Napoléon d’Abel Gance de 1927, mais sur les 18 films inédits qui restent, il y en a 8 qui sont de réalisatrices. Donc on est presque à la parité. Notre logique c’est de s’imposer au moins 30% ; l’année dernière, c’était 35%, cette année, en 2024, ça sera 40% de films réalisés par des femmes sur un festival qui regarde non pas le sujet du quota, mais le sujet de la qualité des œuvres. Ça passe, ça se voit, les œuvres sont sélectionnées. C’est super. 

Après, le Festival de Cannes choisit des films du monde entier. Il y a les cinématographies japonaises, américaines, il y a besoin d’avoir des films avec du casting international, de cohabiter avec des films qui sont plus intimistes. Il y a énormément de paramètres, en fait, dans la gestion d’un festival comme Cannes, qui fait qu’on n’est pas encore à la parité, mais ça progresse. C’est pour ça que nous, à France Télé, on aimerait bien que les autres diffuseurs financent le cinéma, que ce soit les diffuseurs payants, Canal+, les plateformes, ou nos sponsors privés, qu’ils soient tous dans la même démarche de « fixons-nous des quotas ».

Les quotas ne sont pas forcément indispensables tout le temps, mais quand il n’y a pas de quotas, c’est-à-dire un objectif forcé, ça ne bouge, ça ne bougera pas. Et les quotas font grincer des dents. Et même de productrices : il y a beaucoup de productrices qui sont parfois agacées qu’on leur dise  : « on n’a pas fait assez de films réalisés par des femmes cette année, je suis désolé ». Elles répondent : « Alors vous avez le choix de voir des films de réalisatrices mauvais plutôt que des films de réalisateurs super bons ? ». En général, notre réponse, ma réponse, c’est que tant que les femmes ne font pas autant de navets que les hommes, on a de la marge. C’est juste pour renvoyer la balle. Quand la filière sera collectivement adaptée, on n’aura plus besoin de  poser de contraintes. 

Je me suis un peu éloigné de votre question, mais je pense qu’au global, ça progresse, même si ce n’est jamais suffisant. Il y a aussi des types de films qu’on choisit. Par exemple, une des difficultés des femmes réalisatrices aujourd’hui, c’est qu’elles sont sur des films qui ne sont pas des films de genre grand public. On leur confie plutôt des films intimistes, d’auteur. On les voit rarement aux commandes des films d’aventure, des comédies, des romances. Il y a des réalisatrices dans ce cas mais c’est assez rare : il y a eu Jeanne Du Barry l’année dernière, de Maïwenn Le Besco, qui a fait l’ouverture de Cannes. Audrey Diwan fait une adaptation d’Emmanuelle à la rentrée. Ce sont vraiment des exceptions dans le milieu. Donc les femmes réalisatrices en France sont emprisonnées, je ne pense pas par choix, mais parce qu’elle sont financées plus facilement dans certaines thématiques.  

C’est une logique qu’on retrouve dans beaucoup de secteurs culturels…

Je pense que ça va progresser, ça va bouger parce que les plateformes américaines n’ont pas ces tabous-là. On va être obligé de bouger. Et si on ne bouge pas, c’est une filière qui va être obsolétisée par rapport à la jeune génération. 

Vous êtes très actif sur les réseaux pour défendre la cause #MeToo. Vous êtes peut-être, d’un point de vue extérieur, un des rares à autant en parler et de manière aussi claire. Vous  sentez-vous un peu seul en tant qu’homme dans ces prises de parole ? Pouvez-vous être précurseur dans un mouvement masculin général de ralliement à #MeToo ? 

Je ne sais pas. J’essaie juste de profiter de l’espace que me donne ma position, qui n’a qu’un temps pour, je pense, contribuer à aider à un rééquilibrage sur les regards, une meilleure prévention des violences sur les tournages.. 

En fait, je pense que, depuis 2017 quand #MeToo est arrivé sur les réseaux sociaux, il s’est passé deux choses. Beaucoup d’hommes du secteur sont totalement convaincus mais se sentent à juste titre non légitimes pour en parler. Je pense qu’en effet il faut être prudent. 

Je préfère le moment d’aujourd’hui où on dit « il faut qu’il y ait plus d’hommes » qu’à un moment #MeToo où il n’y a que des hommes sur ces sujets. Oui, ce que je veux dire, c’est qu’on est à un moment où il faut bien montrer que c’est un sujet qui nous concerne tous, femmes comme hommes, parce que c’est un sujet qui crée des souffrances dans les familles, dans la société en général.

Il y a pas mal d’autres personnes qui réagissent. Il y a peut-être un effet de loupe, car ce sont très souvent des hommes qui résistent à #MeToo. Ou des gens de ma génération, c’est-à-dire largement au-dessus de 50 ans. 

Mais en fait, si on élargit un peu la société et qu’on voit au-delà, il y a quand même pas mal de garçons qui sont comme moi !

Pour écouter l’interview, suivez le lien :


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Interview – Catherine Missonier

Catherine Missonier a commencé à publier des livres jeunesse après avoir écrit quelques histoires pour ses propres enfants. Elle connaît le succès avec des histoires policières qui se passent dans des collèges et se consacre pendant près de vingt ans à l’écriture.

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Mais c’est pour un autre ouvrage, Une lignée de femmes, paru chez l’Harmattan en 2015 que nous la recevons aujourd’hui. Nous tenterons de répondre avec elle à la question posée en sous-titre : “Peut-on échapper à l’emprise de sa mère ?” 

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Interview – Fanny Joly, itinéraire d’une autrice jeunesse

Vous connaissez sans doute Sylvie Joly. Peut-être même connaissez-vous Eva Joly. Mais connaissez-vous Fanny Joly ? 

Fanny a 16 ans lorsque sa soeur Sylvie se lance dans le one-woman-show (qui ne s’appelait pas encore comme ça à l’époque). Elle en est une des pionnières. Et c’est avec sa petite soeur que Sylvie écrit ses premiers sketchs…

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Fanny Joly est dès lors lancée dans l’écriture et devient autrice jeunesse. A ce jour, elle a signé près de 500 ouvrages !

Découvrez l’itinéraire d’une autrice jeunesse pas comme les autres dans ce nouvel épisode !

Pour aller plus loin :

https://fannyjoly.com/

127 ALBUMS ET ROMANS EN STREAMING sur STORYPLAYR lien ci-dessous :  https://www.storyplayr.com/search/Fanny%20Joly

NOMBREUX AUDIOS LUS PAR L’AUTRICE / ABONNEMENT D’ESSAI GRATUIT 1 MOIS 

3 ans et +  

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Interview – Isabelle Rome

Nous recevons aujourd’hui Isabelle Rome. Magistrate, Isabelle Rome a récemment été nommée première Présidente de chambre à la cour d’appel de Versailles. On la connaît par ailleurs pour avoir été ministre chargée de l’égalité Femmes-Hommes, de la diversité et de l’égalité des chances de mai 2022 à juillet 2023.

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L’ouvrage dont nous allons parler aujourd’hui n’est pas le premier qu’elle publie. Avant la Fin de l’impunité, Isabelle Rome a en effet écrit Vous êtes naïve, Madame la juge en 2012, Dans une prison de femmes : une juge en immersion, préfacé par Robert Badinter en 2014, Liberté, égalité, survie, chez Stock en 2020 et L’emprise et les violences au sein du couple chez Dalloz en 2021. Mais c’est pour parler de son action en faveur des femmes et de son dernier ouvrage, La fin de l’impunité, paru chez Stock en février dernier.

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Interview d’Elodie Pinel : les philosophEs sont-elles des femmes?

Un essai chez Stock : Moi aussi je pense donc je suis

Elodie Pinel a publié le 14 février un essai sur les femmes philosophes aux éditions Stock. Cet essai vise à nous faire découvrir des penseuses trop souvent oubliées des manuels scolaires et des amphithéâtres et à nous faire penser avec elles, quelque soit notre expérience de la philosophie, quelque soit notre genre, quelque soient nos opinions. Elle nous explique son projet dans notre épisode du 10 mars.

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Un parcours autobiographique

Dans son essai, Elodie Pinel revient sur son parcours de philosophe. Elle remarque les femmes qui lui ont manqué : les enseignantes à l’université et les modèles dans les livres. Elle se demande pourquoi elle a cru abandonner la philosophie en ne devenant pas aussitôt professeure de philosophie. Elle témoigne de son combat pour l’égalité. Sa copie d’agrégation qui comportait autant de références à des philosophes femmes qu’à des philosophes hommes ne devrait pas être une exception.

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Une enquête sur l’invisibilisation des femmes

Dans son essai, Elodie Pinel met en avant les procédés qui ont conduit à éliminer les femmes philosophes des manuels scolaires et des bancs de l’université. Elle ajoute que certains procédés sont encore à l’œuvre aujourd’hui : « en 2019, sur 84 noms de la liste des auteurs à étudier en classe de terminale, seuls 5 sont féminins. Hannah Arendt, Simone
de Beauvoir, Simone Weil, Elizabeth Anscombe,
Jeanne Hersch ont ainsi les honneurs du Conseil
supérieur du programme
« 

Une (re)définition de la philosophie

Sa recherche de femmes philosophes conduit Elodie Pinel à s’interroger sur la définition de la philosophie. Si l’on en fait un métier lié à l’enseignement et à l’université, dont les femmes ont longtemps été exclues, on contribue à invisibiliser les femmes. Si l’on réduit la contribution des femmes à leur féminisme, on en fait des militantes plus que des penseuses ou des références.

Et si on lisait ces femmes au lieu de disserter sur leur genre?

Pour aller plus loin

Au sujet de « Moi aussi je pense donc je suis. Quand les femmes réinventent la philosophie » d’Élodie Pinel – humanitelles

5 essais pour repenser nos vies | Les Inrocks

Moi aussi je pense donc je suis | Philosophie Magazine

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Interview de Jennifer Tamas

Actualiser notre lecture des classiques

Dans son essai Au Non des femmes (Seuil, 2023), Jennifer Tamas fait le lien entre des questions actuelles (le consentement, le sexisme…) et la littérature dite classique. Elle n’hésite pas par exemple à comparer le personnage d’Hélène à Marilyn Monroe.

Notre interview de Jennifer Tamas

(Re)lire les classiques

Jennifer Tamas nous invite ainsi à retourner aux textes. En effet, ce qu’on croit savoir sur les classiques nous vient souvent d’un manuel, d’une critique ou d’une autre œuvre. Quelle version du Petit Chaperon Rouge a-t-on lu? A-t-on fini Andromaque de Racine ou se souvient-on surtout des peintures qui la représentent implorant Pyrrhus? Parle-t-on de la Princesse de Clèves ou de la lecture de Philippe Sollers?

Souvent des stéréotypes sexistes nous détournent des héroïnes et de leur bravoure. On voit en Andromaque une veuve noire et en la Princesse de Clèves une femme frigide au lieu de remarquer qu’elles sont des héroïnes du non. Jennifer Tamas nous invite ainsi à libérer les classiques du regard masculin.

Jennifer Tamas invitée de notre podcast

Jennifer Tamas a répondu à nos questions et nous a permis de réaliser un épisode passionnant où se mêlent réflexion sur le rôle de la littérature, interrogation sur sa transmission et mise en évidence de notre vision faussée de l’Ancien Régime.

Merci à Jennifer Tamas et à nos auditeurices !

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crédits Bénédicte Roscot

Pour aller plus loin

Comptes de Jennifer Tamas : @JennTamas (Twitter) ; @jenntams (Instagramm)

Site perso de Jennifer Tamas

Ovidie, Princesse de Clèves des temps modernes ? Une ou deux vertus de l’anachronisme

Notre interview de Jennifer Tamas

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Rachilde, homme de lettres

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Nous recevons aujourd’hui Cécile Chabaud. 

Cécile Chabaud est romancière. Professeure de français, elle a signé d’abord un ouvrage sur le métier d’enseignant Tu fais quoi dans la vie ? Prof ! en 2021. Rachilde : homme de lettres est son deuxième livre ; il a déjà été suivi par un autre roman, Indigne, paru cette année et soutenu haut et fort notamment par Gérard Collard.

C’est pour parler de Rachilde, cette figure trop peu connue et fascinante du XIXe siècle littéraire, que nous l’avons invitée aujourd’hui.

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Maud Ventura, Mon Mari

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Nous recevons aujourd’hui Maud Ventura pour son premier roman Mon Mari paru chez L’iconoclaste en 2021 et sorti en poche cette année. 

Maud Ventura est romancière. Diplômée en philosophie à l’ENS de Lyon et en management à HEC, c’est une passionnée de littérature dont les lectures ont nourri l’écriture. Elle a travaillé ces dernières années dans le secteur du podcast, que ce soit pour Radio France ou NRJ, et s’est particulièrement penchée sur la question des relations amoureuses. 

Nous sommes ravies de l’accueillir aujourd’hui pour parler de son premier roman au succès retentissant qui a été la 4e meilleure vente pour un premier roman en 2021.

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Lire Paul Bourget aujourd’hui

Rencontre avec Dominique Ancelet-Netter

Dominique Ancelet-Netter a occupé la fonction de Maître de conférences en littérature à la faculté des lettres de l’Institut Catholique de Paris. Chercheuse en littérature, elle est spécialiste du Moyen Âge mais aussi de Paul Bourget.

Après avoir lu notre essai Pour en finir avec la passion (co-écrit avec Sarah Delale, Amsterdam, 2023), elle nous a contactées pour nous conseiller de lire Paul Bourget.

Cela nous a bien sûr surprises : pourquoi lire un écrivain oublié et réactionnaire quand on s’intéresse à la condition féminine et au féminisme?

Mais la lecture de quelques textes de Paul Bourget (disponibles sur Gallica ) nous a convaincues d’inviter Dominique Ancelet-Netter dans notre podcast.

Elle a répondu à nos questions avec enthousiasme.

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Pour aller plus loin

Pauvre petite! une nouvelle de Paul Bourget pour commencer.

Au maître, au confrère, à l’ami : florilège d’envois à Paul Bourget. Barbey d’Aurevilly, Zola, Huysmans, Mauriac… Les plus grands noms de la littérature de la fin du XIXe et du début du XXe siècle lui ont adressé leurs témoignages de respect, d’estime ou d’amitié.

Fonds Bourget ICP Nakala

Numéro 165 (avril- juin 2023) de Transversalités (Revue de l’Institut catholique de Paris) consacré à Paul Bourget 

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Les femmes dans les polars

Interview de Caroline Granier

Caroline Granier est enseignante en lycée, normalienne, agrégée et docteure en Lettres modernes. Elle a soutenu sa thèse de doctorat en 2003 à l’Université Paris-VIII : “Nous sommes des briseurs de formules » : les écrivains anarchistes en France à la fin du dix-neuvième siècle”. Elle est publiée en 2008 aux éditions Ressouvenances. C’est dans cette même maison d’éditions que Caroline Granier a publié deux ouvrages qui nous intéressent aujourd’hui : À armes égales. Les femmes armées dans les romans policiers contemporains, en 2018  et En quête d’héroïnes en 2022.

Quand des lectrices de polars se rencontrent…

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Notre interview est en ligne.

Caroline Granier nous explique pourquoi elle s’intéresse aux polars en féministes.

Puis nous parlons victimes, criminelles et héroïnes…

« J’ai vu dans ces héroïnes l’antidote à des siècles de littérature classique qui ont décliné le récit de la défaite des femmes, qu’elles soient fragiles ou victimes, vaincues ou assassinées, corruptrices ou fatales » (Caroline Granier, À armes égales, p. 12)

Pour en savoir plus

Le site Les louves du polar

Caroline Granier, À armes égales. Les femmes armées dans les romans policiers contemporains (Ressouvenances, 2018)  et En quête d’héroïnes ( Ressouvenances, 2022).

Élodie Pinel, « Le succès du roman policier français », Études, 2020/1 (Janvier), p. 93-101. DOI : 10.3917/etu.4267.0093. URL : https://www.cairn.info/revue-etudes-2020-1-page-93.htm

Caroline Granier tient un blog et un compte insta : Vive les polars féministes!

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Interview d’Azélie Fayolle

Azélie Fayolles

Azélie Fayolle est chercheuse en littérature, postdoctorante à l’Université Libre de Bruxelles et agrégée de lettres modernes. 

Sa thèse Ernest Renan : savoirs de la nature et pensée de l’histoire vient d’être publiée chez Honoré Champion.

Son projet FNRS, « Femmes, nature, discours », est consacré à l’étude des féminismes du XIXe siècle, à l’idée de nature et au statut discursif des textes protéiformes des féministes et à leurs styles.

Un grain de lettres

Elle anime depuis 5 ans la chaîne Youtube “Un grain de lettres “où on cause de littérature, le plus souvent, de féminismes, régulièrement, de lectures, et surtout ce que ça fait, à ce moment-là, de …” . Les vidéos sont toujours improvisées.

Des femmes et du style. Pour un feminist gaze.

Azélie répond à nos questions sur son essai publié aux éditions Divergences Des femmes et du style. Pour un feminist gaze.

Une phrase clé : “Le feminist gaze fait le lien entre le regard des féministes sur le monde, et sa réalisation dans leurs oeuvres”(p. 33)

“Les romans à male gaze oeuvrent activement pour créer et entrenir une connivence masculine et viriliste, un immense boys’club se tapant sur l’épaule dans les bordels et se saluant de texte en texte” (p. 133)

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Photo Gracia Bejjani

Pour aller plus loin

un grain de lettres – YouTube

Des femmes et du style. Pour un feminist gaze. | Editions Divergences

Qu’est-ce que la littérature féministe ? Azélie Fayolle (Des femmes et du style)

Dans cet épisode, nous rencontrons Azélie Fayolle pour parler de son essai Des femmes et du style et pas que… Il est aussi question de sa chaîne YouTube Un grain de lettres, de Renan, du XIXème et d’un livre de Kate Millett dont a oublié le nom (c’est Sexual Politics)
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Interview de Benjamin Altur-Ortiz – Les femmes dans le cinéma français des années 40-50

Vous connaissez sans doute Jacques Becker, mais avez-vous déjà entendu parler de Jean Grémillon ? De Julien Duvivier ? Ces trois cinéastes ont pourtant montré des personnages féminins, des situations typiques de la condition féminine voire ont abordé la question des violences sexuelles et sexistes avec pertinence et modernité. 

Nous nous entretenons aujourd’hui avec Benjamin Altur-Ortiz, scénariste, réalisateur et producteur (Benur Films) au sujet de leur filmographie et de leur conception du cinéma : comment parle-t-on des choix de carrière des femmes dans L’amour d’une femme de Grémillon ? En quoi Jouvet incarne-t-il un Don Juan plus vrai que nature dans La fin du jour de Duvivier ? Et comment représente-t-on l’agression sexuelle dans Rue de l’estrapade de Becker ? 

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Actualités – Pour en finir avec la passion : les origines

Aujourd’hui nous vous proposons un épisode un peu particulier : Marie Pierre et moi, nous nous recevons nous-mêmes et nous accueillons une troisième personne, que nous avions déjà interviewée, Sarah Delale. Nous avons en effet écrit un essai à trois qui vient de sortir le 21 avril aux éditions Amsterdam. 

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Il s’appelle Pour en finir avec la passion : l’abus en littérature et nous allons vous dire aujourd’hui de quoi il parle, comment le projet nous est venu et surtout comment nous avons chacune rencontrée une des oeuvres dont parle ce livre. 

Dans cet épisode, nous vous parlons de Bel-Ami de Maupassant, du Rouge et le Noir de Stendhal et des Hauts de Hurlevent de Brontë. 

Et pour en savoir plus :

Sarah Delale, Élodie Pinel, Marie-Pierre, Pour en finir avec la passion : l’abus en littérature, Paris, éditions Amsterdam, 2023

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Interview d’Elodie Jauneau sur les femmes dans l’Armée française

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Nous recevons Elodie Jauneau, historienne spécialiste des femmes dans l’Armée Française. Après avoir consacré une thèse de doctorat à la féminisation de l’armée française, Elodie Jauneau a publié plusieurs articles sur la place et la représentation des femmes dans différents conflits, comme la Seconde Guerre Mondiale et la Guerre d’Indochine. Nous avons eu le plaisir de lire ses travaux, qui ajoutent une pierre à notre connaissance de l’importance des femmes dans la société française, mais aussi de leur invisibilisation.

Pour aller plus loin : 

JAUNEAU Élodie, « Des femmes dans la 2e division blindée du général Leclerc. Le Groupe Rochambeau : un exemple de féminisation de l’Armée française », Travail, genre et sociétés, 2011/1 (n° 25), p. 99-123.

-, « Images et représentations des premières soldates françaises (1938-1962) », Clio. Histoire, femmes et sociétés, 2009/2 (n° 30), p. 231-252. 

-, « Les « mortes pour la France » et les « anciennes combattantes » : l’autre contingent de l’armée française en guerre (1940-1962) », Histoire@Politique, 2012/3 (n° 18), p. 144-161. 

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Interview de Corinne Beck pour le #MeTooUniversité

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Aujourd’hui, nous recevons Corinne Beck, professeure émérite de l’Université de Valenciennes, spécialiste d’Histoire médiévale, au sujet du sexisme à l’université. Plusieurs enquêtes ont en effet été récemment menées qui montrent que les étudiants et les étudiantes sont la cible de bizutage dans les grandes écoles, mais ce que l’on sait et ce que l’on dit moins, c’est que le harcèlement moral et sexuel sévit également du côté du corps professoral. Il est donc temps de lancer un #MeTooUniversité.

Pour répondre à son appel à témoignage, envoyez-nous un mail à quiapeurdufeminisme@gmail.com !

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Cécile Kohler, otage en Iran

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Aujourd’hui  nous enregistrons un épisode un peu spécial car nous allons parler de la situation de quelqu’un que je connais bien et qui est mon amie, Cécile Kohler détenue arbitrairement en Iran depuis le 7 mai 2022. Pour en parler, nous recevons aujourd’hui sa petite soeur, Noémie, qui se bat depuis des mois pour la faire libérer, Avec elle nous allons parler de la situation de sa soeur, des circonstances de son arrestation et de ce qui peut être fait pour accélérer son retour en France. (Élodie Pinel) 

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Photo @LePoint
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Interview – Maëva Lopez de Soleil Mangas

Bonjour et bienvenue sur Qui a peur du féminisme ?, le podcast qui met en valeur la culture féminine et féministe.
Le manga est un genre en pleine expansion en France ; en 2021, une bande dessinée sur deux vendue en France était un manga et l’adaptation cinéma de One Piece s’est classé l’été dernier à la deuxième place des meilleures entrées… Pourtant, ce n’est pas dans les mangas que les femmes semblent a priori les mieux représentées. Faut-il s’en inquiéter ?

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Pour en parler, nous recevons aujourd’hui Maeva Lopez, assistante éditoriale chez Soleil Manga pour parler des femmes dans les mangas. Après des études de lettres au cours desquelles elle écrit un mémoire sur la manière dont les mangas adaptent les classiques de la littérature européenne, Maeva a commencé sa carrière au sein de la maison d’édition Soleil Manga du groupe Delcourt comme assistante éditoriale en septembre 2021.

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas les éditions Soleil, c’est la maison d’édition qui a publié la série The Legend Of Zelda, Splatoon ou encore Battle Royale… Des musts dans l’histoire des mangas !

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Interview de Julien Marsay- La revanche des autrices

Connaissez-vous Marguerite Porete, Madame de Graffigny, Olympe Adouard, Marie-Anne Barbier et Catherine Pozzi ?

Couverture de l'essai La revanche des autrices représentant une plume.

La revanche des autrices de Julien Marsay va non seulement vous dire qui sont ces autrices mais surtout pourquoi vous ne les connaissez pas. Cet ouvrage n’est ni une anthologie ni une galerie de portraits mais une enquête mettant à jour les méthodes et les procédés qui ont permis durant des siècles de systématiquement caricaturer, cacher ou silencier les autrices.

Invité dans notre podcast, Julien Marsay nous présente des exemples de ces méthodes et de ces procédés d’invisibilisation.

Julien Marsay, portrait
Julien Marsay (copyright : Alexandre Isard)

Pour aller plus loin

La revanche des autrices. Enquête sur l’invisibilisation des femmes en littérature

Le compte twitter @Autrices_Invisi

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Interview de Karin Bernfeld – Plainte contre X, l’envers de l’industrie du porno

Notre invitée est Karin Bernfeld, écrivaine, actrice, docteure en sémiologie des textes et des images. Ses écrits nous interrogent sur le corps, l’écriture soi, l’identité à travers la sexualité, l’adolescence, les troubles alimentaires, la pornographie….


La pornographie est le sujet principal de Plainte contre X, un monologue. Estelle connue dans le monde de la pornographie sous le nom de Roxanne Wolf, dénonce tous ceux qui l’ont violée et agressée : ses parents, son premier petit ami, ses partenaires, les producteurs, les consommateurs de films pornographiques…

Pour aller plus loin
Karin Bernfeld, Plainte contre X
Le site de Karin Berfeld
Le teaser du spectacle Plainte contre X
Article de Karin Bernfeld dans l’Obs, « Sous couvert de culture on nous vend du porno » (13 août 2015)

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Article de Sylvia Duverger sur l’écriture inclusive (2/2)

Suite et fin de l’article de Sylvia Duverger sur l’écriture inclusive. Son interview est toujours en ligne sur le podcast Qui a peur du féminisme ?

À quand la fin de l’hégémonie linguistique du masculin ?

Il a été amplement montré qu’en matière de genre (féminin et masculin),  l’évolution du français est politique. 

Des grammairiens ont œuvré à ce que le français reflète l’organisation patriarcale de la société. Comme l’observait la linguiste Maria Candea dans un entretien que nous avons eu en 2014, ces grammairiens ont fait en sorte que les filles apprennent très vite, dès leur accès au langage, qu’elles étaient en toutes circonstances subordonnées aux hommes. C’est ce que signifie la règle « du masculin qui l’emporte sur le féminin », dont l’histoire, que nous rappellerons, ne laisse aucun doute à ce sujet.

L’exclusion du symbolique – de la langue, des représentations et de la culture –, exprime et conforte celle du politique et de l’économique.Affirmer que le masculin prend une valeur neutre, ou générique, et qu’il s’agit d’un genre « non marqué » ou « extensif » lorsqu’il prévaut sur le féminin dans une phrase où il cohabite avec lui ne relève pas de la grammaire en tant que telle et des règles qui sont nécessaires pour que nous puissions échanger, mais de l’idéologie phallocratique.Dire, comme nous verrons que le font des académiciens, que les titres désignant des fonctions prestigieuses (présidence, ministère, direction, rectorat…) ont vocation à demeurer au masculin même lorsque des femmes les exercent, c’est signifier que celles qui y accèdent sont des intruses dont il s’agit d’invisibiliser la présence; c’est enjoindre ces intruses à se masculiniser.

Les opposants à la féminisation des noms de métiers, des titres et des grades entreprise en France à partir de 1984 ne considèrent qu’il y a péril en la demeure que lorsqu’elle concerne des rôles socio-politiques jugés prestigieux : aux hommes, les responsabilités et aux femmes, les rôles subalternes.

La féminisation des noms de métiers vise à ce « que des femmes puissent être nommées dans leurs professions comme être social et pas seulement identifiées comme être familial, reproductrice, maman ou putain, “personnes du sexe”, fût-il le beau sexe avec une qualification glorifiante comme on disait “dame-pipi” ! Car l’histoire sociale a donné comme héritage aux femmes – perspective identificatoire – d’être avant tout une “pondeuse”, une reproductrice, un être du privé, du dedans », explique la linguiste Anne-Marie Houdedine, chargée en 1984 par Yvette Roudy d’œuvrer à ce que les femmes puissent se dire dans toutes leurs activités, des plus attendues (le care) aux plus éloignées des stéréotypes de genre (le pouvoir). 

C’est bien en effet parce que la féminisation des noms de métiers et des titres visibilise les apports des femmes à la société, et signifie la légitimité de la place qu’elles ont prise dans la vie publique, économique et culturelle, qu’elle a rencontré – et rencontre encore – une opposition qui peine à dissimuler la misogynie et le sexisme dont elle procède. Sexisme et misogynie que l’histoire de notre exclusion linguistique révèle en effet sans détour. 

Quelques repères dans l’histoire de la (dé)masculinisation du français

Au commencement étaient les féminins

Quelques exemples

Sous l’ancien régime, les titres nobiliaires étaient sexués : duchesse, baronesse, emper(r)esse, emperière

Le titre d’ambassadrice existait bel et bien et il était attribué à des femmes remplissant des fonctions diplomatiques, telle la maréchale de Guébriant qui accomplit une mission en Pologne au nom de Louis XIV. Au XVIIIe, le mot a encore ce sens, mais depuis le XVIIe, il est concurrencé par celui d’« épouse d’ambassadeur », auquel il se réduit au XIXe siècle.

On rencontre au moins une inventeure, une procurateure et une conducteure dans un écrit du XVe siècle ; ceux de phisicienne, cyrurgienne (qui avait le sens d’infirmière), de miresse (la médecin), médecine ou médecineuse… étaient usités.

Dans le domaine religieux, les femmes avaient de multiples responsabilités et leurs titres étaient au féminin : elles étaient abesse (sic), papesse, moynesse, clergeresse (ou clergesse, c’est-à-dire religieuse), prieuresse… 

Les écrits mentionnent aussi des défenderesses, des demanderesses, des jugesses, des possesseuses… et mêmes des prud’femmes.

Rappelons également qu’il y avait des doctoresses (entendez par là des femmes lettrées, des femmes savantes, puis, au XIXe ce terme désigne les premières  médecins, ou « médecines »). Et bien sûr des autrices (ou auctrix, auctrice, authrice), comme l’a montré Aurore Evain. Autoresse, authoresse, auteuresse ont également existé. Ainsi que professeuses, amatrices, inventrices et capitainesses, successrices (sic) et vainqueresses,  parmi tant d’autres.

La faute aux clercs… et à Molière

« De nombreuses études ont montré que, jusqu’au XVIe siècle, la langue avait des formes féminines correspondant à des formes masculines pour pratiquement tous les termes servant à désigner des métiers, titres, grades et fonctions, car du haut en bas de l’échelle sociale, les femmes étaient présentes et leurs activités énoncées par des termes qui rendaient compte de leur sexe. […]. Le XVIIe  siècle centralisateur et dominé par l’image éminemment virile du “Roi soleil” ignorera superbement les termes féminisés, ou lorsqu’il les emploiera, ce sera avec condescendance ou ironie (c’est le cas pour “peintresse”). » En Europe, jusqu’au développement des États, les femmes pouvaient accéder à des fonctions dotées d’un pouvoir politique, judiciaire ou militaire. Bien qu’elles  ne s’y adonnaient que dans une moindre mesure que les hommes, les clercs – les hommes diplômés dans leur ensemble – menèrent une offensive contre elles, afin de conserver leur mainmise sur les charges, les emplois que leur passage par l’université leur ouvrait. En premier lieu, ils ont privé d’instruction (a fortiori d’université) celles qui sinon auraient pu rivaliser avec eux ; et discrédité autant qu’ils le pouvaient les obstinées, devenues savantes et compétentes malgré les obstacles mis à leurs progrès. Ils firent tant et si bien que, par exemple, l’ambassadrice épouse de l’ambassadeur eut raison de l’ambassadrice en mission diplomatique, et que l’on oublia l’autrice pour ne plus songer qu’à la muse … 

Créée en 1635 par Richelieu, l’Académie française a porté la cause du masculin-qui-l’emporte-sur-le-féminin jusqu’à aujourd’hui,comme nous le verrons. Il est vrai qu’elle n’a compté que des hommes jusqu’à l’élection de Marguerite Yourcenar en 1980 (seule parmi les 39 hommes au sein de la Compagnie). Elle n’a admis, en tout et pour tout, que dix femmes, qui toutes n’ont pas siégé en même temps : Marguerite Yourcenar (élue en 1980), Jacqueline de Romilly (en 1988), Hélène Carrère d’Encausse (en 1990), Florence Delay (en 2000), Assia Djebar (en 2005), Simone Veil (en 2008), Danièle Sallenave (en 2011), Dominique Bona (en 2013), Barbara Cassin (en 2018) et Chantal Thomas (en 2021).

À partir du XVIIe siècle, l’on constate une disparition progressive des féminins dès lors qu’il s’agit de professions dotées d’un certain prestige. Comme le dit fort bien Aurore Evain, « ce vide lexicographique était la marque d’une censure et la fabrique d’une exclusion ». À partir du XVIIe, le « féminin conjugal » passe de plus en plus fréquemment sous les fenêtres des grammairiens, sans qu’ils aboient : ces féminins relatifs et subalternes (épouse de l’ambassadeur, du maréchal, du président…) ne les froissent ni ne les alarment. Pas plus que dans les années 1980, ceux de la blanchisseuse, de la cuisinière ou de l’institutrice n’indisposeront les académiciens. 

Peu à peu, entre le XVIIe et le XIXe, un nom de métier au féminin ne désigne plus que l’épouse de celui qui l’exerce. « Le féminin matrimonial est une remarquable image linguistique du statut de la femme, cantonnée à la sphère privée et à ses activités domestiques […], n’accédant au domaine public (masculin) que via son mari », conclut Bernard Cerquiglini.

La guerre menée par le sexe masculin contre le sexe féminin a comporté plusieurs fronts. Quand Molière œuvre à ridiculiser les Précieuses et les femmes savantes, il y apporte une contribution tout particulièrement efficace. Il plaide en faveur de l’ignorance et de l’hétéronomie des femmes, comme le fera plus tard Rousseau dans Émile ou de l’éducation. Émile, cependant,n’est pas aussi souvent étudié au collège, ni même au lycée, que ne le sont l’une ou l’autre des pièces misogynes du dramaturge préféré du Roi-Soleil. Et le rire assure une efficiente police du genre. Pour ma part, j’ai pris une assez claire conscience que j’étais féministe en classe de troisième, et plus Armande qu’Henriette, donc désapprouvée par Molière, et non conforme aux normes de genre encore en vigueur, puisque ma professeure de français semblait épouser le point de vue du dramaturge, bien qu’elle-même célibataire. Combien d’adolescentes Molière est-il parvenu à éloigner de l’étude et du savoir ? 

Le siècle de Molière est celui d’une offensive contre l’emploi de désignations au féminin, nous l’avons vu, mais aussi contre l’accord égalitaire (l’accord de proximité), dont voici le récit.

Un masculin qui s’auto-anoblit

À la Renaissance, dans les écrits, le français supplante progressivement le latin ; or, en latin il y a un neutre, pas en français. Les grammairiens se contorsionnent pour faire valoir que les adjectifs féminins sont dérivés des masculins, comme Ève est, prétend-on, tirée de la côte d’Adam. Au XVIe siècle, « le dogme du masculin géniteur de féminin est bien implanté ». Au XIXe, Bescherelle laissera à penser que le substantif dénommant les personnes est masculin par nature, dont on dérive « son » féminin.

 Au XVIIe, il s’agit de faire triompher le masculin du féminin quand ils se rencontrent dans une phrase. Vaugelas, ordonnateur du bel usage à la cour de Louis XIV et l’un des premiers académiciens, fait feu : « Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut tout seul contre deux féminins ».

Dans ses Doutes sur la langue française (1674), le jésuite Dominique Bouhours, affirme : « Quand les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte », et le plus noble, c’est le masculin, évidemment.

AuXVIIIe, le grammairien et encyclopédiste, Du Marsais confirme :« [le] masculin, [le] plus noble des deux genres compris dans l’espèce ».

L’accord de proximité

L’usage a résisté à la prééminence du masculin dans les accords, jusqu’à ce que l’école républicaine, née au XIXe, impose la règle du masculin qui l’emporte sur le féminin. Oubliée tout à fait la règle de proximité, selon laquelle l’adjectif et le participe passé s’accordent avec le genre (et le nombre) du substantif le plus proche. Au XVIIe, quand le poète François de Malherbe, au nom de la pureté du français, désapprouve, dans l’œuvre du poète Philippe Desportes, l’accord au féminin d’une série de substantifs commençant par des masculins et s’achevant par des féminins, Vaugelas, en revanche, préfère l’euphonie de l’accord de proximité dans « le cœur et la bouche ouverte à vos louanges » .

Notons que l’on accordait également le participe présent : « une couturière demeurante rue Saint-Sauveur ». Et que les pronoms n’avaient pas encore perdu leurs féminins lorsqu’ils se substituaient à un adjectif qui aurait dû être au féminin : « J’étais née, moi encore, pour être sage et je la suis devenue » (Le Mariage de Figaro). Au XVIIe, le grammairien Gilles Ménage reprend l’épistolière Mme de Sévigné parce qu’elle lui répond « je la suis aussi » (enrhumée) lorsqu’il lui dit qu’il est enrhumé : « Il me semble, Madame, que selon les règles de notre langue, il faudrait dire : Je le suis. Vous direz comme il vous plaira, ajouta-t-elle, mais pour moi je croirais avoir de la barbe si je disais autrement. »

Exclusion des femmes du politique et de l’écriture

En 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen… n’inclut pas les femmes ; celle de 1948 le fera… mais en anglais, pas en français ! 

En 1792, la requête des dames déposée à l’Assemblée nationale souligne la dimension politique de la subalternisation symbolique du féminin : « Le genre masculin ne sera plus regardé, même dans la grammaire, comme le genre le plus noble, attendu que tous les genres, tous les sexes et tous les êtres doivent être et sont également nobles » (on trouve ce texte sur Gallica). Cette requête, d’une modernité saisissante, a-t-elle été rédigée par des femmes ou faut-il la tenir pour une parodie, et se montrer soupçonneuse, comme l’historienne Paule-Marie Duhet devant certains cahiers de doléances attribués à des femmes  ? La tendance désormais est à leur accorder du crédit autant que de la pertinence, suivant en cela l’ami de Michelet, Charles-Louis Chassin, qui estime que le contenu de ces écrits atteste d’un « mouvement féminin » actif durant toute la révolution, et Christine Fauré, qui abonde dans son sens.

1801 Sylvain Maréchal républicain révolutionnaire, journaliste et écrivain, est l’auteur d’un Projet de loi portant défense d’apprendre à lire aux femmes. L’article 4 de ce texte précise que « la raison ne veut pas plus que lalangue française qu’une femme soit auteur. Ce titre, sous toutes ses acceptions, est le propre de l’homme seul. » « La raison veut que chaque sexe soit à sa place et s’y tienne »… et la place d’une femme est à la maison : « Une femme qui remplit fidèlement ses devoirs d’épouse et de mère est une véritable divinité, et l’accomplissement de ses devoirs ne peut être compatible avec le goût des sciences et des lettres. » 

Cet écrit de Sylvain Maréchal, qui a tenté de se faire passer pour une plaisanterie, a tout de même été réédité deux fois après sa mort, augmenté de citations d’autres auteurs, observe Geneviève Fraisse. 

Au XIXe siècle, une guerre est menée contre les bas-bleus. À la fin de ce siècle, de nouveau des femmes menacent le pré carré des clercs : elles franchissent les obstacles disposés le long de leur chemin, (re)deviennent doctoresse, chirurgienne, avocate, ingénieure, professeure (ou professeuse)… d’abord sans pouvoir se désigner comme telles.

Le féminin visibilise les femmes 

En 1891, la romancière féministe, fouriériste, socialiste, pacifiste Marie-Louise Gagneur adresse à l’Académie française une pétition réclamant la féminisation des noms de métiers, titres et fonctions qui devenaient « coutumiers à la femme ». Lue en séance le 23 juillet, sa requête reçoit un accueil défavorable de la part des Immortels. S’ensuivent des échanges d’arguments par voie de presse. L’académicien Charles de Mazade lui répond que « la carrière d’écrivain n’est pas celle de la femme » ; il n’est donc pas besoin du mot écrivaine. Autrement dit, il admet que le genre du mot légitime l’exercice d’une fonction par les uns à l’exclusion des autres… ce que nieront catégoriquement les académiciens du XXe siècle, en particulier Lévi-Strauss et Georges Dumézil puis Marc Fumaroli.

1898 Hubertine Auclert, journaliste, écrivaine, féministe (suffragiste, notamment) voudrait qu’une académie féministe ait autant ses mots à dire que l’Académie française : « L’omission du féminin dans le dictionnaire contribue, plus qu’on le croit, à l’omission du féminin dans le code (côté des droits). L’émancipation par le langage ne doit pas être dédaignée. […] La féminisation de la langue est urgente, puisque, pour exprimer la qualité que quelques droits conquis donnent à la femme, il n’y a pas de mots. Ainsi, dans cette dernière législature, la femme a été admise à être témoin au civil, électeur, pour la nomination des tribunaux de commerce, elle va pouvoir être avocat. Eh bien ! on ne sait pas si l’on doit dire : une témoin ? une électeure ou une électrice ? une avocat ou une avocate ?

L’Académie féministe trancherait ces difficultés. Dans ses séances très suivies et où l’on ne s’ennuierait pas, des normaliens […] pourraient, en féminisant des mots, devenir féministes. En mettant au point la langue, on rectifierait les usages, dans le sens de l’égalité des deux sexes. » 

Dans ses discours, De Gaulle s’adressait aux Françaises et aux Français, ce qui était admettre que les uns ne représentent pas les autres. Certains académiciens sont un peu plus qu’agacés par ces adresses paritaires, tel Jean Dutourd. On notera que le slogan de Macron, lors des dernières élections présidentielles, c’était en revanche « Nous tous »… soufflé par Jean-Michel Blanquer, son alors encore ministre de l’Éducation nationale et fervent adorateur du « masculin générique » ?

Sage-femme et maïeuticien ne sont pas dans le même bateau 

1982 La profession de sage-femme s’ouvre aux hommes conformément à une directive européenne.

Trente ans plus tard, Yvette Roudy se souvient : « Quand on a ouvert le métier de sage-femme aux hommes, ils ont voulu une nouvelle appellation : maïeuticien. Pour les hommes, il fallait un terme compliqué et scientifique. »

En 1982, trois hommes deviennent sages-femmes et au moins l’un d’entre eux se réjouit d’être qualifié de tel . Le terme de sage-femme est épicène puisqu’il désigne la ou le sage qui met son savoir et ses compétences (sage) au service de la femme qui accouche ; la ou le sage-femme est donc en quelque sorte une ou un aide-parturiente.

Pourtant, l’Académie se trouve chargée de forger une dénomination conforme au genre de ces nouveaux praticiens. Par Pierre Mauroy, selon l’homme politique, écrivain et académicien Alain Peyrefitte. 

Donner du masculin à une femme, serait-ce donc la hausser au rang de l’humain par excellence, tandis qu’un homme féminisé devrait se sentir humilié ? Médecin et académicien, le Pr Jean Bernard propose « maïeuticien ». Bien que ce terme ait été forgé par le philosophe Socrate pour se désigner lui-même comme un accoucheur, non pas de corps féminins, mais d’esprits masculins, fonction bien plus proche du vrai, du beau et du bien que celle de la simple sage-femme, comme l’était sa mère… En juin 1984,estimant que l’emploi du terme de « sage-femme » pour désigner un homme serait « ridicule », Alain Peyrefitte relaie dans les colonnes du Figaro la trouvaille de son illustre confrère.

Anecdote savoureuse : dans le cadre d’enquêtes linguistiques, Anne-Marie Houdebine a observé que le terme « maïeuticien » n’était pas compris par les locutrices et locuteurs interrogé·es; qu’il était quelquefois rattaché à l’emmaillotage et qu’à la place de « maïeuticien », certain.es entendaient « mailloticien » (construit sur le maillot dont autrefois on entourait le corps des marmots).

« Maïeuticien » fait son entrée dans les dictionnaires, mais il prend si peu que lors de la séance du 11 février 2009, le médecin et sénateur de gauche François Autain s’indigne : « Il serait […] temps de songer au remplacement du terme “sage-femme” par une appellation qui tienne compte du fait que cette profession est exercée par de plus en plus d’hommes. Le terme de maïeuticien, reconnu par l’Académie française, me semblerait particulièrement bien adapté. » Dès lors que des hommes exercent un métier, faudrait-il donc ne plus le dire qu’au masculin ? Même si les femmes y demeurent très largement majoritaires (1 à 2 % d’hommes sages-femmes…) ? 

Il semble que cette préconisation ait fini par être suivie de quelque effet, et l’on trouve désormais dans des textes plus ou moins institutionnels cet étrange couple : « maïeuticien ou sage-femme » , sage-femme ou maïeuticien , le pire étant : « maïeuticien (sage-femme) »… 

Il y a, cependant, des sages-femmes heureux de l’être. L’un de ces heureux accoucheurs dit en outre que « maïeuticien » ne rend pas justice à l’amplitude de ses responsabilités, contrairement à « sage-femme ». Le constat est fait que le terme de « maïeuticien » n’est ni utilisé ni compris . Voilà des sages-femmes bien plus éclairés que les Immortels ! En effet, comme l’observe Claudie Baudino : « Vent debout contre les femmes qui réclameront en 1984 la féminisation des usages, l’Institution s’est réunie pour débattre de la désignation d’un seul homme. […] Au mépris des usagers, l’Académie a fait le choix de la distinction, sociale et masculine. » 

Raphaël Haddad, docteur en communication, qui est à l’origine du Manuel d’écriture inclusive publié en 2016 (voir plus loin) analyse cet épisode dans une note de blog : « “Sage-femme”  constitue […] un bel exemple si l’on veut démontrer combien l’inconfort dans les mots entraîne un inconfort social. » Inconfort social dont les locutrices font précisément l’expérience lorsqu’elles sont dites au masculin sans que les académiciens s’en émeuvent, au moins jusqu’à ce qu’ils comptent dans leurs rangs des femmes qui entreprennent de leur déboucher les oreilles.

1984-1986 : la féminisation des titres et noms de métiers

1984-1986 Yvette Roudy, alors ministre des droits de la femme (sic), charge Benoîte Groult de présider une commission de terminologie afin de féminiser les titres, les noms de métiers et de fonctions pour que les femmes se sentent légitiment à exercer tous les emplois. A ses côtés, Anne-Marie Houdebine, chargée de la direction linguiste de cette commission, dont les travaux conduiront à la circulaire du 11 mars 1986 relative à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre.

Dans un entretien de juin 1984, Yvette Roudy rappelle qu’elle s’est elle-même employée, dès sa nomination, à ce que le féminin cesse d’être jugé inapte à dire les plus hautes fonctions : « Mon propre décret d’attribution m’appelait “madame le ministre”. Quand j’ai lu – parlant de moi – “il pourra… ”, j’ai dit non. Il existe des limites à ne pas dépasser. Je n’ai tout de même pas changé de sexe en accédant à un poste prévu pour les hommes ! Je suis obligée de corriger régulièrement le compte rendu de mes interventions au Parlement pour qu’on y utilise le pronom “elle ” […] Comment expliquez-vous que seules les professions d’exécution puissent être féminisées ? Lorsqu’on a ouvert aux hommes l’emploi de sage-femme, on leur a donné du “maïeuticien”. En revanche, on continue sans sourciller à appeler les femmes des “prud’hommes”.».

Les linguistes québécoises ont été pionnières en matière de démasculinisation du français. Le 8 mars 1983, à Beaubourg, Anne-Marie Houdebine évoque leurs recommandations lors d’une conférence à laquelle Yvette Roudy assiste. Elle souligne l’intérêt du recours aux noms de métiers et aux titres au féminin pour faire apparaître les femmes comme actrices sociales. Or Yvette Roudy tient tout particulièrement à ce que sa loi du 13 juillet 1983 sur l’égalité professionnelle soit suivie d’effets : il faut lever les obstacles symboliques à la parité économique ; les offres d’emploi doivent donc comporter les deux genres, féminin tout autant que masculin. La ministre des Droits de la femme vient de trouver la linguiste qui va lui permettre d’œuvrer en ce sens.

Extrait de l’entretien réalisé en 2016 avec A.-M. Houdebine à ce sujet : « À cause de la loi “dite Roudy” sur l’égalité professionnelle, la ministre nous a dit qu’elle était “accablée” de demandes des divers ministères la questionnant à propos des noms de métiers à proposer aux annonceurs (une majorité d’hommes généralement) qui les questionnaient. Ils ne trouvaient pas les mots. Preuve s’il en est que les Français·es sont insécurisé·es dans leur langue : elles/ils ne la savent pas. Elles/ils la croient existant seulement dans LE dictionnaire. Comme s’il n’en existait qu’un qui dise la langue, quand ce sont ses sujets parlants qui la font exister ! Mais, apparemment, ni les employés des ministères (des hommes pour la plupart dans les années 1980), ni les annonceurs, ni les publicitaires, qui pourtant n’hésitent pas à créer des néologismes, ne connaissent réellement la langue. À moins qu’il ne faille évoquer une causalité, plus politique, plus idéologique : la nomination des femmes est le cadet de leurs préoccupations. Et même, le fait qu’elles ne soient pas nommées comme actrice(s) sociale(s) ne les gêne aucunement. Comme disait Lacan, “la femme n’existe pas”, ce qui fait entendre ce sexisme : d’une femme, ce que la socialité attend, voire chacun, c’est la mère, l’épouse et la mère, mais une femme… de plus actrice sociale, c’est une tout autre affaire ! » 

Telle est bien en effet la fin que poursuivirent sous les augustes voûtes de l’Institut de France, quai Conti, les hommes qui déblatèrent en habit vert contre le féminin, ce genre « marqué » dont la « spécificité » serait contraire à l’universel des fonctions sociales : masquer sous un masculin de façade l’importance croissante des contributions féminines. Ainsi, observe malicieusement Benoîte Groult, les recommandations de l’Académie française en juin 1984 sont-elles de « continuer à dire un écrivain-femme, une femme-avocat, une femme-juge, un peu comme on dit un apprenti sorcier pour expliquer qu’il ne s’agit pas tout à fait d’un sorcier. Contentons-nous d’avoir obtenu de mettre secrétaire au féminin, (au XIXe siècle) toutes les fois qu’il s’agit de servir un patron, mais au masculin quand c’est la France qu’on prétend servir. Ne nous reste-t-il pas lingère, blanchisseuse, manucure, hôtesse de l’air (non, pas pilote, voyons ! pan sur les doigts…), concierge, infirmière, cuisinière et tant d’autres beaux métiers féminins ! »

Cachez ce féminin que les académiciens ne sauraient voir !

Il convient de souligner que la commission, bien que mixte et très légalement constituée, fut aussitôt l’objet d’attaques qui méritent de rester dans les annales du sexisme débridé. Elle comportait pourtant des linguistes renommé·es et fondait ses propositions sur des enquêtes menées conformément à la méthodologie scientifique. Près de quarante ans ont passé sous le pont Neuf et le pont des Arts, et l’Académie a tellement honte du sexisme et de la misogynie évidentes de sa déclaration de 1984 qu’elle l’a supprimée de son site. « Ce ne sont plus le positions de l’Académie », m’a répondu, en substance et en guise d’explication, la personne chargée de la communication de la « vieille dame du quai Conti ». 

À partir de 1984 et vingt années durant, la Compagnie fera obstacle à la féminisation des noms de métiers et des titres. Il faudra attendre 1998 et 2005 pour que, respectivement, Le Monde et Le Figaro adoptent le féminin pour les titres politiques

Les académiciens affirment que le genre grammatical et le sexe n’ont rien à voir ; ils tiennent pour une question subsidiaire que les noms désignant des êtres sexués, en particulier les êtres humains et les animaux qui leur importe, soient grammaticalement genrés conformément à leur sexe (apparent, social ou biologique). Ils omettent l’évidence : dans les noms de métiers, le masculin renvoie aux hommes (boulanger), et le féminin aux femmes (boulangère) ; leurs tribunes, publiées pour la plupart dans Le Figaro, regorgent de sous-entendus ou d’allusions sexuelles, attestant de leur inaptitude à considérer les femmes autrement que comme des objets sexuels – on comprend, dans ces conditions, qu’Hélène Carrère d’Encausse tienne à se mettre à l’abri du masculin pour exercer ses fonctions de « secrétaire perpétuel » de l’Académie française… L’entretien dans lequel le très distingué Georges Dumézil feint de croire qu’il faudra dire « la recteuse » ou « la rectoresse », parce que « la rectrice » désignerait de toute éternité la femme du recteur, et où il finit par louer les mérites de « l’admirable substantif  “conne” », juste après avoir évoqué Benoîte Groult, est à cet égard des plus révélateurs de l’effet de panique que produisent sur les clercs des femmes qui prennent la liberté de féminiser leurs titres, s’autodésignent et se visibilisent en tant que citoyennes actives, portant ainsi un nouveau coup à l’hégémonie masculine. Exit Adam et son pouvoir exclusif de nomination ! tel est en effet ce que signifie la démasculinisation de la langue française. 

C’est cette panique académique, les sophismes qu’elle inspire que nous avons analysées dans L’Académie contre la langue française. Ouvrage très sérieux et pourtant franchement comique, tant ces académiciens qui ne sauraient voir de féminins se transforment en Trissotins, tenaillés qu’ils sont par un inconscient misogyne et de quasi-délires érotico-grammaticaux. 

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Podcast – Sylvia Duverger sur l’écriture inclusive (1/2)

Nous avons enregistré le 12 juin une interview de Sylvia Duverger, journaliste, autrice et secrétaire de rédaction. Sylvia Duverger s’intéresse aux questions de féminisme depuis des années ; elle a ainsi récemment rédigé un article sur l’universalisme et le différentialisme pour la nouvelle édition du dictionnaire des féministes en France et elle tient un blog dans le Club Mediapart qui aborde régulièrement des questions liées au féminisme, comme dernièrement le procès de Bobigny. De formation philosophique, elle s’est très tôt intéressée aux questions de genre ; cela l’a notament conduit à étudier le parcours et la figure de Simone Iff, résistante et féministe. Sylvia Duverger est actuellement secrétaire de rédaction de revues médicales et se trouve en première ligne pour ce qui est de l’adoption de l’écriture inclusive dans l’édition. 

Pour approfondir ces questions, Sylvia Duverger nous a livré un premier texte sur la masculanisation du français :

Masculinisation du français par Sylvia Duverger

Il a été amplement montré qu’en matière de genre (féminin et masculin),  l’évolution du français est politique. Des grammairiens ont œuvré à ce que le français reflète l’organisation patriarcale de la société. Comme l’observe la linguiste Maria Candea dans un entretien que nous avons fait en 2014, ces grammairiens ont fait en sorte que les filles apprennent très vite, dès leur accès au langage, qu’elles étaient en toutes circonstances subordonnées aux hommes.

L’exclusion des femmes du symbolique, de la langue et de la culture, exprime et conforte celle du politique et de l’économique.Affirmer que le masculin prend une valeur neutre ou générique lorsqu’il « l’emporte » sur le féminin dans une phrase où il cohabite avec lui (par exemple, un présentateur du journal télévisé qui se dit innocent et les nombreuses femmes qui l’accusent de violences sexuelles sont présents – accord au masculin – dans l’actualité) relève non de la grammaire en tant que telle et de ce qui et nécessaire pour que nous puissions échanger, mais de l’idéologie phallocrate qui perdure en dépit de ses multiples réfutations.Dire que les titres correspondant à des fonctions prestigieuses (présidence, direction, professorat…) ont vocation à demeurer au masculin même lorsque des femmes les exercent, c’est signifier qu’il est légitime que ces fonctions soient remplies par des hommes, et que les femmes qui y accèdent sont des intruses dont il s’agit de rendre inaudible la présence. Cela est amplement démontré par le fait, patent et indéniable, que les opposants à la (re)féminisation des titres entreprise en France à partir de 1984 ne s’émeuvent que lorsqu’il est question de rôles socio-politiques de première importance– par exemple, en 1998, « l’Académie veut laisser les ministres au masculin » – et  non pas quand il s’agit de boulangère, de couturière, d’infirmière ou de secrétaire…  Par ailleurs, l’équipe de recherche dirigée par Anne-Marie Houdebine, la linguiste en cheffe de la Commission de terminologie de 1984-1986 « relative au vocabulaire concernant les activités des femmes », puis Edwige Khaznadar (entre autres) ont montré que le masculin dit générique, dont il est prétendu qu’il est apte à désigner le genre humain, conduisait à se représenter des hommes en fait d’êtres humains. 

La conclusion qu’Edwige Khaznadar donnait en 2004 à son étude de l’emploi du terme « homme », à valeur censément générique et non pas seulement spécifique (homme versus femme), me semble toujours pertinente : 

« Il n’y a que quelques dizaines d’années que les femmes ont dans le monde commencé à voir reconnue leur égalité avec les hommes : la puissance symbolique et structurante du langage, caractère propre de l’humanité et ciment des communautés linguistiques, est un apport de poids dans cette évolution. Maintenir la femme dans la virtualité du non-dit, c’est maintenir le mythe du prototype humain masculin. La langue française ne me permet pas de dire : « Je suis un homme » : de quoi, par quoi et par qui exactement suis-je ainsi exclue ? Par la langue ? ou par ceux et celles qui nomment ainsi l’humanité ? »

Au commencement étaient les féminins

Quelques exemples

Sous l’ancien régime, les titres nobiliaires étaient sexués : duchesse, baronesse, emper(r)esse, emperière

Le titre d’ambassadrice existait et il était attribué à des femmes remplissant des fonctions diplomatiques.

On rencontre au moins une inventeure, une procurateure et une conducteure dans un écrit du XVe siècle ; ceux de phisicienne, cyrurgienne (qui avait le sens d’infirmière), de miresse (la médecin), médecine ou médecineuse… 

Dans le domaine religieux, les femmes avaient de multiples  responsabilités et leurs titres étaient au féminin : elles étaient abesse (sic), papesse, moynesse, clergeresse (ou clergesse c’est-à-dire religieuse), prieuresse… 

Les écrits mentionnent aussi des défenderesses, demanderesses, des jugesses… et mêmes des prud’femmes.

Rappelons également qu’il y avait des doctoresses (c’est-à-dire des femmes lettrées, des femmes savantes ; au XIXe le terme désigne les premières  médecins, ou médecines). Et bien sûr des autrices (ou auctrix, auctrice, authrice), comme l’a montré Aurore Evain. Autoresse, authoresse, auteuresse ont également existé. Professeuses, amatrices, inventrices et capitainesses également, parmi tant d’autres

« De nombreuses études ont montré que, jusqu’au XVIe siècle, la langue avait des formes féminines correspondant à des formes masculines pour pratiquement tous les termes servant à désigner des métiers, titres, grades et fonctions, car du haut en bas de l’échelle sociale, les femmes étaient présentes et leurs activités énoncées par des termes qui rendaient compte de leur sexe. […]. Le XVIIe  siècle centralisateur et dominé par l’image éminemment virile du “Roi soleil” ignorera superbement les termes féminisés, ou lorsqu’il les emploiera, ce sera avec condescendance ou ironie (c’est le cas pour “peintresse”). » En Europe, jusqu’au développement des États, les femmes pouvaient accéder, dans une moindre mesure que les hommes, à des fonctions dotés d’un pouvoir politique, judiciaire ou militaire. Les clercs, les hommes diplômés dans leur ensemble, menèrent une offensive contre elles, afin de conserver leur mainmise sur les charges, les emplois que leur passage par l’université leur ouvraient. En premier lieu, ils ont privé d’instruction (a fortiori d’université) celles qui sinon auraient pu rivaliser avec eux ; et discrédité autant qu’ils le pouvaient les obstinées, malgré eux devenues savantes et compétentes. Ils firent tant et si bien que, par exemple, l’ambassadrice épouse de l’ambassadeur eut raison de l’ambassadrice en mission diplomatique, et que l’on oublia l’autrice pour ne plus songer qu’à la muse … 

Un masculin qui s’auto-anoblit

À la Renaissance, dans les écrits, le français supplante progressivement le latin ; or, en latin il y a un neutre, pas en français. Les grammairiens se contorsionnent pour faire valoir que les adjectifs féminins sont dérivés des masculins (comme Ève est tirée de la côte d’Adam). Au XVIe siècle, « le dogme du masculin géniteur de féminin est bien implanté ». Au XIXe, Bescherelle laisse à penser que le substantif dénommant les personnes est masculin par nature. Dont on dérive « son » féminin.

Puis il s’agit de faire triompher le masculin du féminin quand ils se rencontrent dans une phrase. Vaugelas, ordonnateur du bel usage à la cour de Louis XIV et l’un des premiers Académiciens, fait feu : « Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut tout seul contre deux féminins ».

Dans ses Doutes sur la langue française, le jésuite Dominique Bouhours, affirme : « Quand les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte », et le plus noble, c’est le masculin, évidemment.

AuXVIIIe, le grammairien et encyclopédiste, Du Marsais confirme :« [le] masculin, [le] plus noble des deux genres compris dans l’espèce ».

Créée en 1635 par Richelieu, l’Académie française, a porté la cause du masculin-qui-l’emporte-sur-le-féminin jusqu’à aujourd’hui. Il est vrai qu’elle n’a compté que des hommes jusqu’à l’élection de Marguerite Yourcenar en 1980 (une femme sur quarante membres). Elle n’a admis en son sein, en tout et pour tout, que dix femmes, qui toutes n’ont pas siégé en même temps: Marguerite Yourcenar (1980), Jacqueline de Romilly (élue en 1988), Hélène Carrère d’Encausse (en 1990), Florence Delay (en 2000), Assia Djebar (en 2005), Simone Veil (en 2008), Danièle Sallenave (en 2011), Dominique Bona (en 2013), Barbara Cassin (en 2018), Chantal Thomas (en 2021)… 

Les grammairiens misogynes et phallocrates – on a vu que Vaugelas était académicien – ont œuvré à la prééminence du masculin à partir du XVIIe. L’usage, cependant, résiste jusqu’à ce que l’école républicaine, née au XIXe, impose la règle du masculin qui l’emporte sur le féminin. Oubliée la règle de proximité, selon laquelle l’adjectif et le participe passé s’accordent avec le genre (et le nombre) du substantif le plus proche ; par exemple, « le cœur et la bouche ouverte à vos louanges » .

Notons que l’on accordait également le participe présent : « une couturière demeurante rue Saint-Sauveur ». Et que les pronoms n’avaient pas encore perdu une partie de leurs féminins : « J’étais née, moi encore, pour être sage et je la suis devenue » (Le Mariage de Figaro).

La guerre menée par le sexe masculin contre le sexe féminin a comporté plusieurs fronts ; quand Molière œuvre à ridiculiser les Précieuses et les femmes savantes, il y apporte une contribution tout particulièrement efficace. Comme Rousseau dans Émile ou de l’éducation, il plaide en faveur de l’ignorance et de l’hétéronomie des femmes. Mais Émile n’est pas aussi souvent étudié au collège, ni même au lycée, que ne le sont l’une ou l’autre des pièces misogynes du dramaturge préféré du Roi-Soleil. Et le rire assure une très bonne police du genre. Pour ma part, j’ai pris une assez claire conscience que j’étais féministe en classe de troisième, et plus Armande qu’Henriette, donc désapprouvée par Molière et non conforme aux normes de genre encore en cours, puisque ma professeure de français semblait épouser le point de vue du dramaturge. Mais combien d’adolescentes Molière est-il parvenu à éloigner de l’étude et du savoir ? Il n’est bien sûr pas le seul à avoir œuvré en ce sens, ainsi que nous le verrons bientôt. 

À partir du XVIIe siècle, l’on constate une disparition progressive des féminins dès lors qu’il s’agit de professions dotées d’un certain prestige. Comme le dit fort bien Aurore Evain, « ce vide lexicographique était la marque d’une censure et la fabrique d’une exclusion ».

Exclusion des femmes du politique et de l’écriture

En 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen… n’inclut pas les femmes ; celle de 1948 si… mais en anglais, pas en français ! 

En 1792, la requête des dames déposée à l’Assemblée nationale souligne la dimension politique de la subalternisation symbolique du féminin : « Le genre masculin ne sera plus regardé, même dans la grammaire, comme le genre le plus noble, attendu que tous les genres, tous les sexes et tous les êtres doivent être et sont également nobles » (on trouve cette requête sur Gallica).

1801 Sylvain Maréchal républicain révolutionnaire, journaliste et écrivain, est l’auteur d’un Projet de loi portant défense d’apprendre à lire aux femmes. Son article 4 précise que « la raison ne veut pas plus que la langue française qu’une femme soit auteur. Ce titre, sous toutes ses acceptions, est le propre de l’homme seul. » « La raison veut que chaque sexe soit à sa place et s’y tienne »… et la place d’une femme est à la maison : « Une femme qui remplit fidèlement ses devoirs d’épouse et de mère est une véritable divinité, et l’accomplissement de ses devoirs ne peut être compatible avec le goût des sciences et des lettres. » 

Cet écrit de Sylvain Maréchal, qui a tenté de se faire passer pour une plaisanterie, a tout de même été réédité deux fois après sa mort et augmenté de citations d’autres auteurs, observe Geneviève Fraisse. 

Au XIXe siècle, une guerre est menée contre les bas-bleus. À la fin de ce siècle, de nouveau des femmes menacent le pré carré des clercs : elles franchissent les obstacles disposés le long de leur chemin, (re)deviennent doctoresse, chirurgienne, avocate, ingénieure, professeure (ou professeuse)… d’abord sans pouvoir se désigner comme telles.

En 1891, la romancière féministe, fouriériste, socialiste, pacifiste Marie-Louise Gagneur adresse à l’Académie française une pétition réclamant la féminisation des noms de métiers, titres et fonctions qui devenaient « coutumiers à la femme ». Lue en séance le 23 juillet, sa requête reçoit un accueil défavorable de la part des Immortels. S’ensuivent des échanges d’arguments par voie de presse. L’académicien Charles de Mazade lui répond que « la carrière d’écrivain n’est pas celle de la femme », donc qu’il n’est pas besoin du mot écrivaine. Autrement dit, il admet que le genre du mot légitime l’exercice d’une fonction par les uns à l’exclusion des autres, ce que nieront les académiciens du XXe siècle.

1898 Hubertine Auclert, journaliste, écrivaine, féministe (suffragiste en particulier) voudrait qu’une académie féministe ait autant ses mots à dire (et à mettre au féminin dans le dictionnaire) que l’Académie française : « L’omission du féminin dans le dictionnaire contribue, plus qu’on le croit, à l’omission du féminin dans le code (côté des droits). L’émancipation par le langage ne doit pas être dédaignée. […] La féminisation de la langue est urgente, puisque, pour exprimer la qualité que quelques droits conquis donnent à la femme, il n’y a pas de mots. Ainsi, dans cette dernière législature, la femme a été admise à être témoin au civil, électeur, pour la nomination des tribunaux de commerce, elle va pouvoir être avocat. Eh bien ! on ne sait pas si l’on doit dire : une témoin ? une électeure ou une électrice ? une avocat ou une avocate ?

L’Académie féministe trancherait ces difficultés. Dans ses séances très suivies et où l’on ne s’ennuierait pas, des normaliens […] pourraient, en féminisant des mots, devenir féministes. En mettant au point la langue, on rectifierait les usages, dans le sens de l’égalité des deux sexes. » 

Quand « les verts voient rouge »

Dans ses discours, De Gaulle s’adressait aux Françaises et aux Français, ce qui était admettre que les uns ne représentent pas les autres. Certains académiciens sont un peu plus qu’agacés par ces adresses paritaires , tel Jean Dutourd. On notera que le slogan de Macron, lors des dernières élections présidentielles, c’était en revanche « Nous tous »… soufflé par Jean-Michel Blanquer, son alors encore ministre de l’Éducation nationale et fervent adorateur du « masculin générique » ?

Sage-femme et maïeuticien ne sont pas dans le même bateau 

1982 La profession de sage-femme s’ouvre aux hommes conformément à une directive européenne.

Trente ans plus tard, Yvette Roudy se souvient : « Quand on a ouvert le métier de sage-femme aux hommes, ils ont voulu une nouvelle appellation : maïeuticien. Pour les hommes, il fallait un terme compliqué et scientifique. »

En 1982, trois hommes deviennent sages-femmes et au moins l’un d’entre eux se réjouit d’être qualifié de tel . Le terme de sage-femme est épicène puisqu’il désigne la ou le sage qui met son savoir et ses compétences (sage) au service de la femme qui accouche ; la ou le sage-femme est donc en quelque sorte une ou un aide-parturiente.

Pourtant l’Académie se trouve chargée de forger une dénomination conforme au genre de ces nouveaux praticiens. Par Pierre Mauroy, selon l’homme politique, écrivain et académicien Alain Peyrefitte. 

Donner du masculin à une femme, serait-ce donc la hausser au rang de l’humain par excellence, tandis qu’un homme féminisé devrait se sentir humilié ? Médecin et académicien, le Pr Jean Bernard propose « maïeuticien ». Bien que ce terme ait été forgé par le philosophe Socrate pour se désigner lui-même comme un accoucheur, non pas de corps féminins, mais d’esprits masculins, fonction bien plus proche du vrai, du beau et du bien que celle d’une simple sage-femme, comme l’était sa mère… En juin 1984,estimant que l’emploi du terme de « sage-femme » pour désigner un homme serait « ridicule », Alain Peyrefitte relaie dans les colonnes du Figaro la trouvaille de son illustre confrère.

Anecdote savoureuse : dans le cadre d’enquêtes linguistiques, Anne-Marie Houdebine a observé que le terme « maïeuticien » n’était pas compris par les locutrices et locuteurs interrogé·es; qu’il était quelquefois rattaché à l’emmaillotage et qu’à la place de « maïeuticien », certain.es entendaient « mailloticien » (construit sur le maillot dont autrefois on entourait le corps des marmots).

« Maïeuticien » fait son entrée dans les dictionnaires, mais il prend si peu que lors de la séance du 11 février 2009, le médecin et sénateur de gauche François Autain s’indigne : « Il serait […] temps de songer au remplacement du terme “sage-femme” par une appellation qui tienne compte du fait que cette profession est exercée par de plus en plus d’hommes. Le terme de maïeuticien, reconnu par l’Académie française, me semblerait particulièrement bien adapté. » Dès lors que des hommes exercent un métier, faudrait-il donc ne plus le dire qu’au masculin ? Même si les femmes y demeurent très largement majoritaires (1 à 2 % d’hommes sages-femmes…) ? 

Il semble que cette préconisation ait fini par être suivie de quelque effet, et l’on trouve désormais dans des textes plus ou moins institutionnels cet étrange couple : « maïeuticien ou sage-femme » , sage-femme ou maïeuticien , le pire étant : « maïeuticien (sage-femme) ». 

Il y a cependant des sages-femmes heureux de l’être. Dont l’un des trois premiers promus en France. Le constat est fait que le terme de « maïeuticien », dans les faits, n’est ni utilisé ni compris . L’un de ces heureux accoucheurs dit en outre que « maïeuticien » ne rend pas justice à l’amplitude de ses responsabilités, contrairement à « sage-femme »… Voilà des sages-femmes bien plus éclairés que les Immortels !

En effet, comme l’observe Claudie Baudino : « Vent debout contre les femmes qui réclameront en 1984 la féminisation des usages, l’Institution s’est réunie pour débattre de la désignation d’un seul homme. […] Au mépris des usagers, l’Académie a fait le choix de la distinction, sociale et masculine. » 

Raphaël Haddad, docteur en communication, qui est à l’origine du Manuel d’écriture inclusive publié en 2016 (voir plus loin) analyse cet épisode dans une note de blog : « “Sage-femme”  constitue […] un bel exemple si l’on veut démontrer combien l’inconfort dans les mots entraîne un inconfort social. » Inconfort social dont les locutrices font précisément l’expérience lorsqu’elles sont dites au masculin sans que les académiciens s’en émeuvent, au moins jusqu’à ce qu’ils comptent dans leurs rangs des femmes qui entreprennent de leur déboucher les oreilles.

1984-1986 Yvette Roudy, alors ministre des droits de la femme (sic), charge Benoîte Groult de présider une commission de terminologie afin de féminiser les titres, les noms de métiers et de fonctions pour que les femmes se sentent légitiment à exercer tous les emplois. Anne-Marie Houdebine était la linguiste en cheffe de cette commission, dont le travail conduira à la circulaire du 11 mars 1986 relative à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre.

Les linguistes québécoises ont été parmi les pionnières en la matière, et c’est l’évocation de leurs travaux que fait Anne-Marie Houdebine lors d’une conférence à laquelle Yvette Roudy a assisté qui a mené à cette entreprise. A.-M. Houdebine souligne l’intérêt du recours aux noms de métiers au féminin pour faire apparaître les femmes comme actrices sociales. Yvette Roudy tient en effet tout particulièrement à ce que sa loi du 13 juillet 1983 sur l’égalité professionnelle soit suivie d’effets : il faut lever les obstacles symboliques à la parité économique, les offres d’emploi doivent donc comporter les deux genres, féminin tout autant que masculin.

Extrait de l’entretien que j’ai réalisé en 2016 avec A.-M. Houdebine sur ce sujet : « À cause de la loi “dite Roudy” sur l’égalité professionnelle, la ministre nous a dit qu’elle était  “accablée” de demandes des divers ministères la questionnant à propos des noms de métiers à proposer aux annonceurs (une majorité d’hommes généralement) qui les questionnaient. Ils ne trouvaient pas les mots. Preuve s’il en est que les Français·es sont insécurisé.es dans leur langue : elles/ils ne la savent pas. Elles/ils la croient existant seulement dans LE dictionnaire. Comme s’il n’en existait qu’un qui dise la langue, quand ce sont ses sujets parlants qui la font exister ! Mais, apparemment, ni les employés des ministères (des hommes pour la plupart dans les années 1980), ni les annonceurs, ni les publicitaires, qui pourtant n’hésitent pas à créer des néologismes, ne connaissent réellement la langue. À moins qu’il ne faille évoquer une causalité, plus politique, plus idéologique : la nomination des femmes est le cadet de leurs préoccupations. Et même, le fait qu’elles ne soient pas nommées comme actrice(s) sociale(s) ne les gêne aucunement. Comme disait Lacan, “la femme n’existe pas”, ce qui fait entendre ce sexisme : d’une femme, ce que la socialité attend, voire chacun, c’est la mère, l’épouse et la mère, mais une femme… de plus actrice sociale, c’est une tout autre affaire ! » 

La commission, bien que mixte et très légalement constituée, fut aussitôt l’objet d’attaques qui méritent de rester dans les annales du sexisme débridé. Elle comportait pourtant des linguistes renommé·es et fondait ses propositions sur des enquêtes menées conformément à la méthodologie scientifique.

Les académiciens affirment que le genre grammatical et le sexe n’ont rien à voir ; ils oublient que les noms désignant des êtres sexués, en particulier les êtres humains et les animaux qui ont de la valeur pour nous, sont grammaticalement genrés conformément au genre de ces êtres. Ils omettent l’évidence : dans les noms de métiers, le masculin renvoie aux hommes (boulanger), et le féminin aux femmes (boulangère) ; leurs tribunes, publiées pour la plupart dans Le Figaro, regorgent de sous-entendus ou d’allusions sexuelles (accord de proximité), attestant de leur inaptitude à considérer les femmes autrement que  que comme des objets sexuels – on comprend, soit dit en passant qu’Hélène Carrère d’Encausse, « secrétaire perpétuel » de l’Académie française, tienne à se désigner au masculin… L’entretien dans lequel le très distingué Georges Dumézil feint de croire qu’il faudra dire « la recteuse » ou « la rectoresse » parce que « la rectrice » désignerait de toute éternité la femme du recteur et finit par louer les mérites de « l’admirable substantif “conne” » après avoir évoqué Benoîte Groult est à cet égard des plus révélateurs de l’effet de panique que produisent sur les clercs des femmes qui s’autodésignent, se visibilisent en tant que citoyennes actives et œuvrent à la possible fin de l’hégémonie masculine.

C’est cette panique académique et les sophismes qu’elle inspire que nous avons analysés dans L’Académie contre la langue française (iXe, 2015). Ouvrage tout aussi comique que sérieux tant ces académiciens qui ne sauraient voir de féminins sont de précieux ridicules !

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Podcast – Interview de Sarah Delale sur Christine de Pizan

Nous recevons aujourd’hui Sarah Delale, agrégée de lettres modernes et docteure en littérature française. Elle a enseigné à l’université Sorbonne-Université, Lyon II et est et actuellement chargée de recherches post-doctorales à l’université de Louvain-la-Neuve. Sa thèse portait sur la composition et la mise en livre de la narration dans l’oeuvre de Christine de Pizan, autrice de langue française du XVe siècle ; ce travail a donné naissance à l’ouvrage dont nous parlons aujourd’hui, Diamant obscur : Interpréter les manuscrits de Christine de Pizan, publié aux éditions Droz cette année. Elle est également la co-autrice avec Lucien Dugaz d’un ouvrage sur Le Livre du Duc des vrais amants de Christine de Pizan paru aux éditions Atlande en 2016 et a collaboré à plusieurs ouvrages scolaires et parascolaires aux éditions du Robert ces dernières années.

Nous avions eu l’occasion de parler de Christine de Pizan dans le cadre de notre bookclub. Nous avions lu sa Cité des dames comme « le pendant du Roman de la Rose, un pendant féministe s’opposant au discours misogyne de son temps » ; nous nous étions demandées si, pour mener une vie de lettrée, Christine de Pizan avait plutôt mené la vie d’une femme ou d’un homme ; nous nous étions interrogées sur son féminisme ; son traitement du sujet du viol ; et le parallèle qu’elle établit entre la maternité et l’écriture.

Nous déroulerons cette interview en 3 temps : nous aborderons d’abord l’oeuvre de Christine et sa popularité, puis nous parlerons des recherches de Sarah Delale sur Christine de Pizan et nous finirons sur son positionnement propre en tant que chercheuse et autrice.

Pour écouter l’interview de Sarah Delale, cliquez ci-dessous ou suivez le lien suivant !

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[club] Les femmes selon les séries : Les luttes féministes

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Nous entamons aujourd’hui un cycle sur la représentation des femmes dans les séries. Ce cycle s’organisera autour de plusieurs thématiques, une par épisode, et s’intéressera aux séries de toute nationalité, de toute production, et de toute année. C’est donc un programme ambitieux !

La représentation des femmes dans les séries est un enjeu d’importance. Comme le pointe Flaubert dans Mme Bovary, c’est par la consommation de fiction que la plupart d’entre nous, hommes comme femmes, trouvons des modèles et pensons notre identité et nos actions. Ainsi quels modèles féminins prônent les séries, selon les cultures et à travers le temps ?

Notre premier épisode sera consacré à la représentation des luttes féministes dans les séries. Il faut commencer par avouer que nous avons beaucoup cherché des fictions sous forme de séries qui livrent cette histoire des luttes féministes et que nous n’en avons pas trouvé beaucoup. La BBC a ainsi produit une mini-série sur les suffragettes, Shoulder to shoulder, mais elle n’est plus disponible aujourd’hui.

La seule autre série consacrée uniquement aux mouvements féministes s’avère être Mrs America, série américaine en une saison de 9 épisodes d’environ 50 minutes. Cette série a été produite par Shiny Penny Productions, Dirty films, Gowanus Projections, Federal Engineering et FX Production et a été diffusée en 2020 sur la chaîne virtuelle Fx sur Hulu. Elle a été créée par Dahvi Waller, scénariste de Mad Men, et compte à son casting Cate Blanchett notamment. A ce jour elle n’a été diffusée dans les pays francophones seulement en France, sur Canal+, et est accessible sur la plateforme MyCanal.

Voici l‘épisode de ce podcast, à retrouver aussi sur les plateformes de podcast :

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Lancement du podcast « Qui a peur du féminisme ? »

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Le podcast issu de notre blog et de notre bookclub est lancé !

Il s’appelle, sans surprise, Qui a peur du féminisme ?, et s’écoute sur Spotify, Google Radios, Anchor…

Au menu des premiers épisodes : une discussion autour des femmes phosphorescentes de Radium girls de Kate Moore (épisode 1) ; un état des lieux de la femme entre fantôme et fantasme chez Charles Baudelaire (épisode 2) ; un point sur l’universalité du problème des rapports de sexe tels qu’ils se jouent dans les mariages arrangés autour de la lecture des Impatientes de Djaïli Amadou Amal, prix Goncourt des lycéens 2020 (épisode 3).

Bonne écoute !

Qui a peur du féminisme ? • A podcast on Anchor

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[critique] Christine Leroy, Phénoménologie de la danse : « Un temps pour danser »

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Je referme Phénoménologie de la danse en souriant. Sursaut d’enthousiasme : j’ai trouvé le livre que je cherchais depuis longtemps ! Voici en effet l’ouvrage que le héros de Footloose[1], Ren Mc Cormack, aurait dû consulter pour défendre la danse. Au pasteur qui veut éviter la corruption spirituelle de sa communauté, Ren oppose une série de citations bibliques qui prouvent que les écritures ne bannissent pas la danse mais ne démontrent rien. Quel point commun entre la danse du roi David[2] et des adolescents au bal du lycée ? Remarquer qu’on danse pour louer le Seigneur ne permet pas de lever les accusations dès lors qu’on s’éloigne du cadre religieux. Le discours du pasteur s’inscrit dans une tradition de méfiance à l’égard de la danse, accusée de répandre le vice et le désordre ; à laquelle Christine Leroy s’oppose dès le début de son travail. Elle nous invite au contraire à nous réjouir de la contagion suscitée par la danse car elle est source de connaissance et d’éthique.

Elle commence par décrire cette contagiosité si longtemps décriée pour la penser et l’innocenter. Elle est empathie kinesthésique. Certes, le mouvement du corps du danseur agit sur le corps du spectateur mais il n’y a ni fusion affective, ni délire. La danse relève du jeu, elle ne dure qu’un temps, mais celui-ci est formateur. Il permet de se rapprocher à la fois de l’autre et de soi car il y a une réciprocité entre le performeur et le spectateur. La danse est le lieu d’une rencontre charnelle.

La progression conduit ainsi Christine Leroy à souligner la visée éthique de la danse. « La sollicitation kinesthésique semble engager au souci de l’autre à partir du corps propre, et à la réparation de soi »[3]. L’empathie kinesthésique peut soigner, non pas au sens de guérir, to cure en anglais, mais au sens de prendre soin, to care. Le care est une attention bienveillante qui permet la rencontre et la connaissance d’autrui, tout en permettant une meilleure appréhension de soi. Notons au passage qu’avec la danse, le corps et plus exactement le vécu charnel, se trouve aussi réhabilité.

En effet, lorsqu’il est question d’éthique, il ne s’agit pas de principes abstraits et de morale. La danse ne va pas pervertir les jeunes de Bomont, la ville fictive de Footloose, mais l’on doit concéder au révérend Shaw, qu’elle ne les sauvera pas non plus. Cependant, la démonstration de Christine Leroy nous permet d’affirmer qu’elle les aidera à supporter l’adolescence, la découverte de leurs désirs et des désirs des autres. Cette découverte se révèle parfois pesante et danser ou regarder un spectacle de danse pourra l’alléger. « L’empathie kinesthésique met en évidence une commune aspiration à la légèreté et à l’envol, c’est-à-dire à la sublimation de la pesanteur »[4] [5].

Christine Leroy ouvre des perspectives cliniques et justifie un usage thérapeutique de la danse. Danser ou regarder un spectacle de danse peut réparer ou redynamiser l’image du corps[6]. Son ouvrage est un apport théorique inédit à la critique de la danse, à la recherche en éthique et à la phénoménologie. On peut seulement regretter que le titre de l’ouvrage ne reflète ni son originalité ni la richesse des références qui ne se limitent pas à la phénoménologie, le recours à Winnicott et aux care studies sont particulièrement pertinentes. De plus, si le livre est si convaincant et stimulant, c’est grâce à ses nombreux exemples de chorégraphies. Christine Leroy ne donne pas seulement envie de penser la danse, elle donne aussi envie de danser.

Pour l’interview de l’autrice, cliquez ci-dessous ou suivez ce lien vers l’épisode de notre podcast qui y est consacré !

[1] Footloose est un film d’Herbert Ross sorti en 1984. Un remake au scénario presque semblable est sorti en 2011, mis en scène par Craig Brewer.

[2] 2 Samuel, VI, 14.

[3] Leroy Christine, Phénoménologie de la danse, Hermann Philosophie, 2021, p.77.

[4] Idem, p.132

[5] Ren aurait ainsi pu argumenter sur la puissance thérapeutique de la danse. En effet, si le révérend Shaw proscrit la danse, ce n’est pas pour suivre des principes religieux ou sauver des âmes mais pour alléger sa conscience. Son fils est mort dans un accident de la route en rentrant d’une soirée dansante et il se sent coupable.

[6] Cf. Idem, p.138.

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[critique] Indiana de George Sand relu après #MeToo par Shannon Cheekoussen

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Indiana, c’est mon premier. Mon premier George Sand, mais également le premier roman que cette dernière a écrit entièrement seule. Elle affirme par ailleurs qu’elle l’a écrit : “sans aucun plan, sans aucune théorie d’art ou de philosophie de l’esprit”. Pourtant, certains critiques affirment que le roman est “un plaidoyer contre le mariage”. Qu’en penser?

J’envisage ce roman comme une dénonciation des conditions sociales de son temps, surtout en ce qui concerne la condition féminine. Indiana, contrainte à épouser le colonel Delmare, se retrouve coincée dans un mariage où elle rêve de s’échapper afin de retrouver sa liberté. Mais elle ne peut pas. Son mari en est la cause : il est le dominant, elle est la dominée. C’est la femme esclave enchainée à son maitre ; d’ailleurs, elle le dit : “Je sais que je suis l’esclave et vous le seigneur. La loi de ce pays vous a fait mon maitre”. Il a ce pouvoir qu’elle n’a pas aux yeux de la société. Et c’est cela, à mon avis, que George Sand tente de dénoncer : ce rapport d’inégalité entre les deux sexes, cette supposée infériorité.

Indiana devra attendre pour mettre ses aspirations de liberté à exécution. Et c’est Raymon de Ramière, jeune noble qu’elle rencontrera lors d’un bal, qui le lui permettra. En effet, dès la première rencontre survient le coup de foudre. Mais l’impression que j’ai eue en lisant le roman, est que le but premier de Raymon est de séduire Indiana, non pour obtenir son amour, mais uniquement pour son égo. Raymon de Ramière est déjà avec une autre femme : la femme de chambre d’Indiana, Noun. Dès lors qu’il ne prend pas la peine de prévenir cette dernière au sujet de ses épanchements amoureux, sa sincérité n’est plus de mise. J’en vois même que la situation lui devient profitable : avoir deux femmes à son chevet, prêtes à tout pour le satisfaire.

Noun, c’est celle qui représente l’exotisme, celle qui va faire surgir le fantasme du métissage aux yeux de Raymon. Indiana, quant à elle, est celle qui vient de l’Ile Bourbon mais qui ressemble à une occidentale. Indiana est une femme issue d’une famille noble, Noun est une femme de chambre : tout un monde les sépare, que ce soit du point de vue économique, social ou culturel. On peut imaginer que c’est peut-être cette différence qui attire Raymon et qui l’empêche de faire un choix, du moins, jusqu’à la mort de Noun. Néanmoins, Noun n’est qu’une figurante puisqu’elle se place désormais au second plan dans l’intrigue amoureuse et qu’elle est remplacée par Indiana, qui, de son coté, prend la première place. Elles ne le savent pas mais une compétition s’installe entre elles, car elles veulent toutes deux le cœur du même homme.

 On y verra plusieurs stratagèmes : Noun qui se déguise comme sa maitresse pour obtenir le cœur de  Raymon, Indiana prête à se soumettre entièrement à celui qu’elle pense être l’homme de sa vie. Quid de leur vie en tant que femmes ? Elles s’oublient et semble-t-il, tout ce qui compte, c’est d’être avec Raymon, comme si leur destin évoluait en fonction de cet homme. Par ailleurs, l’une se suicide suite à un malheureux quiproquo, tandis que l’autre envisage de le faire, à cause d’une souffrance terrible. Si l’une se supprime et que l’autre y échappe de justesse, j’ai l’impression qu’il n’y a pas de perspective de vie pour les femmes seules dans ce roman. Je me pose alors la question : est-il nécessaire qu’une protagoniste passe par un chemin sinueux et douloureux pour obtenir les “faveurs” d’un homme ? Et, est-il nécessaire que ce dernier fasse partie de l’intrigue pour permettre à une femme d’exister ?

Après la mort de Noun, on constate qu’Indiana continue à être asservie à Raymon ; elle échappe toutefois aux conventions concernant le mariage puisqu’elle n’a pas peur des risques encourus en entretenant des relations avec Raymon. Cela montre qu’elle ne se soumet pas totalement au colonel Delmare : elle est une femme qui ne se cantonne pas à ce qui est imposé par la société mais qui est quand même sous l’emprise d’un autre homme. Elle quitte donc l’Ile Bourbon pour rejoindre ce dernier alors que lui ne semble pas éprouver de l’amour pour elle mais suivre seulement le besoin qu’elle se soumette afin qu’il se sente valorisé, : “ Il se sentait assez d’adresse et de rouerie dans l’esprit pour faire de cette femme ardente et sublime une maitresse soumise et dévouée”. C’est donc pour son plaisir personnel qu’il envisage de recontacter Indiana et ce, sans même mesurer les conséquences de ses gestes et du risque qu’elle encourt. Par ailleurs, c’est à la suite d’une lettre reçue par Raymon que le colonel Delmare va découvrir toutes les anciennes lettres cachées par Indiana. Pour la première fois dans l’intrigue, nous allons être témoins des violences que subit Indiana de la part de son mari, : “Alors, sans pouvoir articuler une parole, il la saisit par les cheveux, la renversa, et la frappa au front du talon de sa botte”. Je comprends le fait qu’elle cherche à s’enfuir, qu’elle veuille le quitter, mais j’éprouve une certaine amertume à l’idée de me dire qu’elle le quitte non pas pour retrouver sa liberté en tant que femme, mais pour se retrouver dans les bras d’un homme qui ne la respecte pas non plus.

Car Indiana fait indéniablement preuve de faiblesse face à Raymon. Elle n’a pas l’esprit clair puisqu’elle est aveuglée par son amour. Dès lors, peut-on la blâmer ou doit-on avoir pitié d’elle ?  Nous savons qu’elle lutte contre la société mais seulement pour être avec un autre homme que celui qui lui a été imposée. C’est le pathétique d’un extrait qui m’a convaincue qu’Indiana n’était qu’une femme amoureuse tombée dans les filets d’un homme qui finalement ne l’aimait pas, mais qui voulait seulement la posséder : “ C’est ton esclave que tu as rappelée de l’exil et qui est venue de trois mille lieues pour t’aimer et te servir ; c’est la compagne de ton choix qui a tout quitté, tout risqué, tout bravé”. À la découverte de la femme que Raymon a épousé en l’absence d’Indiana, on aperçoit d’autant plus de la fragilité de cette dernière, qui semble brisée d’apprendre qu’il ne l’a pas attendu. Indiana est la femme laissée à l’abandon, c’est la femme réduite à rien, la femme oubliée. Est-ce donc le sort de toutes ces femmes condamnées à périr parce qu’elles sont seules ? Il est certain que les hommes ne perdent pas leurs privilèges dans cette société, quel que soit le sort qui leur a été réservé. On éprouve alors un sentiment d’injustice pour Indiana, pour cette femme qui a tant souffert, et ce, dès son plus jeune âge.

La fin du roman surprend. Alors qu’Indiana était sur le point de se jeter d’une falaise en compagnie de son cousin qui lui a avoué l’amour qu’il cachait depuis longtemps, l’intrigue prend une autre tournure. La conclusion nous amène à voir que c’est finalement une fin heureuse qu’a choisie George Sand puisqu’Indiana ne périt pas. On retrouve Indiana vivant avec Sir Ralph, amoureuse, et visiblement heureuse, même s’il reste des traces de tristesse. Cette fin m’a étonnée car je m’attendais à une fin tragique. Si George Sand voulait une fin heureuse, pourquoi a-t-il fallu qu’Indiana succombe de nouveau à l’amour d’un homme ? Cet homme qu’elle considérait comme un frère qui plus est… Il aurait fallu qu’elle fasse son chemin seule, en tant qu’individu libre, même s’il était mal vu par la société qu’une femme vive célibataire. C’est pourtant la voie qu’a choisie George Sand elle-même !

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[critique] Trois adultères : Ma nuit chez Maud d’Eric Rohmer, La femme d’à côté de François Truffaut, Passion simple d’Annie Ernaux

L’adultère est un des grands thèmes de la littérature et du cinéma français. On trouve déjà, au Moyen Âge, dans les chants et les romans d’amour courtois, la relation triangulaire du seigneur, de la dame et de l’ami et tout ce qu’elle implique : le secret, le danger de sa divulgation, l’intensité de la relation, l’entretien du désir entre proximité et éloignement, parole et silence, et la fin programmée.

Toutefois, alors que la fin amor place la femme en position de domination, car elle est supérieure en classe sociale voire en âge à l’ami, les histoires adultères modernes et contemporaines renversent le schéma : c’est l’homme qui est marié, c’est l’homme qui contrôle les rendez-vous et impose ses disponibilités, c’est l’homme qui est le maître. Le mot « dame » du Moyen Âge vient du latin « domina », qui veut dire celle qui domine et qui peut en cela se traduire par « maîtresse » : dans la relation adultère de l’époque moderne et contemporaine, qui domine ?

Deux films et un roman éclairent ici le sujet des rapports hommes/femmes vus par le prisme de l’adultère. Ma nuit chez Maud met au centre de l’intrigue ladite Maud (Françoise Fabian), maîtresse femme, divorcée, célibataire et libre, qui reçoit depuis son lit comme les Précieuses. Elle disserte de religion, de politique et d’amour avec Jean-Louis (Jean-Louis Trintignant) lors d’une nuit où celui-ci, coincé par le verglas, reste dormir chez elle, alors qu’il vient de la rencontrer. Fervent catholique, il est gêné de la situation et renonce à coucher avec elle. Lorsqu’il rencontre ensuite la jeune fille après laquelle il court depuis plusieurs jours, qu’il a aperçue à la messe et dont il a décidé qu’elle serait sa femme (Marie-Christine Barrault), cette nuit chez Maud est oubliée comme une anecdote sans importance. Mais Maud lui avait fait une confidence sur la fin de son mariage qui entre en écho avec celle que lui fait la jeune fille, Françoise, sur sa dernière relation amoureuse. Maud avait découvert la liaison de son mari avec une jeune femme blonde et catholique et avait tout fait pour qu’ils rompent ; la jeune fille révèle avoir été la maîtresse d’un homme marié. Lorsque le hasard les fait tous se rencontrer de nouveau sur une plage des années après, le trouble de Françoise en revoyant Maud suffit à ce que Jean-Louis comprenne que celle qui est devenue sa femme était la maîtresse du mari de Maud. L’information n’est pas divulguée au spectateur mais est seulement suggérée comme le secret de Françoise, sur lequel Jean-Louis garde le silence. Dans la France de 1969, pourtant secouée par la révolution de mai 68, Eric Rohmer saisit les pudeurs et réticences d’une France encore en partie croyante et pratiquante face à la possibilité d’une entorse aux bonnes mœurs. Jean-Louis a résisté à la tentation d’une nuit de sexe sans amour ; Françoise a cédé à celle d’une histoire clandestine, et se sera laissée convaincre d’y mettre fin. L’aveu qu’elle fait de cette passion est coupable, de même que c’est Maud qui est présentée comme aguicheuse depuis son lit, dans lequel elle dort nue (elle dit avoir des crises d’exhibitionnisme). Et si c’est Jean-Louis qui court après Françoise dans toutes les rues de la ville, c’est bien elle qui l’attire irrésistiblement : la faute aux femmes, donc.

Dans La femme d’à côté, la structure se répète : si c’est le hasard qui rapproche Mathilde de Bernard, deux anciens amants désormais mariés chacun de leur côté, c’est Mathilde qui regarde avec insistance Bernard depuis sa fenêtre, qui l’appelle et qui veut le voir. La suite du film en expose les raisons : si Bernard est conduit à une crise de folie par le retour de cette passion, s’il la manifeste violemment en public en se jetant sur Mathilde et en lui criant dessus pour l’empêcher de partir en voyage avec son mari, c’est bien Mathilde qui subira les plus grandes séquelles de leur histoire. D’abord, parce qu’elle a avorté de leur enfant des années auparavant, enfant dont elle voulait et dont Bernard ne voulait pas ou pas vraiment. Ensuite, parce que la crise que s’autorise Bernard, et qui le guérit, Mathilde se l’interdit. Restant dans une mélancolie dangereuse, ne parvenant pas à renoncer à son amant, elle finit par revenir de nuit dans la maison vidée de ses meubles et d’y attirer, par le bruit d’une porte battante, Bernard. Alors que leurs dernières entrevues en présence de témoins avaient été neutres et chastes, leurs retrouvailles face-à-face sont charnelles et pulsionnelles : dans une ultime étreinte, Mathilde tue Bernard d’un coup de revolver dans la tempe avec de se donner la mort. La voix-off commente : « Ni avec toi ni sans toi ». L’adultère est ici une responsabilité commune : les deux amants sont mariés, ils se sont connus libres. Et si c’est la femme qui tue, parce que c’est elle qui souffre, on ne peut pas dire que l’homme ne souffre pas : il souffre différemment.  Il renonce sans renoncer, reprend ou arrête sans s’effondrer psychiquement ; l’attachement de la femme à l’homme est plus profond et plus dangereux. La faute du délitement de leur relation lui est attribué : selon Bernard, c’est une femme « qui cherche midi à quatorze heures ». C’est le vieil argument de l’inconstance féminine qui est ici énoncé :  c’est d’ailleurs elle qui donne le titre du film « La femme d’à côté », ce titre étant le synonyme d’un type de relation sans conséquence, dont l’homme peut profiter sans devoir rien en retour, comme si habiter à proximité signifiait être disponible sexuellement en permanence. C’est ainsi que Mathilde comprend la plaisanterie que font quelques hommes à ce sujet dans les toilettes du club de tennis qu’elle fréquente avec Bernard. Et c’est à ce moment qu’elle fait une crise nerveuse, et s’effondre : elle n’aura été que « la femme d’à côté ». Possessivité masculine et déception des attentes féminine sont les deux axes de ce film de 1981.

Passion simple date quant à lui de 1991. Roman court d’Annie Ernaux, il relate la passion adultère du point de vue féminin. La narratrice y raconte à la première personne du singulier sa relation avec un homme marié, originaire de l’Est, étranger, qui l’appelle lorsqu’il est libre pour venir coucher avec elle et chez elle. On ne saura rien sur leur rencontre, et la fin de leur liaison se fera comme son commencement : sans terme marqué. Tout est flottant, en permanence : rien n’a commencé de réel, pas d’histoire d’amour, pas de couple officiel, et rien ne finit non plus, un appel pouvant de nouveau surgir du néant, comme ne plus jamais advenir. La narratrice est ainsi accrochée à un temps suspendue, rattachée, pendant les deux années que dure cette liaison, à une attente sans borne, enjointe à une disponibilité totale, qu’elle vit absolument et sans souffrance. Ce discours exaltant ce type de liaison comme une passion sublime dérange toutefois : il n’y est question que de domination de la femme par l’homme, dans une relation qui tient presque des codes du BDSM quant à la réduction de la femme à une esclave sexuelle qui n’achète de vêtements que pour son amant, qui ne pense qu’à lui, qui ne se consacre qu’à lui, et à laquelle lui n’appartient pas. Cette mystique de la relation ne convoque pas le terme d’amour ni celui de couple ; la passion, ce terme désignant à la fois la fureur amoureuse et sexuelle et la souffrance de celui qui subit, est le mot choisi pour qualifier une relation dangereuse, et qui aboutit nécessairement à un abandon de la femme par l’homme. On ressort de cette lecture perturbée, en tant que femme, sur ce que cela dit de la liberté sexuelle féminine de la fin du XXe siècle : faut-il nécessairement être enchaînée pour s’émanciper ? Se jouer des codes de l’asservissement pour se prouver que l’on n’est plus esclave ? Ou n’existe-t-il pas une autre manière de vivre, et de faire ?

Ma nuit chez Maud, La femme d’à côté (cité par Annie Ernaux) et Passion simple présentent trois facettes de l’adultère tel qu’il est vécu par les femmes : culpabilité et remords pour Françoise, déception et rage chez Mathilde, abandon et emprise chez Annie Ernaux. Dans tous les cas, au rebours des dames de la fin’amor, la maîtresse ne domine plus. Et si la structure adultère en elle-même repose sur un rapport de force, car sur une asymétrie des situations, on peut toutefois y trouver une égalité amoureuse et passer du « ni avec toi, ni sans toi » de La femme d’à côté au « ni vous sans moi, ni moi sans vous » du Lai du chèvrefeuille de Marie de France. Adultère n’est pas toujours synonyme de passion ni de domination, masculine en l’occurrence ; mais cela est sans doute une question d’époque.

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[critique] Léonie Bischoff – Anaïs Nin : Sur la mer des mensonges

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Se saisir de l’oeuvre d’Anaïs Nin, écrivaine américaine du XXe siècle, n’était pas chose facile. Ladite oeuvre en effet pléthorique et polymorphe, entre tomes de journal « officiel », volumes du journal non expurgé, textes d’autofiction et nouvelles érotiques. Elle est aussi, et surtout, tout sauf politiquement correcte. Certes, la vie d’Anaïs Nin illustre la liberté féminine ; mais c’est aussi celle d’une femme mariée, entretenue par son mari banquier, qui tient à son confort de vie. Certes, sa destinée est celle d’une femme de lettres qui s’émancipe par l’écriture et par la sexualité (voire les deux en même temps, à travers les textes érotiques) mais c’est aussi une menteuse et une séductrice compulsive, dont le comportement confine à la mythomanie et à la nymphomanie. C’est une femme qui aime tant les hommes que les femmes, mais c’est aussi une jeune fille qui se laisse faire face aux agressions, marquée par un climat d’inceste et qui, une fois adulte, prendra plaisir à coucher avec son père. C’est une femme qui écrit mais c’est aussi une femme qui avorte à 5 mois en estimant qu’elle ne peut à la fois écrire et être mère, suivant une alternative que d’aucuns et d’aucunes trouvent inacceptable aujourd’hui. C’est une grande amoureuse, qui se présente comme dévouée et généreuse, mais qui trompe chacun avec tous et tous avec chacun. C’est une passionnée de vérité mais qui couche avec ses analystes, le Dr Allendy puis le Dr Rank. Certains pensent qu’elle est folle, et l’était sans doute un peu, mais de cette folie qui flirte avec la limite et qui parvient toujours à la sublimation.

Ce que j’en ai retenu pour moi-même, lorsque j’a tout lu d’elle, de mes 16 à mes 19 ans, c’est cette liberté folle car absolue, cette plasticité de la narration et de la vérité, et cet instinct qu’il y a dans l’écriture diariste une forme éminente de l’écriture de soi, de l’écriture tout court. La littérature ne considère pas encore le journal intime comme un genre littéraire à part entière : c’est une erreur. Une fois l’erreur dissipée, l’oeuvre d’Anaïs Nin gagnera ses lettres de noblesse. D’ici là, des ouvrages comme celui, subtil, délicat, de Léonie Bischoff aidera ceux qui hésitent au seuil de l’oeuvre à passer le pas, à y entrer, et à plonger dans la mer des mensonges, car de la fiction.